Ces “partisans russes” qui tentent de faire dérailler la Russie de Poutine

S’inspirant de leurs camarades biélorusses, des résistants russes sabotent les voies de chemin de fer et s’en prennent aux bureaux de recrutement de l’armée pour protester contre la guerre en Ukraine. Et, au grand dam des autorités, ils restent insaisissables. Une enquête du journal indépendant russe “The Insider”.
Ils attaquent les centres de recrutement de l’armée à coups de cocktails Molotov, sabotent les voies de chemin de fer, faisant dérailler les trains chargés de matériel militaire, et s’en prennent aux véhicules d’activistes favorables à la guerre : depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, plusieurs groupes de militants aux motivations diverses mènent des opérations clandestines en Russie pour protester contre la guerre, révèle le journal indépendant russe, The Insider. Ce sont les “partisans russes”, poursuit le journal, qui a longuement enquêté sur leurs actions, passées le plus souvent sous le radar des médias, et a même pu s’entretenir avec des représentants d’une mystérieuse “Unité combattante d’anarcho-communistes”.
Depuis le début de la guerre, The Insider a ainsi dénombré 23 attaques contre des voenkomat (littéralement “commissariats militaires”), ces bureaux d’information et d’enrôlement de l’armée présents dans toutes les villes de Russie. Vingt d’entre eux ont pris feu après avoir été attaqués à coups de cocktails Molotov, trois autres ont été vandalisés. “C’est un fait sans précédent dans le pays”, précise le journal, ajoutant qu’il était difficile pour les autorités de passer sous silence ces attaques, les militants ayant pris soin de se filmer et de diffuser leurs exploits sur la Toile.

Il ne s’agissait pas pour autant d’une action coordonnée, ni même le fait d’un seul groupe, mais celui d’une variété de groupuscules, allant des anarchistes de gauche et des militants pro-ukrainiens aux groupes d’extrême droite. Parfois, il s’agissait simplement d’actes solitaires, qui ne s’associaient à aucun mouvement. Par exemple, Ilya Farber, un artiste de 48 ans et ancien instituteur de village, a été arrêté en Oudmourtie, à l’est de Moscou, fin mai, pour avoir mis le feu à deux bâtiments du bureau d’enrôlement militaire. “Je voulais juste savoir si j’étais capable de le faire”, a-t-il dit aux enquêteurs lors de son interrogatoire.
Un certain “Iegor” (le prénom a été modifié) s’est également confié au journal en expliquant qu’il avait participé à l’incendie du véhicule de la responsable d’un fonds d’aide aux militaires russes en Ukraine, à Nijni Novgorod.
“Il y a à la fois des anarchistes et des nationalistes parmi nous (mais ces derniers sont moins nombreux). Chacun a sa propre histoire. Nous sommes une organisation antisystème, nous nous pencherons sur les subtilités de la gouvernance politique après la chute du régime ou du moins son affaiblissement.”

Les déraillements de train se multiplient

Sur l’autre front de cette résistance contre le régime, la “guerre du rail” : les autorités ont tout fait pour minimiser les incidents et, surtout, pour les attribuer à des défaillances techniques du réseau. Pourtant, comme le note The Insider, le nombre de trains de marchandises qui ont déraillé entre mars et juin 2022 est de 63, soit 1,5 de plus que pendant la même période de l’année dernière. La géographie de ces incidents s’est également déplacée vers l’ouest, en direction de la frontière avec la Biélorussie et l’Ukraine, et certains trains ont déraillé à proximité immédiate de bases militaires.

De fait, il ne s’est pratiquement pas passé un seul jour depuis [le début de] la guerre en Ukraine sans qu’il y ait un incident pouvant s’apparenter à un acte de sabotage sur le réseau ferroviaire. Une explosion sur un pont dans la région de Koursk, des rails dissociés dans la région de Belgorod, à la frontière de l’Ukraine, un déraillement dans une gare de la même région : parfois les autorités elles-mêmes parlent d’actes de “diversion” ou de “terrorisme”. Le FSB, le redoutable service de sécurité intérieure de la Fédération de Russie, a même mis en cause un groupe se faisant appeler “Unité combattante d’anarcho-communistes” dans ces actes de sabotage, mais sans pour autant pouvoir mettre la main dessus.

“Facile et efficace”

The Insider a pu longuement s’entretenir avec un responsable de ce groupe d’“anarcho-communistes”, qui a expliqué que leurs militants se sont directement inspirés de l’action des “partisans biélorusses du rail”, ce réseau clandestin de cheminots qui ont réussi à perturber ou interrompre les connexions ferroviaires entre la Russie et l’Ukraine via la Biélorussie, semant la pagaille dans les lignes de ravitaillement russes. Il a aussi expliqué combien le sabotage d’une ligne de chemin de fer pouvait être “facile”, mais tout aussi “efficace” pour perturber l’action d’une l’armée dans un pays comme la Russie, extrêmement dépendant du rail :

“Cela signifie qu’au moment décisif il y aura un peu moins de chars ou d’obus sur le champ de bataille. Tout ceci pourrait sérieusement affaiblir les forces armées russes et accélérer la fin de la guerre.”

Par ailleurs, l’Unité combattante d’anarcho-communistes recrute des militants sur la Toile, se dit présente dans de nombreuses localités russes et difficilement détectable grâce à son organisation décentralisée :

“Il y a à la fois des cellules organisées et des actions spontanées. La décentralisation nous rend plus mobiles et insaisissables, mais elle entrave la couverture et rend difficile l’estimation des chiffres. Mais, dans un environnement répressif, c’est un avantage. En avril, on estimait qu’entre 20 et 40 cellules de ce type étaient actives en Russie, mais elles sont probablement plus nombreuses aujourd’hui.”

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