Cyberpuissance : comment Israël est devenu un acteur redoutable.

Eviatar Matania, ancien directeur des activités cyber israéliennes, signe un livre passionnant sur une guerre invisible et permanente.

Son CV pourrait se résumer à une ligne : « En l’espace de dix ans, Eviatar Matania a propulsé Israël au rang des grandes puissances mondiales en matière cyber » – le mot « cyber » est pris ici au sens des capacités défensives et offensives d’un Etat dans le domaine de la guerre informatique. Aujourd’hui professeur d’université, il publie aux Arènes Cyberpower. Israël, la révolution cyber et le monde de demain, cosigné avec le journaliste Amir Rapaport.

Quand on l’interroge sur ses dernières fonctions au sein de l’appareil de défense israélien, Matania explique qu’il était responsable du Bureau national du cyber. Son rôle, résume-t-il, était d’assurer la protection civile contre les attaques informatiques, qu’elles viennent de hackeurs indépendants ou d’Etats hostiles à Israël. Mais, compte tenu de la porosité volontariste de l’Etat hébreu entre le civil et le militaire, les attributions de Matania ont couvert un vaste champ, et son influence a été déterminante. Et c’est d’ailleurs cette restitution dans le contexte unique à l’Etat d’Israël qui fait l’intérêt de ce récit fluide et accessible.

Celui-ci commence en novembre 2010 dans le bureau de Benjamin Netanyahu, lorsque le Premier ministre confie à Eviatar Matania la mission de « promouvoir la capacité nationale dans le cyberespace », selon une terminologie délibérément vague. L’idée est en fait de couvrir tous les besoins d’un pays aux ennemis multiples avec une tension qui ne faiblit jamais : « Dans le cyber, la notion de temps de paix n’existe pas ; les attaques sont constantes et multiformes, le conflit est permanent », explique Eviatar Matania dans une interview à L’Express

Un manuel d’agilité à destination d’un Etat

La méthode qui est alors mise en œuvre par le gouvernement israélien est un manuel d’agilité déployée à l’échelle d’un Etat, certes minuscule (9 millions d’habitants). Par opposition à l’antagonisme suspicieux qui, dans la plupart des pays occidentaux, caractérise les relations entre le public, le privé et le monde académique, en Israël l’intégration entre les trois est totale. Et le ciment de l’ensemble est l’armée, avec son sens de la mission « et le fait qu’elle ne soit pas composée de yes-men« , juge l’auteur.

Eviatar Matania est un pur produit de ce système pluridisciplinaire. Sa motivation citoyenne s’est forgée dans la tragédie avec la mort de son frère aîné lors de la guerre du Kippour en 1973 – Eviatar a alors 7 ans. Sur le plan universitaire, il fait carton plein : diplôme en maths et physique, recrutement dans le programme d’élite militaire Talpiot – 1 étudiant sélectionné sur 1 000 -, où le jeune soldat complète sa formation scientifique, apprend la théorie des jeux et décroche un doctorat en processus de décision. Ensuite, passage par le privé dans des entreprises de la tech, ainsi que dans un fonds de capital-risque, histoire de cocher toutes les cases.

L’éclectisme d’Eviatar Matania et son expérience dans toutes les composantes de la société israélienne lui seront essentiels dans son rôle d’architecte de l’appareil cyber du pays. « La volonté politique sans faille de Netanyahu, l’ampleur des moyens engagés, le tout combiné à la richesse de cet écosystème unique – mêlant le savoir-faire opérationnel de l’armée, la profondeur académique et le foisonnement du secteur privé – ont contribué à la place d’Israël dans l’environnement cyber », dit-il aujourd’hui.

Comme c’est souvent le cas dans les ouvrages rédigés par d’anciens officiels de haut rang du renseignement ou de l’armée, il subsiste une certaine frustration à ne pas trouver les détails sur des opérations passées. Dans le domaine du cyber, les faits d’armes prêtés à Israël sont spectaculaires, comme celui impliquant le virus Stuxnet lancé contre l’Iran en 2012. Il s’agit de l’attaque la plus sophistiquée de l’Histoire, « menée par les Etats-Unis et certains de leurs alliés », se borne à commenter, avec un bref sourire, l’ancien responsable israélien. L’attaque a eu pour effet de retarder de plusieurs années le programme nucléaire iranien – mais aussi d’accélérer le verrouillage du pays, comme l’admet de manière allusive Matania.

Mais ce n’est pas ce genre de détails opérationnels qui fait l’intérêt du livre. En plus de sa narration d’un chapitre important dans l’histoire moderne d’Israël, Cyberpower est une démonstration de l’efficacité implacable de la fertilisation croisée entre les sphères publiques, privées et universitaires. Ce récit devrait être le livre de chevet des gouvernants occidentaux.

Cyberpower, par Eviatar Matania et Amir Rapaport, traduit de l’anglais par Claire Darmon. Les Arènes.

Source : lexpress.fr

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