Michel Abitbol, Histoire des juifs (Perrin)

par Maurice Ruben Hayoun

 

 

 

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Voici un ouvrage qui ne manquera pas de devenir un classique de la bibliothèque historique puisqu’il embrasse dans une même synthèse de qualité, tant de siècles de l’histoire des Juifs.

En outre, j’aime ce titre car il m’a fait immédiatement penser à celui choisi jadis par le père-fondateur de l’historiographique juive moderne, Heinrich Grätz.

Il y a de nombreuses années j’avais traduit de l’allemand en français la Construction de l’histoire juive de ce dernier qui y livrait une sorte de discours programmatique.

Mais dans ce discours, l’auteur n’envisageait que l’histoire intellectuelle, ce qui répondait aux attentes du philosophe-historien que je suis.

Le savant historien s’est aussi concentré sur la période talmudique dans son thèse de doctorat (Gnosticisme et Judaïsme, Krotoschin, 1845), thèse traduite dans le même volume que la Construction de l’histoire juive.

Comment faire œuvre d’historien ? Faut il imiter Tacite, Suétone et quelques autres comme Flavius Josèphe ou rédiger une vraie histoire, en se fondant sur des documents dans la mesure où ceux-ci sont éminemment fiables ?

Me revient en mémoire la phrase de Novalis, l’auteur du roman d’e formation, Heinrich von Ofterdingen, selon qui ne doivent faire œuvre d’historiographes que les hommes qui craignent Dieu…

On n’en est plus là, grâce soit rendue au Ciel. Mais il faut reconnaître qu’il y a quelque chose de surnaturel, de quasi-divin dans cette entreprise: relater ce qui s’est produit il y a bien longtemps, sans être sur place.

Et le restituer avec la conscience du temps présent et non plus celle du temps jadis. Prenons pour exemple la vie de Néron, accusé des pires méfaits (meurtre de sa propre mère, incendie de Rome, etc…). Tacite et ses collègues ne relatent pas les mêmes choses.

Commençons par l’histoire juive à l’époque biblique. Nous savons, grâce à la critique biblique, que la Bible, document religieux qui se dit révélé, procède à une lecture théologique de l’Histoire, et très précisément de ce qui est arrivé à ce peuple juif, dit peuple élu, dont le développement, donc l’histoire, est coextensive à celle de Dieu lui-même puisqu’il est le seul facteur efficient de sa vie.

Prenons les livres historiques, tels que les regroupe le célèbre critique biblique Martin Noth : ils sont au nombre de six avec pour introduction générale le livre du Deutéronome, un livre dont l’origine tardive n’est contestée par personne et qui prétend annoncer des événements qui sont déjà arrivés, les présentant comme une punition divine : en effet, l’exil et la déportation générale sont présentés comme le châtiment suprême à venir alors qu’il est déjà là, vécu par le rédacteur.

Après le Deutéronome viennent le livre de Josué, les Juges, les livres de Samuel et des Rois où seule la main de Dieu est attestée comme étant réellement efficiente. Comment faire ainsi de l’histoire ?

Selon la critique biblique, c’est bien cette fameuse école deutéronomiste qui a servi de moule, de matrice à cette historiographie .

C’est bien ce que j’ai tenté de montrer dans mes ouvrages sur Abraham, un patriarche dans l’histoire (Ellipses), Le roi David (Perrin) et Joseph, un esclave hébreu devenu vice-roi d’Egypte (Hermann). Il est donc hautement difficile de fournir une histoire biblique réellement historique.

La deuxième difficulté rencontrée par tous les historiens consiste en un défi : comment un peuple-monde, dispersé durant près de deux millénaires a –t-il pu se préserver en tant que peuple, doté d’une foi commune, d’une langue commune et d’une patrie commune, envers et contre tout.

L’historien est aussi en droit de se poser cette angoissante question : à quoi aurait ressemblé le judaïsme aujourd’hui s’il n’y avait pas eu la destruction du Temple de Jérusalem en l’an 70 de notre ère et la dispersion sur toute la surface du globe ?

Ce sont de larges pans du vécu et du penser de ce peuple qui n’auraient jamais connu la lumière du jour, à commencer par la littérature talmudique dont les développements cherchent toujours à expliquer ce que doit être la vie juive en exil (gola). Signalons le veau texte du grand historien Fritz Isaac Baer sur cette même Galouth (1936).

Bien avant l’auteur de ce bel ouvrage dont il est ici question, de grands historiens allemands du XIXe siècle (pour s’en tenir à de bons représentants de la Science du judaïsme : Wissenschaft des Judentums) comme Isaac Markus Jost, Léopold Zunz, et par la suite Grätz, se sont attelés à cette tâche exaltante.

Il faut aussi signaler S. Dubnov et d’autres. Ils furent relayés par des auteurs plus proches de nous comme Salo Wittmayer Baton, sans même parler de l’historiographie moderne hébraïque. Baron, par exemple, s’est concentré sur l’histoire sociale et religieuse du judaïsme. Sans jamais, toutefois, négliger l’histoire intellectuelle, c’est-à-dire l’histoire des science ou des idées.

Les juifs ont eu, au cours de leur longue histoire, le choix d’adhérer ou de ne pas adhérer à d’autres civilisations ; ce fut le cas avec l’empire hellénique, l’empire arabo-musulman et enfin l’empire germanique. Aucune symbiose n’a pu réussir avec ces trois cultures bien que l’élément juif y soit assez présent, surtout pour les deux dernières … .

La civilisation islamique a connu une incroyable floraison dans le domaine de la philosophie et des sciences, sans oublier le domaine linguistique : un philosophe comme Moïse Maimonide (1138-1204), fin connaisseur de la langue arabe, a écrit son œuvre majeure, Le guide des égarés en arabe mais avec des caractères hébraïques…

Toutefois, cette symbiose a buté contre ses limites puisque cet auteur a dû quitter son lieu de résidence nuitamment afin de placer toute un mer entre lui et de zélés convertisseurs. Quant à la symbiose judéo-allemande, ce fut bien pire puisqu’elle nous a laissé la Shoah en héritage. Mais cela ne signifie nullement que le solde culturel qui demeure soit négatif.

Ces considérations sur la philosophie de l’histoire des juifs ne restreignent en rien les mérites de ce grand livre (presque mille pages avec notes, bibliographie et index) qui deviendra pour les étudiants en histoire un livre de référence.

La seule question que je continue de me poser comme philosophe, c’est celle-ci/ Est ce que les Juifs ont une Histoire ou n’ont ils qu’un destin ? C’est le titre d’une conférence en allemand que j’ai prononcée devant les membres de la Loge Augustin Keller à Zurich…

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

 

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