Le procureur anticorruption Laura Codruta Kovesi. Photo ©SIPA

L’Europe traverse une crise morale et citoyenne. Les réactions des citoyens, leur exaspération, prennent des formes diverses et très hétérogènes.

Ainsi, en France, le mouvement Nuit Debout a été un exemple significatif de cette rébellion. Les rassemblements ou émeutes « en soutien à Théo » aussi. Ce jour, encore, est organisé place de la République,  un « Rassemblement contre la corruption des élus ».

il ne s’agit pas ici de comparer. Les gouvernements, les motivations, les moteurs de ces mouvements sont extrêmement différents.

Mais il est intéressant de voir l’exemple de la Roumanie en cette époque de tensions sociétales extrêmes, avec cet article de Valeurs Actuelles.

« Corruption. La tentative du nouveau gouvernement social-démocrate d’édulcorer la législation anticorruption a provoqué un tollé dans le pays. Mais derrière ce sursaut citoyen se cache aussi un redoutable bras de fer politique.

L’année 2016 s’est terminée à Bucarest sur une curieuse séquence politique, déjà oubliée mais prémonitoire de la crise actuelle. Grands vainqueurs du scrutin législatif de décembre, les sociaux-démocrates du PSD disposaient d’une large majorité à la chambre basse du Parlement (154 sièges sur 329). Ce qui, a priori, leur laissait toute latitude de nommer un nouveau gouvernement. Leur choix pour le poste de Premier ministre devait néanmoins être approuvé par le président du pays, Klaus Iohannis (centre droit), qui n’a jamais porté dans son coeur le PSD, souvent vu en Roumanie comme l’héritier des communistes du siècle dernier.

Mais ce n’était pas tant ça qui posait problème : le chef de l’État allait certainement valider le choix du PSD, mais en se pinçant le nez — cohabitation oblige. Non, le PSD avait un autre souci : frappé d’une condamnation de deux ans de prison avec sursis, son leader charismatique, Liviu Dragnea, ne pouvait pas occuper lui-même cette fonction. Alors ce dernier a proposé l’une de ses fidèles collaboratrices, Sevil Shhaideh. Une quasi-inconnue qui avait la singularité d’être issue de la petite communauté tatare du pays (0,1 % de la population). La Roumanie allait-elle devenir le premier pays de l’Union européenne, que le pays a rejointe en même temps que la Bulgarie, en 2007, à être dirigé par une musulmane ? Cette possibilité a fait couler beaucoup d’encre à l’étranger, alors qu’à Bucarest on a surtout vu en Sevil Shhaideh « une personne de paille destinée à préparer le terrain pour que Liviu Dragnea devienne Premier ministre », précise Cristian Ghinea, député du petit parti libéral USR.

Mais, contrairement à toute attente, le président Iohannis s’opposa à ce choix. Non parce que Sevil Shhaideh est musulmane, comme l’ont suggéré certains, mais vraisemblablement à cause de son époux : un ressortissant syrien, ayant travaillé dans l’administration de Bachar al-Assad et qui continuait, sur les réseaux sociaux, à exprimer son soutien au régime de Damas. Liviu Dragnea fulmina contre le président, le menaçant même d’une procédure de destitution avant de se raviser et de proposer Sorin Grindeanu, un cadre de province du PSD qui affirmait encore, la veille de sa nomination, qu’il n’occuperait aucun poste dans le futur gouvernement. Klaus Iohannis approuva ce choix sans sourciller.

Mais seuls ceux qui ne connaissent pas les vicissitudes de la cohabitation roumaine ont pu croire alors à un happy end. Ce n’était que partie remise. Le député Christian Ghinea avait bien vu : l’objectif de Dragnea était de devenir Premier ministre. Aussitôt le gouvernement constitué, les sociaux-démocrates s’attaquèrent bille en tête à la législation anticorruption qui avait empêché leur leader d’accéder au poste tant convoité. Par décret d’abord, puis en tentant de déposer un projet d’amendement. Ils ont notamment voulu instaurer un seuil de 44 000 euros de préjudice pour être poursuivi au pénal en cas d’abus de pouvoir ou de fonction, une mesure qui allait innocenter bon nombre des quelque 2 000 hommes politiques mis en examen ou déjà jugés dans le pays. Parmi eux, un certain Liviu Dragnea, condamné en 2015 pour fraude électorale et mis en examen pour une affaire d’emplois fictifs au sein du PSD.

Ils ont acclamé — chose rare — les procureurs de la Direction nationale anticorruption

C’est bien ce calcul grossier qui a mis le feu aux poudres de la contestation. « Si le PSD s’était contenté d’appliquer son programme d’aide aux plus démunis, qui lui a valu un large soutien dans les campagnes, rien de tout cela ne serait arrivé », affirme l’analyste et ancien diplomate roumain Paul Ivan, de l’European Policy Centre (EPC). Depuis fin janvier, des centaines de milliers de personnes manifestent ainsi tous les jours dans les rues de Bucarest et des grandes villes. Du jamais-vu en Roumanie depuis la chute du régime Ceausescu, en 1989. « Liviu Dragnea a oublié que nous avons désormais une société civile, qui a voulu défendre les acquis européens », poursuit Paul Ivan.

Ce sont bien ces jeunes (et moins jeunes) citadins ayant bénéficié du boom économique du pays (le succès des voitures low cost Dacia, du Groupe Renault qui y sont fabriquées n’est qu’un exemple parmi d’autres) qui sont sortis dans les rues pour demander plus de transparence dans la vie politique. Ils ont acclamé — chose rare — les procureurs de la Direction nationale anticorruption (DNA), sorte de parquet bis doté de superpouvoirs. Et ils n’avaient pas tort : la DNA, qui fait trembler depuis 2013 l’establishment politique du pays, était, au fond, la véritable cible du PSD.

Le PSD a fait marche arrière sur tous les fronts

Enfin, derrière ce sursaut civique, il y a aussi quelques manoeuvres bien politiques. Un homme sort du lot : le président Iohannis, en qui les manifestants ont trouvé un allié de poids. Il s’est ainsi opportunément invité, le 18 janvier dernier, au Conseil des ministres lors duquel les sociaux-démocrates comptaient passer en catimini le fameux décret. Quelques jours plus tard, il était dans la rue aux côtés des manifestants. « Il a clairement renversé la situation », estime Paul Ivan.

Aujourd’hui, le PSD a fait marche arrière sur tous les fronts. Sans surprise, le gouvernement a survécu à une motion de censure au Parlement, mais a dû sacrifier son ministre de la Justice, Florin Iordache, devenu le bouc émissaire de cette offensive avortée. Cela suffira-t-il pour calmer la colère de la rue ? Rien n’est moins sûr.

Source : Valeurs Actuelles

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