Mes châteaux d’If: La synagogue de Joann Sfar  (Sortie BD)

«Vous êtes fous les néo-nazis! Vous vous attaquez à ce type dont la raison de vivre était ma maman, alors qu’il n’a rien d’autre à fiche sur la Terre que combattre les descendants minables d’Hitler »
Le petit Joann Sfar raconte derrière la vitre de la voiture. Cela pourrait suffire à vous convaincre de lire ce récit autobiographique mais l’histoire d’un des dessinateurs actuels les plus prolifiques ,est si riche qu’on va quand même en raconter un peu plus.
La synagogue est un titre trompe l’œil. Sfar estime que le thème principal de son livre est de se mettre à distance d’Auschwitz. Je crois qu’il s’agit plutôt de se mettre à l’écart de la souffrance. Faire la sécurité devant la synagogue de Nice parce qu’on est juif et que les prêches vous sont interminablement ennuyeux est une partie du combat de Joann Sfar. Le jeune Sfar, comme tous les mômes de son âge, veut ressembler à Karaté Kid et rosser les méchants ; Joann essaye mais il trouve les fachos niçois si pitoyables qu’il est bien souvent démuni face à leur violence. Les fachos à Nice sont des fils à papa et de mauvais élèves. «L’ennemi n’est jamais à la hauteur du mythe. »
Le père de Joann est un héros, « Mon papa ». Avocat au barreau, violent au volant, son père est un des rares juifs, à s’être fait tabassé à Sétif dans une manif des musulmans réclamant le droit de vote. Il sera dirigé , quatre ans avant l’indépendance vers Nice, y fera cent métiers puis avocat. Un avocat qui se félicite de ses acquittements, de la victoire du droit et qui ouvre le premier centre de consultation gratuit pour les femmes victimes de violences conjugales.
Joann Sfar | Musée d'art et d'histoire du JudaïsmeLe drame de Joann Sfar, c’est la mort de sa mère. Et cette histoire remonte en lui quand il est hospitalisé pour le Covid à 49 ans. Il se sent perdu et dialogue alors avec un lion, Joseph Kessel, le sublime héros et auteur de l’Armée des ombres. Kessel c’est une bouée contre le chavirement. Il écoute des enregistrements de l’écrivain venu de Lituanie. Kessel qui aurait pu tuer Hitler s’il ne l’avait pas trouvé si minable. Entre Les mains du miracle de Joseph Kessel et cette bande dessinée d’un jeune juif niçois, on devine des parallèles.
Dans son livre, Joseph Kessel raconte l’histoire incroyable du masseur Félix Kersten qui soigna le Reichführer Heinrich Himmler pendant la seconde guerre mondiale et qui parvint à sauver des milliers de juifs et à épargner des peuples, notamment le peuple hollandais de la faim, de l’exil forcé ou de la mort. Cette collaboration atroce pour le docteur permit d’atténuer le mal. Le livre rend compte à quel point les dirigeants nazis étaient de grands malades psychiques et que leur souffrance n’avait d’égal que celle qu’ils infligeaient à leurs victimes. Joann Sfar, qui ne se défend jamais de rencontrer des fachos a tôt fait de deviner que le Mal provient du Mal, que le souffrance venait d’une autre souffrance. Adolf Hitler souffrait d’une paralysie syphilitique cachée.
N’étant pas rebouteux, Joann Sfar explique avec ses deux mains l’histoire des juifs dans ces dessins. Une manière de raconter comme Kessel et de soigner comme Kersten.

Antisémitisme : Constance ou aggravation ?

En CM2, Joann Sfar rencontre l’anti-sémitisme. Des croix gammées sont tracées dans sa classe avec son nom. Dans les années 80, le retour de l’antisémitisme se fait sentir avec le révisionniste Faurisson : « Les juifs au four » réapparaissent sur les murs. L’attentat de la rue Copernic le 3 octobre 1980 qui provoque la mort de 4 personnes et fait 46 blessés, sonne comme une vieille chanson. Raymond Barre a des propos indécents et antisémites en regrettant la mort des « français innocents ». La piste de l’attentat oscille entre l’extrême droite et le Liban. Les jeunes juifs ne se laissent pas faire et vont vaillamment traquer l’extrême droite française. 64 tombes du carré juif du cimetière du château à Nice sont saccagées. A Nice toujours, quelques bras vont être cassés devant le tribunal après qu’André Sfar est obtenu la mise sous fers d’un fasciste. André Sfar défend la Loi. Un jour il casse la gueule d’ un automobiliste et accepte d’être mis à pied durant trois mois. Il veut apprendre la loi à son fils mais le moque quand celui-ci ne se sert pas de ses poings contre les fachos. Joann Sfar y viendra, sans haine.
Depuis les années 70, tout juif dans le monde devient un défenseur supposé de l’État d’Israël. Chacun est sommé de choisir son camp. Son père divorce alors de la cause palestinienne. « Mon père a toujours été très sioniste et très pro palestinien. » Entré au conseil municipal de Nice sur la liste de Jacques Médecin, il en démissionne quand Jean-Marie Le Pen tient meeting avec un ex-nazi dans la ville. Le jeune Sfar lui, cauchemarde l’arrivée de Jean-Marie Le Pen au comptoir de son bar préféré. Il tente alors de le convaincre du talent de Chagall. Il réfléchit aux 70 000 exemplaires des pamphlets antisémites vendus par Céline. Sans rappeler les succès de Maurras ou de Drumont avec son ouvrage délirant, La France Juive.
Joann Sfar serpente et s’introspecte à la façon de son chat. Comment se revoir dans le passé, comment être honnête avec son histoire? Il dessine toujours en attendant que sa mère revienne, sans paraître en être trop affecté.
On ne sera rien de la mère de Joann Sfar. Elle est la part manquante de ce livre. Son père, sorte de héros attique sert d’étalon au récit. Son grand-père maternel est partisan de la non-violence alors qu’il a combattu pendant la seconde guerre mondiale : « …j’aurais honte de toi si tu glorifiais le meurtre. C’est qu’avec tous mes coups de fusil, je n’ai sauvé personne . »Et Joann, mauvais élève au krav-maga se demande comme Hugo Pratt, s’il ne désire pas être inutile. « Dés qu’on est bien certain d’être inutile, tout va mieux. » Ne pas choisir entre la violence et la loi. Tout est échec. A ceci prés qu’« il faut faire des livres et espérer se faire des amis. » On ressent le plaisir de dessiner Nice, la mer, les palmiers, le soleil et parfois la pluie quand même dans les rues de la cité qui a vu naître Garibaldi ou Simone Veil.
On ne peut qu’être d’accord. Sauf quand il fait parler Abba Kovner, résistant juif du ghetto de Vilnius qui a collecté des chansons yiddish et voulu empoisonner les nazis. Un de ces héros sionistes combattants. La haine subie par Abba Kovner l’a poussé à rendre tout le monde complice, jusqu’aux Arabes.
Joann Sfar répond à une question par une autre question. Si dans la religion juive, le souffle c’est la vie, quel souffle dans ce livre !
Joann Sfar, La synagogue, Dargaud, sort le 30 Septembre 2022, 25.50 Euros. 208 Pages.

BILLET DE BLOG par Christophe Goby

marsactu.fr

 

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