A Césarée, au milieu des ruines romaines.

En ce dimanche précédant le lundi de Pâques et en pleine semaine sainte pour les touristes chrétiens en balade en Israël, les embouteillages ont parfois du bon.

Vous avez dû prendre connaissance des sondages de l’OCDE plaçant le pays d’Israël en tête de tous les embouteillages de la circulation automobile… Eh bien, n’en voyant pas la fin, nous avons profité d’une sortie de bretelle d’autoroute pour nous retrouver, sans trop savoir comment, à deux encablures de cette belle ville de Césarée.

Mais nous avons trouvé des centaines, voire des milliers de voitures en stationnement près de l’eau : les vacances scolaires en Israël commencent une bonne semaine avant le soir du séder de Pessah, ce qui explique cet afflux de parents accompagnés de leurs enfants.

Il faisait assez chaud, ce qui n’était pas le cas des jours précédents où nous avons essuyé quelques gouttes de pluie… On avait fui Paris pour les mêmes résultats, une pluviométrie insupportable, mais ici, grâce au Ciel, les nuages ont été pompés par un soleil radieux et triomphant.

Quand un philosophe se promène parmi des ruines remontant à près de deux millénaires, il se souvient d’une quantité de légendes talmudiques mettant aux prises des sages, des érudits des Ecritures et des légionnaires romains… Chacune se ces histoires vise un enseignement, une moralité destinée à édifier le lecteur.

Exemple : ce pauvre Judéen qui se retire dans un lieu d’aisance, en plein milieu du désert, pour satisfaire un besoin naturel. Arrive un soudard de l’armée d’occupation qui chasse ce pauvre hakham, lequel cède sa place sans rien dire.

Il se met en quête d’un autre lieu où nul ne l’inquiétera… S’étant à peine éloigné d’où le légionnaire l’avait chassé sans ménagement, il entend un grand cri de douleur. Il revient sur ses pas et découvre un serpent venimeux qui avait mortellement mordu son tourmenteur. La divine Providence avait confié à un serpent véneimeux le soin de rétablir un ordre éthique universel…

Evidemment, ce fait divers, si j’ose parler ainsi, vise tout autre chose : une intervention divine providentielle a instrumentalisé le légionnaire romain qui a ainsi la vie de ce sage…

D’où l’expression araméenne, kol ‘akkawa le tava : tout obstacle peut advenir pour un bien. L’expression est un peu fruste et Hegel, pour sa part, lui donnera une forme plus élaborée : la formidable positivité du négatif… En gros, l’humiliation, l’injustice subie par érudit des Ecritures lui a sauvé la vie.

Je regarde ces colonnes de grès rose et gris, je contemple ces maisons encaissées dans des anfractuosités, qui ont abrité il y a si longtemps des familles entières, les protégeant des intempéries. Mais quels vestiges représentent toutes ces pierres ? Si elles avaient la capacité de parler, certes elles témoignent, mais que nous diraient elles ?

Elles se feraient probablement l’écho, non seulement des voyages à pied des sages mais aussi des premières controverses judéo-juives, je veux dire de ceux, parmi les Judéens, qui optèrent pour Jésus, notamment Saint Paul et d’autres .

Il commence à faire assez chaud et le soleil darde ses forts rayons sur des têtes qui ont perdu l’habitude de telles canicules. Comme l’heure est venue de se mettre à table, je demande à un passant de nous conseiller un bon restaurant au bord de l’eau.

Il nous en indique un, tout près à moins de cent mètres. Les tables sont posées tout contre un muret lequel surplombe la mer. L’endroit est idéal, aucune famille bruyante n’est assise près de nous, le calme parfait.

Tous les poissons sont péchés le jour même et on nous propose du locus, terme désignant en Israël du loup de mer, je crois, sans en être vraiment sûr… Un excellent vin chardonnet accompagne un immense poisson, avec de succulentes pommes de terre, enrobées de sauce piquante et de mayonnaise.

Mélange improbable, mais nous sommes en Israël et je dois reconnaître que c’était bon. Et nous avions faim. Les Français disent que la faim fait manger le bout de bois, et les Allemands : la faim est le meilleur de tous les cuisiniers : mais soyons bons, nous n’avons pas souffert, tant c’était bon.

En savourant ce bon vin blanc, et en inspectant ce qui m’entoure, je relève avec soulagement que nul pain ne se trouve sur les tables : nous sommes en période de pain azyme, de matsot.

Je craignais qu’il en fût autrement tout en mangeant ce poisson si savoureux, Quand je pense aux matsot, je me souviens du sermon en anglais du rabbin sud africain de la New Synagogue, sise rue Mac Donald à Natanya, la veille. Il a rappelé que matsa et milhama veulent aussi dire la même chose. Hén le riv we hen le matsa, Le rabbin s’est inspiré d’un folio talmudique qui fait ce rapprochement. L’un des sens de matsa est justement l’équivalent de riv, querelle, dispute…

J’ai pensé aussi au Cantique des Cantiques qui fut lu dans cette même synagogue avant la prière du moussaf. Ernest Renan disait que ce Cantique est la seule séquelle d’un Israël très ancien, encore en relation intime avec le règne non contrarié de la nature.

Mais la survenue du courant charismatique et l’imposition de sa domination a rompu ce lien unissant le jeune Israël à la joie des couleurs et aux plaisirs de la vie. Sans s’en référer constamment à la loi éthico-religieuse qui a le dessus et a donné à Israël l’histoire religieuse devenue la sienne depuis plus de deux millénaires.

Et cela nous ramène à Pessah, fête qui s’est jumelée avec celle des azymes pour montrer comment une fête de bergers, fêtant la venue des beaux jours, est devenue le premier événement fondateur de l’histoire juive : la sortie d’Egypte.

La Tora a toujours voulu dépasser le règne de la Nature, car celle ci ne doit pas être divinisée, c’est une création obéissant au Créateur. Mais elle n’a jamais voulu nier la Nature, elle en a simplement restreint les droits et l’influence. Le judaïsme se veut une religion qui exige un dépassement permanent de soi. Exercice des plus difficiles et des plus délicats. Levinas écrivait dans Difficile liberté : Qu’il est bon d’être juif…

L’amour de la Nature, la recherche des plaisirs, ont cédé devant la généalogie de la morale. Ce principe est la marque de fabrique du peuple d’Israël et de la religion d’Israël… Pour le meilleur et pour le pire…

Hag saméah, mo’adim le-simha

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Franz Rosenzweig (Agora, universpoche, 2015)

Le nouveau cycle de conférences, Aux racines de la culture européennese penche sur l’humus spirituel et les valeurs premières qui gisent au fondement de ce continent. Mais l’Europe n’est pas seulement un continent, c’est aussi et surtout une culture, axée autour de courants spirituels et d’écoles philosophiques, qui passent à juste Titre pour sa constitution théologico-politique ou éthique.

Les réflexions qui seront exposées dans la salle des mariages de la Mairie de notre arrondissement couvrent la critique biblique, la littérature éthique, la philosophie médiévale sous son triple aspect, gréco-arabe, chrétienne et juive au miroir des pères spirituels de l’Europe : Thomas d’Aquin, Maimonide, Averroès et Maître Eckhart.

Salle des Mariages Mairie du 16e Arrondissement – 71, avenue Henri Martin- 75016 Paris

Jeudi 11 janvier -19h
Hannah Arendt, égérie de Martin Heidegger?

Jeudi 8 février – 19h
Le Moïse de Sigmung Freud, selon Y. Yerushalmi

Jeudi 15 mars – 19h
Franz Rosenzweig, la philosophie et la Révélation: le problème de la Vérité

Jeudi 5 avril – 19h
Emmanuel Levinas et Moïse Mainonide

Jeudi 17 mai – 19h
L’historien Marc Bloch et Simone Veil face au Kaddish

Jeudi 7 juin – 19h
La langue judéo-arabe: plaidoyer pour une culture (presque) oubliée

 

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

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Bernadotte

La musique choisie pour égayer cette vidéo ne cadre pas du tout avec le sujet s’agissant bien entendu des danses slaves de Dvorjak!

J’aurais chosi plutôt le fêtes romaines d’Ottorino Respighi

Question de bon goût