Un récent ouvrage, « The Gestapo : The Myth and Reality of Hitler’s Secret Police » de Franck McDonough (publié chez Coronet), dont la source principale est une série de dossiers ayant échappé aux bombardements alliés ou à la destruction par leurs propres auteurs, a pour ambition de remettre en lumière ce que fut la police hitlérienne. On y apprend notamment que les cadres de la Gestapo avaient, pour la très grande majorité, un très haut niveau d’études. L’historien Georges Bensoussan répond aux questions de Julie Beaufrère-Schiff

Question : Pourquoi cette information peut-elle gêner ?

Georges Bensoussan (1) : Ces informations ne constituent pas une révélation en soi, on sait depuis longtemps que l’élite du régime était constituée de gens très bien formés, intellectuellement formés, des diplômés.

On sait aujourd’hui qu’à peu près les 2/3 des officiers supérieurs de la SS avaient fait des études supérieures. Dépasser le niveau bac, c’était considérable à l’époque. Donc cette idée que c’est un ramassis de vauriens, de voyous et d’incultes, c’est faux. Mais elle a perduré dans le grand public car c’est une idée qui rassure, comme le font souvent les mythes. Les mythes ont toujours une fonction : rassurer et calmer l’angoisse. Si on arrive à se persuader que ces gens-là étaient un ramassis d’abrutis, d’une certaine façon ça nous apaise parce qu’on se dit qu’avec un peu d’intelligence on peut endiguer le crime. Mais ça n’est pas si simple : ces gens sont intelligents, ils sont formés et cultivés.

On ne comprend pas comment tant de crimes ont pu être possibles dans ce contexte parce que le crime relève à ce moment-là d’une idéologie et d’une culture spécifique qui fait du crime la normalité. Donc ce que ça interroge ce n’est pas la psychologie de ces individus. Ces individus sont des hommes normaux – à part quelques psychopathes, mais comme dans toute société – mais qui obéissent à une logique du monde, à une idéologie et à une culture spécifique qui considère à un moment donné qu’au nom du sang et de la race le crime est un impératif catégorique.

C’est-à-dire que pour sauver la nation ou la race allemande ou le peuple allemand – ce sont des notions confondues – il est urgent de tuer non seulement les parasites mais ceux qui mettraient en danger la race et la communion du peuple allemand. Donc quand le crime devient une norme, – c’est un impératif au nom d’un bien supérieur -, nous, nous avons du mal à le comprendre parce que nous relevons d’une autre idéologie qui est, disons globalement, la culture des Lumières.

L’Allemagne nazie a tourné le dos aux Lumières car il y a des éléments dans la culture allemande – attention, je ne parle pas de la culture allemande mais de certains éléments de la culture allemande – qui permettent le glissement vers ces anti-Lumières, ces contre-Lumières, qui placent au centre du monde la survie de la race allemande, et pas la notion d’humanité. La notion d’humanité n’existe pas pour les anti-Lumières. C’est un mythe, il n’y a pas de genre humain. Il y a des races humaines qui se combattent entre elles et il faut que la meilleure l’emporte, la race aryenne.

Pour appréhender ces événements – comme toute période de l’histoire – de la façon la plus rationnelle possible, il faut laisser de côté le pathos en se demandant toujours comment les hommes de ce temps-là – à cette époque et au sujet de ce dont on parle – pensaient en acceptant l’idée qu’ils n’avaient pas le même logiciel intellectuel que nous.

Ce qui nous déroute c’est que nous pensons que l’humanité toute entière pense comme nous. Non, ni dans le temps ni dans l’espace. Aussi bien dans le temps que dans l’espace, les logiciels intellectuels ne sont jamais les mêmes. Nous ne pouvons comprendre cela que si on fait de l’histoire culturelle. Or l’histoire culturelle est dévaluée depuis la Seconde guerre mondiale – et c’est un paradoxe – parce qu’elle est souvent prise pour de l’essentialisme, donc du racisme. On se condamne – du coup – à ne rien comprendre. C’est d’ailleurs frappant dans l’actualité française.

Il existe en France une idéologie dominante qui refuse l’histoire culturelle. Donc ils ne comprennent strictement rien à ce qu’il se passe dans les banlieues par exemple. Quant aux gens de Daesh, ce ne sont pas des psychopathes. Ce sont des gens intelligents, rationnels, mais ils ont une autre rationalité que la notre, c’est cela que les gens ont beaucoup de mal à comprendre. L’histoire culturelle a toute sa place pour comprendre le monde. Mais malheureusement, aujourd’hui, au nom de l’anti-racisme il y a un certain nombre d’outils intellectuels qui sont interdits.

Avec la Gestapo comme avec Daesh, on a affaire à des idéologies totalitaires. Il ne s’agit pas d’islamo-fascisme comme dit Emmanuel Valls. Je pense qu’il se trompe et qu’il faut laisser de côté le mot « fascisme » : en parlant de fascisme ou de nazisme, on s’en réfère encore à l’Europe et on s’interdit donc de comprendre le côté totalement étranger de Daesh et d’ailleurs de l’islamisme sunnite. En revanche, la Gestapo et Daesh ont un point commun, – et je pense que là-dessus Emmanuel Valls a raison -, c’est qu’elles ont un aspect totalitaire.

Question : Comment analysez-vous ce comportement de l’Allemagne d’après-guerre qui ne s’est que très peu dénazifiée d’elle-même ?

 GB : On a une masse importante d’Allemands, une masse difficile à apprécier, qui sont restés, non pas nazis jusqu’au bout, mais hitlériens jusqu’au bout. Ça n’est pas la même chose. Dans les pires moments de la guerre, à Dresde sous les bombes, on entend dans la foule qui se cache dans les abris des tas de propos laudateurs sur Hitler. Il y avait encore une forte approbation à la fin de la guerre. Combien, ça on ne pourra jamais le déterminer. Une chose est sûre, c’est que l’hitlérisme a été une passion en Allemagne. L’homme Hitler a fanatisé les foules. Il a été un personnage charismatique. Le nazisme, lui, se dégrade à partir de 1942-43. Ça ne se dégrade pas pour les crimes commis. Ça se dégrade parce que l’Allemagne souffre dans ses villes, dans son ravitaillement aussi. Il fallait reconstruire l’Allemagne, les villes qui étaient dévastées.

Propos recueillis par Julie Beaufrère-Schiff

(1) Georges Bensoussan:  historien, auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Il est responsable éditorial du Mémorial de la Shoah à Paris.

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