Deux ans après l’attentat du Bataclan le 13 novembre 2015, un rescapé raconte dans un livre les étapes d’un difficile retour à une vie normale. L’auteur Benjamin Vial et son épouse Célia avaient longuement témoigné dans Le Figaro au lendemain des attentats.

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«Le groupe joue toujours alors je plonge au sol, parce que c’est ce qu’il faut faire quand on entend des coups de feu, non? Je ne sais pas où est passée Célia (son épouse, NDLR), aucune émotion.»

Ce vendredi soir du 13 novembre 2015, Benjamin Vial, architecte parisien, grand amateur de rock, est arrivé en retard au concert des Eagles of Death Metal au Bataclan. Quand les terroristes débarquent en mitraillant la foule, il se tient debout près de l’entrée, juste à côté des escaliers qui mènent à la fosse. Les heures d’horreur qui suivent, il les a longuement racontées au Figaro.

Dans Fragments Post-traumatiques, Benjamin Vial évoque les jours suivantsIls sont très difficiles, pas tant pour lui que pour sa femme et leurs deux enfants. Trois semaines plus tard, il perd pied à son tour lorsqu’un ballon d’enfant explose lors d’un brunch dans un restaurant parisien.

Une longue descente où il perd ses habitudes, ses repères, où les relations avec les autres changent. Commence alors une valse d’entretiens avec des médecins, des psychologues et des psychiatres. Trouver le bon traitement médicamenteux et la bonne personne à qui parler est tout sauf facile. Celles avec qui le courant passe sont une psychologue de la police et une psychothérapeute du nom de Rina Nathan. Devenir membre de l’association Life for Paris aide aussi.

Ne pas faire comme si de rien n’était

L’ouvrage est écrit sous forme d’un journal du 13 novembre 2015 au 13 mai 2016. Au départ, c’était un travail personnel de thérapie puis sous l’impulsion d’un ami dans l’édition, c’est devenu un livre. Différents intervenants qui commentent le récit: son épouse Célia, la neuroépigénéticienne Isabelle Mansuy, le philosophe Marc Crépon. Mais également Philippe Manœuvre qui décrit la particularité des attentats du Bataclan: un mode de vie qui a été touché.

Au fil des pages, le lecteur tombe ponctuellement sur de petits textes, trop rares, où Célia, l’épouse de Benjamin raconte son ressenti. Elle aussi est une rescapée du Bataclan. Sa façon de vivre l’attentat a été très différente de celle de son mari. Sa reconstruction aussi. Le convaincre à voir un psychologue, choisir les lieux de vacances en fonction des envies de chacun… cela n’a pas été évidemment à gérer.

Conciliante, elle a souvent suivi son mari. Accepté ses conditions. Mettre les deux parcours en parallèle aurait apporté une vraie valeur ajoutée. À la fin du livre, on aurait aimé une conclusion à deux. Ce qu’on retient, c’est qu’il y a de l’espoir. Avec une aide médicale adaptée et beaucoup d’amour, on peut aller mieux. Mais cela prend beaucoup de temps. Il faut savoir s’écouter. Ne pas faire comme si de rien n’était. Et en même temps, aller de l’avant. Comme le dit le sous-titre du livre de Benjamin Vial: la vie continue.

Attentats du 13-Novembre: «Au bout d’un mois et demi, j’ai craqué»..

Deux ans après les attaques terroristes à Paris, beaucoup de victimes ont vu leur vie professionnelle basculer…

 

Deux après les attentats du 13-Novembre, la vie professionnelle de nombreuses victimes n’a pas repris son cours. «Certains sont encore en arrêt maladie, parce qu’ils sont dans l’incapacité physique ou psychologique d’occuper le même poste qu’avant », explique Nadine Ribet-Reinhart, l’une des porte-parole de l’association 13onze15 Fraternité et vérité (et mère de Valentin, décédé au Bataclan).

« Par ailleurs, beaucoup de personnes ont quitté leur emploi, ont demandé une mutation ou ont entamé une reconversion », constate aussi Philippe Duperron, président de l’association 13onze15 Fraternité et vérité (et père de Thomas, décédé au Bataclan).

Un retour parfois trop précipité au boulot

Certaines victimes, qui n’ont pas été blessées physiquement, mais ont été traumatisées par ces attaques terroristes, ont décidé de retravailler très rapidement après. C’est le cas de Marc**, qui était au Bataclan, le 13-Novembre : « J’ai retravaillé une semaine après l’attentat, car je voulais me reconfronter très vite à la réalité et essayer de faire abstraction de ce qui s’était passé. Chez moi, je regardais en boucle les chaînes d’actualité, je voulais sortir de cela », confie-t-il à 20 Minutes.

Idem pour Mélanie **, qui a retrouvé son poste d’administratrice de base de données une semaine après avoir vécu le drame du Bataclan : « j’étais dans le déni complet de ce que j’avais traversé et je voulais reprendre le cours de ma vie comme avant », lance-t-elle. Benjamin Vial, qui était lui aussi dans la salle de concert ce soir funeste, raconte aussi dans son ouvrage Fragments post-traumatiques ce qui l’a poussé à revenir au boulot trois jours après l’attentat : « J’ai besoin de sentir que le quotidien est encore là, de voir les mêmes visages que je vois tous les jours ».

La perte de sens du travail

Mais leur volonté de reprendre une vie professionnelle normale s’est heurtée à des difficultés inattendues. Comme celle de devoir reprendre les transports en commun pour aller au boulot, par exemple. « Je devais prendre le métro à l’heure de pointe pendant 45 minutes, cela me mettait dans un état de stress énorme qui me faisait très mal démarrer ma journée au bureau », se souvient ainsi Marc.

Pas évident non plus de redonner du sens à son travail lorsque l’on a cru mourir. Et de retrouver ses réflexes professionnels. « J’ai été sujet à des problèmes de concentration et de productivité dus au choc post-traumatique que j’ai subi. En réunion, mon cerveau n’était jamais totalement connecté à ce que je faisais », explique Marc. « Les premiers mois, j’avais des problèmes de concentration et de mémoire. Car le cerveau des victimes d’attentat est en hypervigilance. On scrute les mouvements des autres, le moindre bruit. Je n’étais pas efficace et je n’étais plus capable de diriger un service », reconnaît Mélanie.

Les difficultés relationnelles avec les collègues

Autre difficulté : se confronter au regard des collègues et des supérieurs hiérarchiques. Les premiers jours, les victimes du 13-Novembre disent généralement avoir été bien accueillies par leur entourage professionnel. « Mais cela n’a duré qu’un temps. Car la sphère professionnelle passe très vite à autre chose, alors que nous pas », raconte Marc. Un sentiment éprouvé aussi par Mélanie : « La temporalité des victimes n’est pas la même que celle du reste de la société. On souffre encore du stress post-traumatique longtemps après l’attentat alors que les autres nous croient guéris. Si on n’a pas de cicatrice visible, les autres minimisent votre souffrance. Pourtant, plusieurs mois après, j’ai développé des hallucinations auditives, je souffrais d’insomnies… Cela a créé des incompréhensions avec mes collègues qui attendaient de moi que je sois redevenue totalement opérationnelle », confie-t-elle.

Dans son livre Fragments post-traumatiquesBenjamin Vial témoigne aussi de la distance qui s’est peu à peu installée entre lui et ses collègues : « Les rapports plus classiques apparaissent. Certains ne prennent plus de gants pour me parler et des désaccords minimes deviennent pour moi des agressions aux proportions extraordinaires », relate-t-il. Et certaines victimes payent aussi le fait d’avoir repris le travail trop vite après la tragédie. « Ils sont rattrapés par ce qu’ils ont vécu au fur et à mesure. Certains développent des réactions traumatiques qui rendent le travail très difficile à accomplir », explique Nadine Ribet-Reinhart.

Une situation vécue par Mélanie : «Au bout d’un mois et demi, j’ai craqué. J’ai reçu un mail professionnel qui m’a mise dans un état de stress extrême. J’étais en pleurs et complètement perdue », confie-t-elle. A la suite de cet épisode, Mélanie a été arrêtée quelque temps, avant de reprendre le travail en horaires aménagés. Benjamin Vial a lui aussi subi le contrecoup du drame qu’il a vécu. Il a été arrêté avant une reprise en mi-temps thérapeutique. De son côté, Marc a fini par conclure avec son employeur une rupture conventionnelle et s’est installé en tant qu’auto-entrepreneur.

Le gouvernement veut améliorer l’accompagnement des victimes

Des difficultés professionnelles que tente de résoudre la déléguée interministérielle à l’aide aux victimes, Élisabeth Pelsez. « J’ai bien conscience que pour les victimes d’attentat, recommencer à travailler c’est entrer dans un parcours de résilience et retrouver leur place dans la nation», indique-t-elle à 20 Minutes. « Je vais bientôt signer une convention avec Pôle emploi pour faciliter le retour à l’emploi des victimes du terrorisme », poursuit-elle. Grâce à ce texte, les conseillers seront formés à la manière de mieux communiquer avec les victimes du terrorisme pour tenir compte de la tragédie qu’elles ont vécu. Ils seront aussi mieux informés des dispositifs existants pour aider à leur formation, leur reconversion… « Les victimes directes du terrorisme sont par exemple, reconnues comme victimes civiles de guerre. Et à ce titre, elles peuvent bénéficier de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés », explique Elisabeth Pelsez, qui rencontre régulièrement les associations de victimes du terrorisme sur ce dossier.

Selon Mélanie, il est également urgent d’agir auprès des entreprises : « Pour que le retour au travail des victimes d’attentat se passe bien, il faut que l’entourage professionnel soit bienveillant. Or, les managers ne sont pas formés à cela. Il faut que les médecins du travail puissent les sensibiliser à notre accompagnement », insiste-t-elle. Marc approuve : «Car pour toutes les victimes du terrorisme, réussir à faire quelque chose de productif, c’est tellement important après avoir vécu une expérience si destructrice ».

Delphine Bancaud

 

*Benjamin Vial, Fragments post-traumatiques, Michalon, 17 euros.

** Le prénom de la personne a été changé.

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