Beréchit: Le récit de la création 

La paracha Beréchit inaugure la lecture ou plus exactement la relecture du H’oumach, du Pentateuque. Son commentaire ne saurait être à la mesure intellectuelle d’un seul homme.

1.Shabbat Chalom
Sur la seule lettre Beth qui est à l’initiale du mot « Beréchit », le tout premier de ce texte, les analyses s’ajoutent aux gloses depuis prés de trois mille ans! Pourquoi, par exemple, le Beth est-il ici doté d’un point central, d’un daguesh?
S’agissant d’un récit de création, l’on pense aussitôt à l’ouvrage monumental du biologiste Stephen Jay Gould lorsqu’il évoque à propos de l’évolution du vivant ce qu’il qualifie lui même d’«équilibre ponctué». Le reste à l’avenant.
La gageure semble d’autant plus considérable que cette paracha qui débute par  la création de l’Univers et de l’Humain se poursuit par ce qu’il faut bien appeler une série de catastrophes dont l’Humain ne semble toujours pas s’être remis: la résistance de la terre, nommée en l’occurrence erets, à la Parole divine l’incitant à produire de l’arbre- fruit; la  transgression du premier couple au Jardin d’Eden et les sanctions qui s’ensuivent;  puis le fratricide commis par Caïn, enfin,  last but not least,  la perversion de l’ensemble du vivant, à l’infime exception de Noé.
De quoi décourager le lecteur le mieux intentionné et le conduire à s’interroger sur les intentions véritables de l’auteur d’un récit aussi débridé, aussi sanglant, aussi désespérant. Et pourtant..
Car il est possible d’aborder le livre de la Genèse dans un autre état d’esprit, de reconnaître qu’il ne s’agit pas d’une histoire édifiante, d’une histoire sainte, au sens infantile.
Il faut tenir ensemble ces deux idées-forces: oui, il s’agit de la création de l’Univers et de l’Humain; et oui, l’Univers est susceptible de se désaxer et l’Humain de courir à sa perte.
Nous voici prévenus et un être averti en vaut plusieurs, tous ceux en lesquels il se transformera au cours d’une existence heureusement prolongée.
Dans ces conditions pourquoi la dominante de ce récit reste telle vitale, les catastrophes dont il vient d’être question se réduisant à des accidents, plus graves les uns que les autres mais réparables tout de même?
Précisément parce que transgressions, meurtres, perversions se produisent après que la Création a eu lieu et que celle-ci y résiste.
Quelle est la source de cette résistance au pire? Les deux viatiques cumulés, sous forme de deux bénédictions intégrées, dont le Créateur dote le vivant en général et l’Humain en particulier.
Il faut relever en effet que la fameuse bénédiction «Croissez et multipliez» ne s’adresse pas initialement à l’Humain mais à la gent animale selon les termes mêmes de La Genèse: «.. Dieu créa les cétacés énormes et tous les êtres animés qui se meuvent dans les eaux (…) puis tout ce qui vole au moyens d’ailes, selon son espèce; et Dieu considéra que c’était bien. Dieu les bénit (vayvarekh otham) en disant: «Croissez et multipliez …»(Gn, 1, 21 et sq).
On a bien lu: le règne qualifié d’«animal», comprenant ces cétacés gigantesques (taninim), est appelé à se multiplier et à croître, ce qui donne une première idée de l’espace d’accueil originel de la Création divine.
Quant à l’Humain, conçu, créé et conformé non pas à l’image optique de Dieu mais corrélativement (etsel) à Lui (Gn, 1, 27), la bénédiction dont il est doté est formulée quasiment dans les mêmes termes: «Croissez et multipliez», avec toutefois une donnée supplémentaire: celle  qui l’institue désormais comme responsable de l’ensemble du Vivant.
Cette responsabilité-là sera celle qui régira sa situation spécifique dans le Gan Eden, dans le makom, pour le dire en hébreu, ou dans le topos, pour le dire en grec, adéquat à  son existence (Gn, 2, 15).
Une responsabilité  qu’il ne parviendra pas à assumer puisqu’au lieu d’observer la loi qui commandait son existence pérenne, il transgresse l’injonction divine et s’expose  à la mortalité inévitable.
Cependant, les sanctions qui en découlent sont à proprement parler non des punitions afflictives et infamantes  mais au contraire le moyen de se relever et de reprendre une histoire déjà gravement accidentée, justement parce qu’elle l’a été. Il en ira de même avec le meurtre d’Abel par Caïn.
Le fratricide n’est pas dénié mais la naissance du troisième frère, celle de Chet,  vient ouvrir une «issue» comme l’eût dit Kafka,  au genre humain et conserver son sens vital à la valeur de fraternité, celle dont bien plus tard Moïse et Aharon sauront faire preuve et qui leur permettra de surmonter bien des obstacles sur la route d’Israël.
Il n’empêche que la fin de la paracha décrit la dégradation de la «civilisation» d’alors, dont toutes les voies étaient perverties, conduisant à des destinations destructrices, au point que le récit n’hésite pas à évoquer un «regret» de Dieu, si ce n’est sa tristesse d’avoir conçu une  pareille création dont la liberté s’est dévoyée parce qu’elle s’est dissociée de sa responsabilité native.
Une création dont les ressources ne sont pourtant pas épuisées et qui  va retrouver grâce à Noé et aux siens, le fil  de la Vie.

« L’Éternel dit: « Que soit (yehi) la lumière (or) ».Et la lumière fut. L’Éternel vit que la lumière était bonne (tov) » ….

L’Eternel dit: « Qu’il y ait des luminaires (meorot) dans le firmament du ciel pour faire distinction (lehabdil) entre le jour et la nuit et ils serviront de signes (othot) pour les périodes, les mois et les années » (Gn, 1, 3 et 1, 14).
Les premiers chapitres du livre de la Genèse, du Sépher Beréchit, sont à n’en pas douter les plus difficiles à traduire et à interpréter de toute la Torah.
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Et pourtant, à n’en pas douter non plus, leur intelligibilité commande celle de la suite du récit biblique. Bien des mots et des concepts, nombre d’idées y apparaissent par la force des choses textuellement pour la première fois, à titre générique.
Ils n’ont pas de précédents qui permettraient d’en comprendre sur le champ le sens. Il faut donc s’avancer à la fois avec circonspection mais avec détermination. Ainsi en va t-il des deux versets précités.
La Création peut elle se concevoir sans lumière? Le récit biblique nous indique comment la lumière a été en somme le premier acte dans l’ordre de la Création. Premier non pas au sens chronologique (le Temps lui même n’a pas été encore créé) mais au sens méthodologique. Par ce premier acte générique l’Eternel met pour ainsi dire la Création en lumière, en la faisant décidément sortir d’un état d’obscurité, d’opacité, d’inintelligibilité archaïques.
Car il faut s’entendre sur ce que signifie le mot hébreu OR. Il ne désigne pas uniquement la lumière optique, celle que perçoit l’œil humain, pour la bonne raison que l’Humain lui non plus n’a pas encore été créé.
Ce que le mot OR signifie c’est que désormais La Création devient révélation. Bien sûr les intentions profondes du Créateur ne sont pas élucidables à leur source mais le sens de ses opérations créatrices (péôulot) le devient.
La Création de la lumière s’apparente de la sorte à un lever de rideau qui permettra de découvrir la scène avant que la pièce ne commence. Il ne s’agit que d’une image mais précisément les tous débuts du livre de la Genèse autorisent cette pédagogie, à condition qu’elle ne se prenne pas pour une fin en soi.
Reprenons la question: à ce stade de la Création de quelle lumière est-il fait mention? Essentiellement d’une lumière de l’esprit. La mise en lumière des commencements de l’Univers permettra d’en suivre les étapes à venir. Les kabbalistes différencient en effet ce qu’ils nomment la lumière matérielle, le OR gachmi, et la lumière intellectuelle, le OR sikhli. Même si la première est quasiment insubstantielle, elle n’en comporte pas moins une dimension matérielle et une vitesse de propagation. La lumière intellectuelle est esprit et seulement esprit. Elle advient aussitôt que désirée.
C’est ce qui rend particulièrement difficile la traduction de la formule « Yehi or – vayehi or ». Aucun espace, aucun instant, même infinitésimal ne sépare l’expression du désir émanant de l’Eternel et son aboutissement.
Grammaticalement parlant, nous sommes en présence d’un temps bien particulier de la conjugaison non pas même « le présent » mais si l’on peut dire « l’immédiat ». Que faut-il justement en comprendre?
Le premier élément créé correspond intimement avec la dilection du Créateur. En lui et par lui ne se manifeste aucun autre élément réfractaire, retardant. La Parole divine est réalisée aussitôt qu’énoncée et par là même la Création fait Un avec le Créateur sans jamais se confondre avec Lui puisqu’elle est dotée d’un nom propre. Les autres dimensions et fonctions de la lumière apparaîtront essentiellement au quatrième jour – le mot « jour (yom) » étant à entendre comme « phase ».
Ce sera d’abord la lumière optique, physique, réfractée (méorot) qui permet de discerner les objets en plein jour et d’en percevoir au moins la présence la nuit. Au demeurant cette lumière là n’est pas qu’optique. Elle est également intellectuelle (sikhli) puisqu’elle permet l’acte du discernement et de la conceptualisation (havdalaothot)).
Elle permet de se dégager de la confusion originelle que le récit biblique nomme tohou vavohou qui n’est pas à proprement parler un état chaotique mais un état où « tout est dans tout » sans que rien ne parvienne à y prendre forme et signification (tsoura).
C’est par le moyen de cette lumière là que la morphogenèse de la Création pourra se poursuivre jusqu’à celle de l’Humain (Haadam), le sixième jour.
Raphael Draï Z’l

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CeQueJePense

Pourquoi les dix commandements n’ont pas été donnés à La création du monde? Cela aurait peut être influencer Caen de ne pas assassiner son frère Abel ?