Joseph Kessel, Lion et Fils de l’impossible

En 1962, Joseph Kessel revendique son origine étrangère et s’enorgueillit de son judaïsme devant l’Académie française, qui lui ouvre ses portes en 1962 ; dans son discours d’abord – où il s’émeut qu’un « Juif d’Europe orientale » puisse rejoindre les immortels – mais également sur son épée, qu’il fait frapper de l’étoile de David !

Fils d’un médecin juif d’origine lituanienne et d’une mère juive russe, Joseph Elie Kessel est né, il y a 125 ans aujourd’hui, à Villa Clara en Argentine. Une terre qu’il ne connaîtra que peu, le contrat obtenu par son père n’étant que d’une durée de trois ans. De retour en Europe, les Kessel se rapprochent pour quelques années (1905-1908) de parents restés à Orenbourg dans l’Oural, avant de retrouver la France, où Samuel – le soutien de famille – a passé son doctorat.

« Le cuir des meilleurs boucliers n’arrête pas les griffes du lion »[1]

Élève du lycée Masséna de Nice, le jeune Kessel est bientôt admis, à Paris, au prestigieux lycée Louis-le-Grand. Mais la guerre éclate et l’énergie qui l’anime l’encourage à mentir sur son âge pour s’engager comme infirmier-brancardier dans l’armée française. Il n’a alors que 16 ans. Vif et polyglotte, il obtient – en pleine guerre –une licence de lettres, qui lui permet d’entrer, en 1915, dans le service de politique étrangère du Journal des débats, où l’ont précédé Chateaubriand et Victor Hugo. Reçu au Conservatoire, il fait des apparitions au théâtre de l’Odéon et vit déjà de sa plume. Mais le jeune journaliste est en quête d’adrénaline, de reconnaissance et d’héroïsme. Aussi rejoint-il à nouveau le champ de bataille, cette fois-ci dans l’artillerie, puis l’aviation.

« Les grands voyages ont ceci de merveilleux que leur enchantement commence avant le départ même. »[2]

Décoré de la croix de guerre et de la médaille militaire, Joseph Kessel demande la nationalité française. Il aime la France, autant que l’aventure. Alliant les carrières de romancier et reporter, il se rend en Irlande pour suivre la guerre qui oppose l’IRA à l’armée britannique, vole sur les premières lignes de l’aéropostale au-dessus du Sahara, navigue avec les négriers en mer Rouge… Ses articles sont publiés dans les grands journaux français d’alors. La Liberté, Le Figaro, Paris-Soir…

A la même période paraissent ses premiers romans, souvent inspirés d’expériences vécues. Dans la Steppe rouge (1922), Kessel explore la violence intime de la Russie bolchévique et dénonce le chaos qui mine la société soviétique. La plume de l’auteur s’y affirme déjà incisive. Son expérience de l’aviation lui sert, l’année suivante, de trame pour l’écriture de L’Equipage, un roman – plusieurs fois adapté au cinéma – sur la vie d’une escadrille d’observation pendant la Première Guerre mondiale. Mais c’est en 1926, avec Les Captifs, qu’il obtient la consécration. Ce retour sur une expérience malheureuse dans les sanatoriums pour tuberculeux lui permet de remporter le Grand prix du roman de l’Académie française. Auteur prolifique (certaines années paraissent trois, voire quatre œuvres !), Kessel fonde, en 1928 à Paris, l’hebdomadaire de droite, Gringoire, où débute un jeune auteur, Juif de l’Empire russe comme lui, « Roman Kacew » – dont le parcours sera, à maints égards, similaire à celui de son mentor. Quelques années plus tard, cet écrivain encore novice, et devenu un ami proche, se fera connaître du grand public sous le nom de… Romain Gary.

« On peut toujours plus que ce que l’on croit pouvoir »

Mais bientôt resurgissent les inquiétudes ; pour Kessel, c’est au contraire la moelle dont il se nourrit pour écrire ses articles, mais également ses romans, toujours quelque part autobiographiques. Le voilà reparti sur les routes, d’Espagne cette fois, pour couvrir la guerre qui oppose Républicains et Franquistes, puis du nord de la France pour sentir, au plus près, le désarroi qui anime les troupes françaises lors de la « drôle de guerre ». En juin 1940, la bataille semble perdue, mais qu’importe ! Kessel a l’étoffe des héros. Accompagné de son neveu, Maurice Druon (né Samuel Wild), il franchit clandestinement les Pyrénées pour gagner Londres et rejoindre les Forces aériennes libres. C’est à ce duo que la Résistance devra en 1943 son hymne de ralliement, le célèbre Chant des Partisans. Rendant hommage, la même année, aux fiers combattants de la clandestinité, dans L’Armée des ombres, il opère comme aviateur et termine la guerre comme capitaine d’escadrille.

Après-guerre, il couvre pour la presse française les événements qui scellent le sort des nazis et de leurs alliés (procès du maréchal Pétain, procès de Nuremberg), comme ceux qui inaugurent, pour le peuple juif, une ère nouvelle.

« Et mon avion fut le premier à toucher le sol de la Palestine libre »[3] Une de France-Soir, 19 mai 1948.

Le correspondant de guerre du journal France-Soir s’émeut de la déclaration d’Indépendance d’Israël, un pays pour lequel il nourrit un amour croissant.

Titulaire du visa n°1 du nouvel Etat, le grand reporter sillonne, à nouveau, cette terre qu’il a découvert avec émotion une vingtaine d’années plus tôt, en 1926, à l’occasion d’un reportage en Palestine mandataire. Cette terre ancestrale, qu’il retrouvera en 1961 à l’occasion du procès Eichmann, puis une dernière fois en 1970, lui rappelle ce besoin d’écrire, de poser sur le papier l’expression des sentiments qui l’animent. Sioniste, Kessel publie en quelques années Terre d’amour et de feu (1965), Israël que j’aime (1967) et Les Fils de l’impossible (1970), pour mettre des mots sur l’épopée d’un peuple revenu de son exil. Un témoignage éloquent et nourri de tendresse, écrit par un homme qui ignore presque tout du judaïsme de ses aïeux et qui s’est, jusque-là, montré fermé à toute forme de croyance. Lui qui a parcouru cent terres, vu mille merveilles, offre ainsi dans ses œuvres de vieillesse un hommage vibrant à cette terre historique qui lui rappelle d’où il vient.

« Un Russe de naissance, et juif de surcroît… »[4]

Devant l’Académie française, qui lui ouvre ses portes en 1962, Joseph Kessel revendique son origine étrangère et s’enorgueillit de son judaïsme ; dans son discours d’abord – où il s’émeut qu’un « Juif d’Europe orientale » puisse rejoindre les immortels – mais également sur son épée, qu’il fait frapper de l’étoile de David !

Plus de romans que d’années d’existence, ainsi pourrait se résumer la vie du romancier globe-trotter aux mille vies. Voyageur, soldat – gradé et médaillé – aviateur, résistant, écrivain, reporter… aucun qualificatif ne semble pouvoir embrasser la complexité de celui qui, comme personne – pas même Hemingway ou Albert Londres – sut saisir tant l’horreur que la grandeur du XXe siècle.

EMMANUEL ATTYASSE www.yedia.org
Historien et linguiste de formation, Emmanuel Attyasse est Président de « Patrimoine et culture du Judaïsme » (PCJ) – Spécialiste des transferts culturels et du patrimoine juif.

[1]  Joseph Kessel, Le Lion, 1958.
[2] Joseph Kessel, La Vallée des Rubis, 1955.
[3] Une de France-Soir, 19 mai 1948.
[4] Discours d’investiture de Joseph Kessel devant l’Académie française, le 22 novembre 1962. 

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