Et si les négociations tombaient à l’eau ?

Malgré la reprise des pourparlers indirects entre Washington et Téhéran, l’espoir de parvenir à un accord n’a jamais semblé aussi loin, ouvrant la voie à de nombreuses tergiversations sur l’éventuelle marche à suivre pour Washington en cas d’échec.

Depuis six mois, les avertissements se suivent et se ressemblent, évoquant la possibilité d’un accord sur le nucléaire entre Washington et Téhéran, mais à la faisabilité limitée dans le temps et contraint par une multitude d’obstacles. Dans ces circonstances, c’est peu dire que depuis la reprise le 29 novembre des pourparlers indirects entre les deux ennemis, personne ne semble y croire. Ni les principaux acteurs ni les Européens qui jouent les go-between. Les négociations semblent en péril et l’inaboutissement qui les guette soulève une question : quelle est la prochaine étape ? Une interrogation que ravivent tout particulièrement les gesticulations israéliennes. Samedi dernier, le ministre de la Défense a déclaré que les discussions sur le nucléaire à Vienne ne donnaient à voir « aucun progrès », qu’il avait en conséquence demandé à l’armée de se préparer à une option militaire contre la République islamique et informé ses homologues américains de l’initiative.

Si Washington veut absolument préserver la voie diplomatique – ne serait-ce que pour se distinguer de l’administration précédente dont elle a condamné l’approche jusqu’au-boutiste sur le dossier iranien –, toutes les options sont désormais sur la table, à plus forte raison que la situation paraît plus inextricable que jamais. D’emblée, Washington a mis en garde Téhéran contre des pourparlers qui s’éterniseraient. Pas d’ultimatum en vue, mais une fenêtre d’opportunité qui se referme petit à petit. « À défaut de progrès rapides (…) le JCPOA deviendra très prochainement une coquille vide », ont déclaré conjointement Londres, Paris et Berlin lundi soir, ciblant notamment le franchissement par Téhéran de nouvelles phases dans l’enrichissement d’uranium, au point de se rapprocher des 90 % nécessaires à la confection d’une bombe, objectif que dément toutefois la République islamique.

Entre les États-Unis et l’Iran, c’est un dialogue de sourds. Impossible pour l’un de garantir à l’autre qu’aucune administration ultérieure ne se retirera du marché conclu et que l’expérience vécue avec Donald Trump à la Maison-Blanche ne se répétera pas. L’ancien président avait unilatéralement soustrait son pays en 2018 aux engagements qui s’imposaient à lui dans le cadre du Plan d’action global commun (JCPOA) – signé par son prédécesseur en 2015 – et réimposé les sanctions contre la République islamique avant de les durcir, dans le cadre d’une politique dite de la « pression maximale ».

Impossible également pour Téhéran de lâcher du lest avant d’obtenir des garanties de son interlocuteur, puisque celui-ci a le premier rompu le serment. Baisser la garde ou faire des compromis pourrait, du point de vue iranien, être assimilé à un aveu de faiblesse qu’exploiteraient ensuite ses rivaux à l’envi. Une conviction d’autant plus affirmée qu’une partie des durs du régime paraît considérer rétrospectivement les avantages économiques que leur avait fait miroiter l’accord de Vienne comme étant moindres que prévu. D’où, entre autres, la persistance des requêtes réclamant l’annulation de toutes les mesures punitives, nucléaires comme non nucléaires.

Le transfert de l’or noir

Pour Sanam Vakil, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord au centre de réflexion Chatham House, « si les négociations aboutissent à une impasse, il existe deux scénarios. L’un serait que les diplomates proposent un accord du “moins pour moins” afin d’arrêter les progrès nucléaires de l’Iran pendant que de nouvelles stratégies sont développées. Un second serait de faire pression sur l’Iran par le biais de sanctions et de pressions coordonnées entre l’Europe et les États-Unis ».

Dans le premier cas, Washington proposerait à Téhéran une levée partielle des sanctions en échange d’un gel ou d’un retour en arrière sur une partie de ses activités nucléaires. Une perspective dont Israël ne veut pas entendre parler, sous prétexte qu’il s’agirait d’un cadeau au nouveau gouvernement iranien dirigé par l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi, proche des gardiens de la révolution (IRGC) et aligné sur les positions du guide suprême Ali Khamenei. Depuis fin novembre, la divergence entre l’État hébreu et Washington à ce sujet s’est progressivement affichée au vu et au su de tous.

Le second cas, lui, implique de faire monter la pression diplomatique et économique sur Téhéran. « L’UE pourrait rétablir ses propres sanctions contre l’Iran et, en dernier recours, un membre permanent européen du Conseil de sécurité de l’ONU – la Grande-Bretagne ou la France – pourrait formellement avoir recours au “snapback”, mettant ainsi un terme au JCPOA  », analyse Barbara Slavin, directrice de la Future of Iran Initiative au sein du think tank Atlantic Council, précisant toutefois que le point de non-retour n’a pas encore été atteint. La résolution 2231 du Conseil de sécurité de l’ONU contient des dispositions dites de « snapback », c’est-à-dire de réimposition de sanctions globales à la suite d’un signalement par un membre d’une violation importante du JCPOA. Selon le média Axios, le Royaume-Uni en particulier soutiendrait cette approche. Mais pour l’heure, cette possibilité ne semble pas d’actualité, à plus forte raison que Washington et ses alliés occidentaux doivent composer avec leurs partenaires régionaux russe et chinois sur ce dossier. Or tous deux sont proches de l’Iran.

L’une des cartes à jouer par Washington pourrait aussi s’illustrer par l’organisation d’une session spéciale du Conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), dans le but de censurer la République islamique, à couteaux tirés avec cet organe de l’ONU. Les inspecteurs de l’AIEA se sont vu refuser à plusieurs reprises l’accès au site nucléaire de Karaj, où ils devaient installer des caméras de surveillance, endommagées après un acte de sabotage en juin dernier attribué par l’Iran à Israël. En novembre, l’AIEA avait cependant décidé de ne pas voter la motion de censure contre Téhéran pour ne pas fragiliser un peu plus les négociations à la veille de leur reprise. Mercredi, la République islamique s’est finalement entendue avec l’agence pour mettre à jour les appareils abîmés, comme s’il s’agissait d’empêcher que les discussions rendent complètement l’âme.

« Les États-Unis pourraient s’efforcer de durcir les sanctions secondaires et de s’attaquer peut-être aux entreprises en Chine et aux Émirats arabes unis (EAU) qui facilitent les ventes de pétrole iranien », estime en outre Barbara Slavin. Certes, Pékin avait effectivement joué un rôle constructif dans le cadre des négociations ayant abouti à l’accord de Vienne en 2015. Mais aujourd’hui, le fossé avec Washington s’est creusé et il semble a priori peu disposé à donner des gages aux Américains. Si les pourparlers entre la République islamique et les États-Unis sont rendus caducs, Washington pourrait tenter de resserrer l’étau autour de Téhéran en mettant à mal les ventes de pétrole iranien à destination de la Chine. Il s’agirait d’abord de tenter de convaincre Pékin de couper les importations en provenance d’Iran, puis de sanctionner par exemple une compagnie maritime chinoise impliquée dans le transfert de l’or noir. « Une bonne partie du pétrole iranien destiné à la Chine transite déguisé de diverses manières. Ces derniers mois, la Chine a par exemple importé de Malaisie plus de pétrole que la Malaisie n’en produit réellement », note Patrick Clawson, directeur de recherche au sein du Washington Institute. « Cela suggère fortement que le pétrole iranien est transféré d’un navire à l’autre en mer et que le nouveau navire proclame que l’expéditeur est la Malaisie », poursuit-il. Quant aux EAU, malgré les tensions géopolitiques qui les opposent, ils représentent le deuxième partenaire commercial de l’Iran et font office d’intermédiaire pour les transactions commerciales et financières de la République islamique avec d’autres pays.

L’option militaire

Reste enfin l’option militaire. Certaines étapes plus agressives telles que les cyberattaques pouvaient paraître efficaces il y a quelques années, mais semblent désormais inadaptées à la situation. Un article du New York Times datant du 21 novembre rappelle l’existence d’un consensus au sein de l’Agence de sécurité nationale sur le fait qu’il serait aujourd’hui beaucoup plus difficile de mener une opération secrète comme celle conduite il y a plus de dix ans par Washington et Israël – l’opération « Jeux olympiques » – qui avait paralysé les centrifugeuses du site d’enrichissement nucléaire de Natanz durant plus d’une année. Pour la Maison-Blanche comme pour l’État hébreu, la République islamique a non seulement depuis consolidé sa défense, mais elle a également développé ses propres cyberforces, qui selon les autorités seraient de plus en plus actives aux États-Unis.

Pour autant, l’option d’une attaque directe semble loin d’être imminente pour Washington. L’administration Biden paraît en effet considérer la campagne de sabotage menée par Israël contre le programme nucléaire iranien au cours des dernières années comme vaine, Téhéran étant parvenu à rétablir les activités sur les sites visés et à y installer de nouvelles centrifugeuses. « La philosophie israélienne, c’est ce qu’ils appellent “la pelouse tondue”. L’herbe continuera de pousser et la tonte permettra juste de l’arrêter pour une période. Les Israéliens ont l’expérience des guerres intermittentes, avec le Hamas ou le Hezbollah », avance Patrick Clawson. « Pour les Américains en revanche, il s’agit d’atteindre un objectif final », ajoute-t-il.

Depuis quelques mois, Israël critique de plus en plus ouvertement l’approche américaine dans le dossier iranien. Dans son collimateur ? Ce qu’il perçoit comme une forme d’inertie vis-à-vis des attaques que subissent les alliés de Washington dans la région de la part du réseau de supplétifs de la République islamique, le tout pour arriver coûte que coûte à un accord avec Téhéran. À la veille de la reprise des négociations, le Premier ministre israélien Naftali Bennett s’est dit prêt à intensifier la confrontation avec l’Iran, précisant que son pays ne serait aucunement lié par un nouveau deal nucléaire avec plusieurs puissances internationales. La tension est encore montée d’un cran cette semaine avec les annonces précitées du ministre de la Défense. Seul hic, en dix ans, le programme nucléaire iranien a considérablement gagné en résilience. Israël n’a donc aujourd’hui pas les moyens, à lui seul, de lancer une offensive directe contre Téhéran, et Washington ne semble pas prêt à l’accompagner.

« Il s’agit plus de politique intérieure israélienne que d’une véritable option militaire qui pourrait suffisamment endommager le programme nucléaire iranien pour que les risques en valent la peine. L’Iran a beaucoup d’installations trop bien protégées pour être détruites et Israël n’a pas la capacité de leur infliger à lui seul de graves dommages. Il aurait besoin du soutien des États-Unis et de l’accord des pays arabes pour que ses avions puissent les survoler », souligne Barbara Slavin. Aussi hostiles que soient les relations entre Téhéran d’une part, Abou Dhabi et Riyad de l’autre, aucun n’est prêt à franchir ce genre de Rubicon. Les Émirats arabes unis en particulier veulent tenter de se préserver dans l’éventualité d’une confrontation irano-américaine. « De plus, les radiations potentiellement déclenchées par les frappes israéliennes tueraient ou rendraient malades des dizaines de milliers d’Iraniens et constitueraient un crime de guerre. Sans parler des roquettes que le Hezbollah et le Hamas lanceraient sur les villes israéliennes et les dommages qu’Israël causerait au Liban en retour. »

LOLJ

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires