Brian A. Catlos: Al-Andalus, Histoire de l’Espagne islamique (Geschichte des islamischen Spanien) C.H. Beck, Munich, 2019

 

 

 

Voici une œuvre historique solide, très attendue, richement documentée et qui remet à l’endroit bien des visions idéologiques, identitaires, romanisées ou romancées d’un phénomène de civilisation unique en son genre, puisqu’il met en présence des représentants des trois monothéismes, judaïsme, christianisme et islam dans uns région stratégique de notre continent européen, l’Espagne musulmane dont les premiers pas se situent vers 711.

J’ai déjà eu l’occasion de parler des origines controversées de cette Hispanie, appelée depuis une bonne douzaine de siècles, l’Espagne, et qui se constitue de plusieurs régions ou principautés, unifiées sous la férule de la couronne espagnole. Une unité qui se fit contre les Maures, considérés comme des envahisseurs et des occupants.

Cette Hispanie mythique et sa région la plus disputée, le plus commentée en raison de son destin historique, n’est autre que l’Andalousie, al-Andalous en arabe. Dans l’historiographie moderne, ce dernier terme est devenu l’équivalent de l’Espagne musulmane ou islamique, bien que le terme maure soit très fréquent dans ce contexte.

Qu’il y ait eu dans cette péninsule ibérique une très longue présence mauresque ou musulmane, imprégnant tous les secteurs de la vie, voire de la pensée philosophique et religieuse, est une réalité incontestée.

Ce qui est, en revanche, contesté depuis l’émergence de la critique historique, c’est l’apparition d’une Andalousie rêvée, mythique, habitée par de purs esprits, attachés à la recherche du Vrai et vivant en très bonne intelligence les uns avec les autres.. Donc, une grande tolérance religieuse, des gouvernants éclairés par la spéculation philosophique, bref une sorte d’humanité paradisiaque.

Une certaine historiographique très islamophile a développé cette thèse, arguant que tout s’est transformé dans un sens contraire lorsque les armées chrétiennes ont reconquis le terrain qu’elles estimaient avoir perdu.

En somme, tout se passait bien jusqu’à l’arrivée des chrétiens qui introduisirent dans le territoire les tribunaux de l’Inquisition, rendant toute coexistence religieuse impossible entre chrétiens, juifs et musulmans. Cette vision n’est absolument pas historique même si elle traîne dans une grande partie des manuels d’histoire.

On présente la survie de Grenade jusqu’en 1492 comme le dernier ilot de liberté et de tolérance religieuse, régie par des souverains éduqués, amoureux du progrès et dévoués à leurs administrés. On prétend aussi qu’après chaque victoire des armées chrétiennes, il était procédé à des expulsions massives.

Ce ne fut pas toujours le cas ; après le conquête de Grenade, nombre de Maures (comme on disait alors) ont accepté de rester sur place et de vivre dans leur environnement naturel. Après la Reconquista, des centaines de milliers de sujets musulmans ont continué de vivre en Hispanie.

Ce n’est qu’après que les rois catholiques procédèrent à des expulsions massives de Juifs et de Maures, sous la pression d’un clergé catholique fanatisé et obnubilé par l’unité religieuse de la péninsule.

Mais cette présence mauresque a laissé d’incontestables traces tant au plan humain (les Morisques), qu’au plan architectural, linguistique et culinaire. Il est délicat de trancher tant les enjeux sont souvent imbriqués les uns dans les autres et tant nous sommes, même en notre qualité qu’historiens, dépendants de nos idées préconçues et de nos préjugés.

L’auteur insiste dans sa longue introduction sur la nécessité de bien analyser les sources primaires car elles émanent d’hommes qui détenaient alors le pouvoir dans cette région de l’Europe du sud. Les exclus, les persécutés, les humbles, n’ont laissé aucun témoignage faisant état des épreuves subies et qui auraient contrebalancé les témoignages officiels.

Autant de dangers que l’historien doit apprendre à éviter ; il doit aussi se garder des délivrer des blâmes ou des satisfecit, ne pas se faire moralisateur ni se croire supérieur, mais adopter une approche critique.

Par exemple, l’importance que revêt à cette époque l’appartenance confessionnelle  : comment en mesurer la portée ? Est ce que cela excluait toute entente, toute alliance, même de circonstance, entre princes ou aristocrates de religion différente ? Evidemment, cela s’est maintes fois produit que des alliances contre nature soient nouées afin de servir ses intérêts propres qui ne coïncidaient pas toujours avec les intérêts supérieurs de la Cause… qu’elle soit chrétienne ou mauresque.

Mais la présence musulmane en Espagne n’a pas entièrement disparue dans les premiers décennies du XVIIe siècle, date de l’expulsion définitive des derniers morisques .

Quelques millions de musulmans vivent toujours en Espagne, soit des convertis, soit des migrants originaires d’Afrique du nord, notamment du Maroc voisin.

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

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Photini Mitrou

Cette histoire me saoule. On nous interdit de parler de civilisation supérieure quand il s’agit de la civilisation occidentale mais les aficionados d’Al-Andalus nous envoient à la figure la grandeur de la civilisation arabe quand l’occident vivait encore dans des grottes. Les Arabes auraient ensemencé notre culture. Il y a des historiens rigolos pour soutenir ces thèses: on n’a pas le droit de hiérarchiser les civilisations, pour ne pas donner de complexes, sauf quand il s’agit que la civilisation arabe dont on dit qu’elle a été supérieure à la nôtre. Il est interdit, voire même criminel, d’évoquer que la civilisation occidentale a pu être à un moment supérieure à la civilisation arabo-musulmane.
« En somme, tout se passait bien jusqu’à l’arrivée des chrétiens qui introduisirent dans le territoire les tribunaux de l’Inquisition, rendant toute coexistence religieuse impossible entre chrétiens, juifs et musulmans. » 1) Je n’ai pas bien compris ce que veut dire « l’arrivée des chrétiens ». Les chrétiens étaient chez eux et il faut arrêter de parler d’une Espagne musulmane. Parle-t-on d’une Algérie chrétienne? Or dans les deux cas il y a colonialisme.
2) Ce que vous dites au sujet de l’Inquisition est très intéressant car la réaction des Espagnols de la Reconquista à été les tribunaux de l’Inquisition. C’est ce qu’on appelle le retour du refoulé, que pendant les siècles, les Espagnols colonisés par les Arabes, ont refoulé parce qu’ils ne pouvaient pas faire autrement, désir refoulé de former une nation unie autour d’un roi national partageant la même foi que son peuple. Ce qui veut dire que les siècles, qui arrangent bien des choses et métissent cultures et gens, n’avaient pas joué en faveur des Arabes et, une fois libres, les Espagnols ont voulu revenir ce qu’ils étaient avant « l’apparition d’une Andalousie rêvée, mythique, habitée par de purs esprits, attachés à la recherche du Vrai et vivant en très bonne intelligence les uns avec les autres… » ce n’était pas leur truc mais un truc d’historiens du XXe siècle. Le blablabla habituel de ceux qui nous parlent du vivre-ensemble. Le vivre-ensemble n’a pas marché en Espagne alors que les Arabes ont eu le facteur temps, 7 siècles quand même, pour eux. Non, il n’y a pas eu de mélange culturel. Les Arabes ne sont pas devenus Espagnols et les Espagnols ne sont pas devenus Arabes comme, par exemple, les Polonais (chrétiens ou juifs), Italiens, Arméniens etc. qui en une génération sont devenus Français.

Élie de Paris

Bien soft…
Il n’est que de voir les dictatures musulmanes, sunites ou chïïtes d’aujourd’hui , pour se représenter quel type de « coexistence » pouvait régner à l’époque ! C’est qu’un pays en « voie d’islamisation, c-a-d en en faisant dar-alislam, etait nécessairement bien plus soumis et  » pacifié » à la façon que l’on connaît par daesh, qu’un pays déjà islamisé !
Pourquoi ne pas publier le nombre de charniers, ne contenant que des têtes ou que des corps ététés, découverts dans l’Espagne « heureuse »? Et pourquoi Maïmonide aura-t-il fui Cordoba ? Même les Souffis etaient pourchassés…