Simone Weil, Etude pour une déclaration des obligations envers l’être humain… et autres textes (Gallimard) par Maurice-Ruben HAYOUN

Résultat de recherche d'images pour "Simone Weil, Etude pour une déclaration des obligations envers l’être humain… et autres textes (Gallimard)"

J’entendis pour la première fois, en Sorbonne, nom de cette philosophe, née juive mais séduite par le christianisme, , lors du séminaire hebdomadaire de mon maître, le professeur Georges Vajda, sur la pensée juive du Moyen Age. Je ne me souviens plus du prétexte à une telle mention, mais la phrase prononcée par ce savant, il y a plus de quarante ans, s’est gravée dans ma mémoire : Simone Weil qui a tout très bien compris sauf le judaïsme… Cela me trouble aujourd’hui encore, même lorsque, dans un ouvrage récent consacré à l’œuvre d’Emmanuel Levinas, j’expliquai les réserves et les réticences du philosophe du visage à l’égard de cette femme qui naquit en 1909 à Paris, suivit les cours d’Alain au lycée Henri IV, rejoignit l’ENS, se présenta avec succès à l’agrégation de philosophie et enseigna à son tour quelques années. Elle décida d’aller travailler en usine afin de ressentir directement ce qu’éprouvaient les ouvriers…
En 1940, elle quitta Paris pour Marseille avec ses parents. Elle finit par trouver refuge aux USA et de là partit rejoindre la France combattante du général de Gaulle à Londres. Elle manifesta le désir de se rendre en France occupée afin de rejoindre la Résistance. Cette demande ne fut pas acceptée . Simone Weil était atteinte de tuberculose. Elle cessa de se soigner et mourut en 1943 à Ashford. Les testes réunis dans ce fascicule ont été publiés à titre posthume.
Les idées développées ici, et qui étaient destinés à servir de modèle aux nouvelles institutions de la République française après la défaite des Nazis, portent sur le caractère sacré de la personne humaine, l’inaliénabilité de sa dignité et la nécessité de rejeter toute source du mal. Il est vrai que la situation politique et militaire de l’Europe et de l’ensemble du monde libre ne pouvaient que dicter à cette philosophe de si sombres spéculations sur l’avenir de l’humanité. Elle insiste tant sur la globalité de l’humain en tant que tel ; elle souligne la nécessité de ne pas fragmenter l’être humain et de ne déclarer sacrés que certains de ses aspects. C’est la totalité dans son ensemble qui compte, c’est le noyau insécable qui est sacré. Vu que Weil a succombé à la maladie en 1943, je me demande si elle avait eu connaissance de la Shoah, l’horreur absolue.
Voici une citation tirée des toutes premières pages de l’article, La personne et le sacré : Il y a dans chaque homme quelque chose de sacré. Mais ce n’est pas sa personne. Ce n’est pas non plus la personne humaine. C’est lui, cet homme, tout simplement. Qu’est ce à dire ? Que l’être humain, chaque être humain, constitue un ensemble unique en son genre et qu’il est irréductible à autre chose, pas même à un autre être humain.
Selon la philosophe, un homme serait, pour parler comme Paul Ricoeur , insubstituable. Sa dignité dans le règne de l’humain est incomparable, insaisissable. Il est curieux de voir apparaître de telles spéculations à une époque d’une indépassable barbarie, où l’être humain ne comptait plus en tant que tel, et ce, en raison de sa pseudo origine raciale ou de son appartenance religieuse. On sent aussi affleurer une pointe à l’égard du personnalisme qui se serait gravement trompé dans son analyse.
Simone Weil évoque ensuite le droit, le bien et le mal. Selon elle, il y a chez l’être humain, depuis la plus tendre enfance jusqu’à la tombe, l’attente qu’on lui fasse du bien et non du mal, en dépit de l’amoncellement de tous ces crimes commis et soufferts : c’est cela, avant toute chose, qui est sacré en tout être humain. Le bien est la seule source du sacré.
Selon les différents domaines de l’activité humaine, le sacré se présente à nous sous une forme spécifique : dans la science, c’est la vérité qui est sacrée et dans l’art, c’est la beauté. Simone Weil en vient à présent à mieux cerner ce qu’il y a d’impersonnel en soi et qui conditionne ce degré de sacralité : La perfection est impersonnelle. La perfection en nous, c’est la part de l’erreur et du péché. Tout l’effort des mystiques a toujours visé à obtenir qu’il n’ y ait plus dans leur âme aucune partie qui dise «je»
Cette référence aux mystiques rappelle aussi les pratiques de certaines sectes hassidiques suivant lesquelles, le sujet en quête de Dieu ou de perfection absolue doit procéder à une sorte d’auto annihilation, disparaître en tant sur sujet volitif afin de se dissoudre dans une sorte de néant, face à Dieu qui est tout. La même méthode se retrouve aussi dans certains textes arabes du Moyen Âge où le visionnaire s’abîme dans l’être universel au point même de perdre sa personnalité : la vision du sommet s’accompagne d’une mort mystique.
S.W s’interroge ensuite sur la part prise par la pratique des sciences et des arts dans l’épanouissement de l’individu. Elle aborde aussi le problème du collectif et de l’impersonnel. Enfin, souvenons nous de ce que je notais au début de ce papier, à savoir qu’elle avait tout abandonné pour aller travailler en usine. Du coup, elle s’interroge sur le vécu d’un petit gars (sic) qui travaille à la chaîne, soumis à un rythme d’enfer. Elle stigmatise aussi l’attitude des syndicats qui font mine de protéger et de défendre les travailleurs en ramenant toujours tout au salaire. Elle prend des accents très émouvants lorsqu’elle parle de ces cris poussés par des êtres que personne n’écoute, en raison de la solitude morale qui enchaîne les individus.
Qu’est-ce que le droit ? S.W. demande de ne pas confondre cette notion avec une autre, très proche, la justice. Dans ce contexte, elle cite l’Allemagne hitlérienne qui maquille le fait qu’elle bafoue gravement le droit en enveloppant certaines de ses actions condamnables dans un habillage juridique : le droit est par nature dépendant de la force… Les Romains qui avaient compris comme Hitler que la force n’a la plénitude de l’efficacité que vêtue de quelques idées, employaient la notion de droit à cet usage… Citant Antigone, S.W. conclut : Le droit n’a pas de lien direct avec l’amour.
Dans la suite de son texte, S.W. se fait la porte-parole et le défenseur des pauvres, des malheureux, des sans voix et des sans grade qui ne savent même pas formuler leurs revendications lesquelles n’en sont que plus urgentes. La philosophe adhère à ce combat là de toutes les fibres de son être. Elle nous garderait sous son charmes jusqu’au bout, n’était cette ambiance de tristesse et de malheurs, qui sont omniprésentes dans ses écrits. Elle nomme ceux qu’elle défend avec force, les malheureux. Certains passages sont d’une poignante beauté : Seul ce qui vient du ciel est susceptible d’imprimer réellement une marque sur terre…. Si un esprit captif ignore sa propre captivité, il vit dans l’erreur. … Toujours au sujet de cet être qui ignore tout de sa vraie condition, elle écrit : … Il est au-delà de ce que les hommes nomment intelligence, il est là où commence la sagesse.
Un peu d’optimisme, cependant : Tout ce qui procède de l’amour pur est illuminé par l’éclat de la beauté… Justice, vérité, beauté sont sœurs et alliées. Avec trois mots si beaux, il n’est pas besoin d’aller en chercher d’autres.
Tout ce beau texte tourne autour d’un idée, d’un concept, le mal qu’il faut éviter a tout prix et qui suscite cette poignante interrogation ; mais pourquoi me fait on du mal ? C’est la complainte ; immortalisée par Job et par le Christ, sans oublier tout le peuple d’Israël et à laquelle la philosophe a tenté d’apporter une réponse.. La voici : ainsi, c’est aux hommes de veiller à ce qu’il ne soit pas fait de mal aux hommes . C’est aussi la réponse à la question de Caïn, suis-je le gardien de mon frère ?
Au fond, dans ce texte, S.W. se révèle une philosophe de l’éthique dont l’effort majeur consiste à éloigner le mal de tout être qui, sur son visage, porte les traits de l’humain.
Le texte suivant porte le titre : Luttons nous pour la justice ? Et pour réussir à comprendre à peu pr ès la pensée de l’auteur, il faut lire l’ensemble où nous trouvons un semblant de réponse à la question posée dans le titre. Voici ce que dit S.W. : Et puis, tels que nous sommes, est-il sûr que nous soyons à notre place dans le camp de la justice ?
Question étonnante au plus haut point, car après avoir déroulé bien des raisonnements, émis des rapprochements entre la pensée grecque, les Évangiles, la situation actuelle qu’elle vivait (France occupée, régime de Pétain dans la mère patrie, persécutions de toutes sortes), la philosophe défait ce qu’elle a développé plus haut. Sa pensée a aussi des relents mystiques ou, à tout le moins, mysticisants, quand elle écrit : la folie d’amour seule est raisonnable.
Sur quoi repose la justice, demande la philosophe. Sur le consentement, l’accord, l’obéissance, mais aussi une bonne intelligence des situations. Et d’écrire cette phrase lourde de conséquences ; les Grecs étaient trop naïfs, c’est la raison pour laquelle ce sont les Romains et non pas eux, qui bâtirent l’empire. Quels seraient alors les fondements de la justice, telle que l’auteur la définit à l’aide de pensées à la fois helléniques et évangéliques.
Car le consentement humain est chose sacrée. Il est ce que l’homme accorde à Dieu. Il est ce que Dieu vient chercher comme un mendiant auprès des hommes… L’acte de création n’est pas un acte de puissance. C’est une abdication.
L’idée ou la notion de justice varie selon les situations où l’on se trouve. Si un homme rôde le vendre vide, tenaillé par la faim et s’il commet un vol à l’étalage, doit-il subir les rigueurs d’une justice aveugle qui applique les lois sans réfléchir ? Ici, l’auteur rapproche la notion de charité de ses spéculations… Il faut être aveugle, dit elle, pour opposer justice et charité. Quand les deux notions sont opposées, la charité n’est plus qu’un caprice d’origine souvent basse et la justice n’est que la contrainte sociale… Il est juste de ne pas voler aux étalages. Il est charitable de faire l’aumône. Mais le boutiquier peut m’envoyer en prison. Le mendiant, quand même sa vie dépendrait de mon secours, si je le lui refuse, ne me défoncera pas à la police.
Selon le point de vue auquel on se place, le recours à la justice, le rôle qu’elle joue n’st plus du tout le même : le mendiant a tout juste le droit de mourir de faim à la suite d’atroces souffrances, tandis que moi je n’aurai rien à me reprocher puisque le spectre de la justice permet une telle injustice, un tel déséquilibre. A noter aussi, la constante référence à Dieu, au Christ et aux Évangiles et même un coup de griffe à l’encontre des pharisiens que S.W. appréhende dans une acception évangélique, ce qui ne correspond pas vraiment à la réalité historique…
Le dernier texte, le plus bref, est bien celui qui a donné son titre au recueil. L’auteur, qui est très sensible au platonisme considère que le bien pur est ce qui irrigue les réalités de notre bas monde. Il existe une source supérieure, issue des régions supérieures dont aucune âme humaine n’est déconnectée. Même les âmes les plus mal loties y sont reliées d’une manière définie.
Il m’est difficile de commenter plus avant mais je vais donner la liste des obligations et des besoins recensés par l’auteur dans les dernières pages de son texte :
L’âme humaine a besoin d’égalité et de hiérarchie. L’âme humaine a besoin d’obéissance consentie et de liberté. L’âme humaine a besoin de vérité et de liberté d’expression. L’âme humaine a besoin, d’une part, de solitude et d’intimité, d’autre part, de vie sociale. L’âme humaine a besoin de châtiment et d’honneur. L’âme humaine a besoin de propriété individuelle et collective. L’âme humaine a besoin de sécurité et de risque. L’âme humaine a besoin par dessus tout d’être enracinée dans plusieurs milieux naturels et de communiquer avec l’univers à travers eux.
A cette liste, loin d’être exhaustive, j’ajoute cette déclaration d’une grande importance dans la pensée de S.W. : Est criminel tout ce qui a pour effet de déraciner un être humain et d’empêcher qu’il ne prenne racine…

Maurice-Ruben HAYOUN

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève.  Son dernier ouvrage: La pratique religieuse juive, Éditions Geuthner, Paris / Beyrouth 2020 Regard de la tradition juive sur le monde. Genève, Slatkine, 2020

 

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

1 Commentaire
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Alex E. MERALI

Bien qu’elle fut dépressive, elle ne recueille de ma part aucune compassion. Un juif qui se convertit, surtout à l’idolâtre religion qui a tant tourmenté et malmené notre peuple, n’est rien qu’un félon et un lâche, sauf lorsqu’il n’est pas sain d’esprit, auquel cas il est plus ou moins irresponsable.