Credit Suisse, SVB… La crise bancaire ne fait que commencer

“Tout est sous contrôle.” C’est ce que répètent à l’envi gouvernements et autorités bancaires. C’est que, pour sortir des fortes turbulences provoquées par la chute de la SVB en Californie et le rachat de Credit Suisse par UBS, il faudrait rétablir la confiance. Mais ce n’est pas si simple, explique “Die Zeit”.

Voilà quatorze ans et cinq mois que la banque d’investissement Lehman Brothers a fait faillite. C’était le 15 septembre 2008, un lundi. Tout au long du week-end, banquiers, gouverneurs de banques centrales, représentants des autorités bancaires et ministres des Finances avaient fiévreusement cherché à organiser son sauvetage.

De même, le week-end [des 18 et 19 mars], banquiers, gouverneurs de banques centrales, représentants des autorités et ministre des Finances ont planché fiévreusement pour trouver une solution à la situation chancelante de Credit Suisse. Cette impression de déjà-vu, les nouvelles règles [introduites après 2008] auraient pourtant dû l’exclure.

Comment en est-on arrivé là ? Toutes les réformes financières n’auraient-elles donc servi à rien ?

D’une certaine façon, ce sont de mauvaises questions. La vérité, que le secteur bancaire et la classe politique se gardent de rappeler, est simple : les banques peuvent s’effondrer. Il s’agit d’entreprises. Et il arrive que les entreprises se trompent dans leurs calculs, prennent de mauvaises décisions ou n’aient pas de chance. La différence entre les institutions financières et les autres entreprises réside dans l’importance qu’ont les premières pour le reste de l’économie.

Si un gros constructeur automobile fait faillite, c’est tout aussi dramatique, à n’en pas douter. La perte d’emplois et de recettes fiscales peut plonger toute une région dans la crise. Ces risques sont cependant bien plus importants et vont bien plus loin pour les banques, car elles font partie d’un système dont les ramifications mondiales sont bien plus grandes que tous les autres. C’est la meilleure façon d’expliquer pourquoi l’effondrement d’une banque régionale de taille moyenne spécialisée dans les start-up comme la Silicon Valley Bank (SVB), en Californie, a fini par faire plonger Credit Suisse, une institution fondée en 1856. Les faillites de banque, c’est comme les cafards, explique David Kotok, un vétéran de Wall Street du cabinet de gestion de patrimoine Cumberland Advisors : “Elles se multiplient dans l’obscurité et n’arrivent jamais seules.”

Les effets sur l’économie d’un désordre bancaire

Autre vérité : les banques sont indispensables au bon fonctionnement de notre économie. On en voit déjà les effets, une semaine seulement après l’effondrement de la SVB. Ce sont surtout les banques régionales qui en pâtissent parce qu’elles se heurtent désormais à une grande méfiance et sont contraintes de réduire leurs prêts. Le secteur immobilier américain, dont l’activité était déjà ralentie par la hausse des taux d’intérêt, risque un arrêt brutal. Cela aura un effet sur le bâtiment, moteur essentiel de l’économie aux États-Unis, et de là sur le marché du travail.

Voilà pourquoi les autorités s’efforcent toujours de sauver les banques. La SVB en est la plus belle illustration. Cette banque a connu une croissance agressive depuis quelques années. La direction et les autorités de surveillance ont tout simplement ignoré le risque alors qu’il grandissait. C’est à cette banque que les start-up prometteuses des États-Unis confiaient l’argent qu’elles avaient récolté auprès des investisseurs.

Quand le capital appelle l’État à la rescousse

Quand ces investisseurs, parmi lesquels des poids lourds du capital-risque comme Peter Thiel, ont vu leurs investissements en danger, ils ont demandé à cor et à cri l’aide de l’État. Un État que nombre d’entre eux se plaisaient à qualifier d’inefficace et d’hypertrophié. Si on avait laissé tomber la SVB, les ardents défenseurs de la liberté du marché auraient de fait subi les lois de ladite liberté.

Cela aurait également signifié que des centaines d’entreprises novatrices se seraient retrouvées en difficulté dans le monde. Comme cette entreprise de l’Arizona qui fabrique des systèmes optiques pour l’industrie des semi-conducteurs. Son patron a appris aux informations que les liquidités que sa société détenait à la SVB avaient peut-être disparu. “On n’aurait même pas pu payer les salaires”, confiait-il.

En revanche, les causes du sauvetage de la banque new-yorkaise Signature Bank (SBNY) ne sont pas aussi claires à première vue. Connue comme la banque des cryptospéculateurs, c’était aussi l’une des rares à financer des logements abordables – ou plus abordables – à New York. Quand on connaît la pénurie chronique de locations et le problème croissant des SDF dans la ville, on comprend pourquoi les autorités étaient prêtes à la sauver aussi.

Bénéfices privatisés, pertes socialisées

À peine les détracteurs de ce genre de mesures évoquent-ils un “moral hazard” (danger moral) et dénoncent-ils l’impunité dont jouissent les banques que les lobbyistes du secteur demandent l’extension des garanties accordées à la SVB et la SBNY à toutes les banques américaines. D’abord pour deux ans. Pas besoin d’être prophète pour savoir ce qui se passera au bout de deux ans s’ils obtiennent gain de cause : les bénéfices seront privatisés, les pertes socialisées.

Les règles qui devaient empêcher des situations comme celles de la SVB, la SBNY et Credit Suisse ne servent-elles donc à rien ? La réponse est simple : les nouvelles règles qui seront très probablement adoptées après ces événements n’empêcheront pas les banques de faire faillite. Les règles empêchent au mieux que des problèmes connus se répètent.

Une affaire de confiance

Car il y a un principe fondamental qu’on ne peut pas changer : une banque vit de la confiance de ses clients et de ses partenaires. Les règles ne font que créer un terrain qui justifie cette confiance. Une fois la confiance ébranlée, il est très difficile de la rétablir. Personne n’a envie d’apprendre un jour que son argent a disparu – comme le PDG de la start-up de l’Arizona. Clients et partenaires préfèrent ouvrir le parapluie et retirer leur capital avant. Et contribuent ainsi à la spirale mortelle.

Les autorités de régulation et les gouvernements tentent de restaurer cette confiance perdue en s’engageant. La confiance dans les institutions financières est ainsi remplacée par la confiance dans les institutions publiques. Si bien qu’à chaque crise le risque de perte retombe sur la collectivité.

C’est l’une des raisons pour lesquelles il faudrait une nouvelle réglementation. Mais les États-Unis, acteur majeur du marché mondial du capital, n’y ont jamais été prêts. Ils comptent tout simplement trop d’intérêts privés qui s’en sortiront cette fois encore. La vraie surprise de la crise financière 2023 serait qu’il en aille autrement.

Heike Buchter

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires