Des habitants de Homs évacués de la ville assiégée, le 9 février 2014, en Syrie. (Crédit : Sana/AFP)

« Vous êtes sûre qu’il est mort ? » Cela faisait sept ans que Salwa était sans nouvelles de son neveu, et quand les autorités syriennes lui ont annoncé le décès de ce proche arrêté en 2011, elle a accusé le choc.

La fonctionnaire de l’Etat civil, dans la ville de Hama (centre), a été pourtant catégorique : « Oui nous avons reçu les noms de tous ceux qui sont morts en prison », a-t-elle lancée à Salwa, qui raconte son calvaire sous un pseudonyme par peur de représailles.

Dans un pays ravagé par sept ans de guerre, des dizaines de milliers de personnes se trouveraient dans les geôles du régime, qui a réprimé dans le sang en 2011 d’inédites manifestations pro-démocratie.

Des années durant, les familles ont vécu dans l’incertitude, ballotées d’un service de sécurité à l’autre, dépensant des fortunes pour tenter de retrouver un proche et savoir où il était détenu, voire s’il était encore en vie.

Aujourd’hui, défenseurs des droits de l’Homme et familles des détenus victimes de disparitions forcées s’étonnent du fait que, tout à coup, les autorités rendent publics des décès, alors que certains remontent à 2013.

Ces derniers mois ainsi, les proches de quelque 400 prisonniers, dont on ne savait rien, ont appris leur mort par les autorités, selon le Réseau syrien pour les droits de l’Homme (SNHR), ONG syrienne qui estimait plus tôt cette année à 80 000 le nombre de détenus en Syrie.

« Avant, le régime ne donnait aucun détail sur les prisonniers. Il ne déclarait même pas leur décès », confie à l’AFP le directeur du SNHR, Fadel Abdel Ghani, déplorant qu’aujourd’hui, cela se fait « de manière brutale ».

« D’habitude, quand un de vos proches meurt, c’est vous qui informez l’Etat civil. C’est dans ce sens que ça se passe, pas dans l’autre », ironise-t-il.

Selon son organisation, les registres de Hama ont été les premiers à être mis à jour, suivis par ceux de la ville de Homs, plus au sud. Puis la capitale Damas, la ville méditerranéenne de Lattaquié et enfin Hassaké (nord-est).

Salwa n’oubliera jamais ce matin de juin où elle s’est rendue à l’Etat civil de Hama. Elle a pris place dans une queue formée principalement par « les mères et les soeurs de prisonniers ».

« Chaque femme essuyait ses larmes et se couvrait le visage avec son foulard », se souvient-elle.

Et c’est en pleurant que Salwa est rentrée chez elle, après avoir été informée du décès de deux neveux : Saad, arrêté en 2011 et donné pour mort en 2013, et son cousin Saeed, détenu depuis 2012, qui serait décédé en 2017.

La famille n’ayant pu récupérer les corps, elle a dû se contenter d’une simple cérémonie de deuil qui s’est tenue dans la discrétion, la ville étant tenue par le régime.

« Même dans le deuil, on avait peur et on devait cacher notre douleur », lâche Salwa.

La dernière fois que la famille d’Islam Dabbas l’a vu vivant c’était fin 2012 à Saydnaya, une prison près de Damas.

« Il portait un pull avec les mots ‘Juste la Liberté’. Quelques temps après, on n’a plus eu de nouvelles », raconte son frère Abdel Rahmane, installé en Egypte.

En juillet, un proche en Syrie s’est enquis de son sort. « Il est mort le 15 janvier 2013 à Saydnaya », indique Abdel Rahmane, qui précise que la famille n’a pas pu voir son corps et que les obsèques ont eu lieu en Egypte.

« Où sont les corps ? »

Amnesty International avait qualifié en 2017 la prison de Saydnaya « d’abattoir », en raison des pendaisons de masse qui s’y déroulaient selon l’ONG.

« Honnêtement, c’est un soulagement. Ma mère m’a dit ‘C’est lui le chanceux, il est en paix’ », souffle Abdel Rahmane.

Noura Ghazi, membre de l’ONG « Familles pour la Liberté » qui travaille sur ce dossier, explique que certains proches restent tenaillés par le doute et ont du mal à accepter la mort, surtout pour ceux qui ne peuvent pas voir de corps.

« Vous dites qu’ils sont morts, mais nous voulons savoir où sont les corps. Nous voulons savoir comment ils sont vraiment morts », assène l’avocate syrienne installée au Liban.

Son époux, Bassel Khartabeel, a disparu après son arrestation en octobre 2015. Deux ans plus tard, à travers ses propres réseaux, elle a appris son décès en détention.

« J’ai alors porté le deuil », raconte-t-elle.

Quand en juillet un proche est allé vérifier dans les registres gouvernementaux et a obtenu confirmation officielle de sa mort, elle a quand même reçu un choc.

« C’est comme s’il était mort à nouveau », lâche-t-elle dans un souffle. « Pendant plus de deux ans, je me suis battue pour connaître son sort. Maintenant je vais me battre toute ma vie pour récupérer son corps ».

AFP

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