Pierre Vermeren, Déni français, Albin Michel 

 

 

 

 

 

 

Pour beaucoup de gens dans l’Hexagone, ce livre était ardemment attendu. Certes, il se range parmi tous les précédents ouvrages qui traitent du même thème : où va la France ? Que reste-t-il de l’identité française proprement dite, c’est-à-dire de la civilisation chrétienne ou judéo-chrétienne qui lui a donné naissance ?

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La question se pose depuis un certain temps puisque Nicolas Sarkozy avait créé un département ministériel de l’identité nationale… Et par la suite, lorsqu’il s’était présenté à la candidature il avait fait appel à un thème spécifique, la France de toujours. En d’autres termes, une France fidèle à la matrice judéo-chrétienne qui lui a donné naissance. Et en effet, que serait la France, fille aînée de l’Eglise, sans ses racines chrétiennes ?

Le présente ouvrage remonte à la guerre d’Algérie et au passé colonial de la France pour mettre à nu ce qu’il nomme les failles politiques et intellectuelles de la gouvernance de ce pays qui n’a pas d’autres zones d’influence que sa façade méditerranéenne : en d’autres termes les trois pays d’Afrique du nord, d’une part, et l’Afrique subsaharienne, d’autre part. La France a donc vécu sur cet héritage qui devient un frein, une charge après avoir été, dans le monde d’hier et d’avant hier, un moteur et un marché prometteur.

Ce qui est en cause ici, tout le monde l’aura compris, c’est la politique arabe de la France qui se trouve prise au piège d’une évolution qu’elle n’avait pas prévue ni surtout souhaitée… En lisant les développements de cet auteur qui connaît bien son affaire, je n’ai pu m’empêcher de penser au leurre de soi-même, à la volonté tenace de fermer les yeux et à pratiquer la politique de l’autruche.

Et d’ailleurs, pour être sûr d’être bien compris, l’auteur a fait imprimer le titre de son livre à l’encre verte (couleur symbolique d’une civilisation conquérante) et pour ne laisser aucun doute sur ses intentions profondes a ajouté en sous titre (Déni français) la traduction arabe et en caractères arabes. Fait totalement inouï !

On ne peut pas, dans le cadre d’un simple compte rendu, reprendre tous les détails de la démonstration mais on peut dire que l’auteur dénonce à juste titre les approximations des différents gouvernements vis-à-vis de cette politique arabe de la France qui laisse se produire sur le sol national ce qu’elle n’a pas réussi à imposer dans sa principale colonie d’hier, l’Algérie.

L’auteur fait aussi le procès de la formation ou du manque de formation de toutes les élites du pays. Et il pointe aussi deux trous noirs qui se révélèrent catastrophiques par la suite : l’absence de l’histoire des religions et de l’histoire de la colonisation. Et là encore, c’est l’Algérie qui occupe le devant de la scène, elle qui a envoyé dans le territoire métropolitain dix plus de sujets que le Maroc ou tout autre pays de la zone d’influence française.

En effet, que l’on soit ou non d’accord avec tous ces développements, la critique de la formation de l‘énarchie est fondée, notamment le fait de considérer la religion islamique comme les autres branches du monothéisme, lesquelles ont adopté un autre schéma de pensée et admettent que l’on sépare le spirituel et le religieux du politique, ce à quoi se refusent les partisans de l’islam politique au motif que l’on ne peut pas consentir à cette partition, voire à cette mutilation de l’homme.

Or, la démocratie occidentale, telle qu’héritée d’Athènes et du monde gréco-romain, ne fonctionne pas de cette manière. L’auteur souligne que les milieux dirigeants et les hauts fonctionnaires ont cru que les rites religieux allaient disparaître avec le temps et que tous les nouveaux-venus ne manqueraient pas de devenir, à la longue, de bons petits Français.

C’est sur la foi de ce postulat que l‘on a engagé le pays dans la voie où il se trouve désormais… Sans même parler des livres et des émissions télévisées d’Eric Zemmour, il convient de s’en référer à ce que nous dit Jérôme Fourquet , l’auteur de l’Archipel français… sur la désunion et l’éclatement du pays en ilots qui ont tendance à s’ignorer. Mais tous ces cris d’alerte ne servent à rien, si l’on en croit l’auteur de ce Déni français.

Il dresse la liste de toutes les promesses non tenues des riches monarchies pétrolières du Golfe, des reculs retentissants des autorités françaises lorsqu’il s’agit de critiquer certains régimes de la Méditerranée orientale qui se rendent coupables de graves atteintes aux droits de l’homme. L’état se voit contraint d’entretenir des relations suivies avec les services sécuritaires de ces mêmes pays qui fournissent parfois à la France des renseignements sur la menace d’attentats terroristes.

En bref, la France se trouve entraînée dans des dérives qui risquent de lui coûter très cher. Un indice émanant d’un ancien président de la république française qui n’a jamais brillé par sa lucidité, c’est cette phrase qui en dit long : … tout ceci risque de finir par une partition !

La France a dû se faire la protectrice de ces états arabes autoritaires dans les enceintes de l’Union Européenne, de crainte d’être doublés sur place par les Chinois, les Russes et même les Allemands qui ont fini par comprendre que l’intermédiaire français, véritable passage obligé, ne reflétait pas la réalité sur le terrain.

D’innombrables fondations allemandes ont pu distribuer leur genreuse manne à une foule de jeunes chercheurs arabo-musulmans qui apprennent la langue allemande et étudient dans les universités d’Outre-Rhin : j’en ai moi-même formé quelques uns quand j’étais professeur à l’université de Heidelberg à la HJS.

Dans le seconde partie de son livre, l’auteur aborde un sujet hautement délicat et qui me gêne profondément, c’est la corruption, réelle ou supposée, des élites françaises, y compris les élus et les hauts fonctionnaires.

J’ai toujours cru, un peu naïvement peut-être, que nos élites étaient épargnées par ce mal gravissime et que cette accusation devait être réservée aux monarchies arabo-musulmanes ou aux roitelets africains, lesquels placent leur biens mal acquis hors des frontières car leur règne peut s’arrêter du jour au lendemain. Mais voici qu’une foule d’anciens familiers du pouvoir se mettent au service de potentats orientaux, dès qu‘ils ne sont plus premiers ministres, ministres, ambassadeurs etc…

La diplomatie française a été soumise à rude épreuve ces dix dernières années : ce qu’on nomme abusivement le printemps arabe a mis sur la touche maint dirigeants auxquels nous avions fait confiance. Il fallut se redéployer un peu à l’aveuglette car la République n’a jamais eu de bons spécialistes de ce monde arabo-musulman devenu si proche et dont les soubresauts provoquent chez nous des secousses parfois fortes.

Cette diplomatie pro arabe, cette politique arabe de la France, a pour corollaire une attitude plus que réservée à l’égard du seul Etat juif existant, Israël. Comment faire autrement quand on a face à soi près d’une cinquantaine états islamiques… Et je ne parle même pas du tropisme anti-israélien du Quai d’Orsay !

Face à cette montée vertigineuse de l’islam, notamment politique, on s’étonne de l’attitude des autres communautés religieuses, le christianisme et le judaïsme. On rappelle que les banlieues populaires (Seine Saint-Denis, l’Oise etc…) sont devenues judenrein. Les écoliers et lycéens juifs ont dû quitter ces lieux où l’antisémitisme devient de plus en plus virulent.

En plus de cette instabilité externe, il existe une rivalité endogène entre les différentes nationalités constitutives de l’islam en France car il est difficile de parler d’un islam vraiment français : les Marocains se méfient des Algériens qui, à leur tour, considèrent les Turcs comme des rivaux pour le contrôle de telle ou telle mosquée. Mais dans tous les cas de figure, les autorités françaises n’ont pas su gérer comme il convient cette réalité si diverse. Ce qui fait dire à l’auteur de cet ouvrage que cette impéritie remonte à la présence coloniale en Algérie et que décidément cette guerre d’Algérie n’est pas vraiment finie.

Ce livre s’achève sur deux interrogations assez angoissantes : d’abord, eu égard à l’interdiction de statistiques ethniques, on s’interroge sur le nombre de musulmans en France ; ensuite, on s’inquiète de constater qu’au moins 20% de cette population affirme placer les lois religieuses au-dessus des lois de la République, ce qui pose un grave problème de cohésion nationale… Que devient la nation française dans cette affaire ?

Comme l’indique le titre de ce livre, la suite n’est pas très rassurante du tout. Il semble que la France, et même bien au-delà, l’Europe, aient fait un mauvais calcul puisque, grâce à leurs émigrés, ces pays arabo-musulmans peuvent peser sur les élections nationales dans les différents pays d’accueil. Sans même parler comme Gérard Larcher de ces salafistes qui campent aux portes des mairies…

L’Europe judéo-chrétienne n’a plus cette vigueur assimilationniste qui fut la sienne durant tout le XIXe siècle. Il faut trouver autre chose. Peut-être de nouvelles valeurs humanistes qui éloigneront d’elle cette haine de soi qui détruit tout.

Maurice-Ruben Hayoun

 

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

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Jg

Pourquoi se poser tant de questions ? La France c Elle de ma jeunesse , n existe plus !
L avenir est réservé a l immigration choisie qui rapidement remplacera les « autres » .
Il y avait l Algérie française ,aujourd hui la France algérienne .
Le problème est celui des Juifs ,ils peuvent des a present choisir ,mais je pense qu une fois de plus ils feront le mauvais choix ,celui qui nous a coûté des millions de morts depuis 1000 ans !