L’inspiration prophétique (le sprint) et la pérennité du peuple juif (le marathon).

Et : LE SENS DES MITSVOT: AHARE MOT, par Raphaël Draï.Ce fut un moment unique, exceptionnel de leadership au plus haut sommet. Pendant 40 jours, Moïse a communiqué avec Hachem, en recevant de lui la Loi écrite sur des tables de pierre. Mais, c’est à ce moment, qu’Hachem lui a appris que le peuple avait fabriqué un veau d’or. Il était sur le point de les détruire. Cela a été la pire crise pendant les années de traversée du désert, et cela rappelle à chacun les dons de dirigeant que possédait Moïse.

Tout d’abord, il a prié Hachem de ne pas détruire le peuple. Hachem a accepté. Ensuite, il est revenu de la montagne et il a vu le peuple qui faisait des cabrioles autour du veau. Immédiatement, il a brisé les Tables. Il a brûlé le veau, a mélangé ses cendres avec de l’eau et a fait boire le peuple. Puis, il a demandé au peuple de se joindre à lui. Les Lévites ont tenu compte de l’appel et ont infligé une punition sanglante, par la mort de 300 personnes. A ce moment, Moïse est retourné sur la montagne et a prié pendant 40 jours et nuits. Alors pendant quarante autres jours, il est resté avec Hachem pour graver de nouvelles Tables. Finalement, il est revenu de la montagne le 10 Tichri apportant avec lui les nouvelles Tables comme un signe visible que l’Alliance entre Hachem et Israël était intacte.

Cela a été une extraordinaire démonstration de leadership, par moments intrépide et déterminante, et à d’autres moments plus lente et tenace. Moïse a dû affronter les deux côtés, incitant les Israélites à faire Techuva et Hachem à pardonner. A ce moment, il a été la plus grande incarnation du nom d’Israël, signifiant : celui qui a lutté corps à corps avec Hachem et avec le peuple, et qui l’a emporté.

La bonne nouvelle, c’est qu’il y eut Moïse. Grâce à lui, le peuple a survécu. La mauvaise nouvelle est : que ce serait-il passé s’il n’y avait pas eu Moïse ? La Torah elle-même, le dit : « Aucun autre prophète ne s’est levé en Israël comme Moïse l’a fait, et qu’Hachem connaissait face-à-face ». (Deut. 34: 10). C’est le problème auquel doit faire face chaque nation, corporation, communauté et famille. Que faites-vous en l’absence d’un chef héroïque ? C’est facile à dire, « Pensez à ce que Moïse aurait fait ». Mais Moïse a fait ce qu’il a fait parce qu’il était ce qu’il était. Nous ne sommes pas Moïse. C’est la raison pour laquelle chaque groupe humain qui a, une fois, été touché par la Grandeur est confronté à un problème de continuité. Comment éviter un lent déclin ?

La réponse est donnée dans la paracha de cette semaine. Le jour où Moïse est descendu de la montagne avec les secondes Tables devait être immortalisé en le commémorant par un jour saint, Yom Kippour. Par là, le drame de la Techuva et de la Kapparah, la repentance et la réparation, est répété chaque année. Cette fois, pourtant, le personnage central ne serait pas Moïse mais Aaron, le Grand Prêtre et non pas le Prophète.

C’est ainsi que vous perpétuez un évènement de transformation, en le changeant en rituel. Max Weber a appelé cela « la routinisation du charisme ». 1″>Article original Un moment unique devient une cérémonie unique. Comme James Mac Gregor Burns l’a mentionné dans son travail devenu un classique du genre, Leadership, « L’acte le plus tangible du leadership est la création d’une institution – une nation, un mouvement social, un parti politique, une bureaucratie – qui continue à exercer un tutorat moral et qui encourage un changement social nécessaire, longtemps après que les leaders créatifs ont disparu ». 2″>Article original

Il existe un remarquable midrash dans lequel divers sages ont avancé leur idée de klal gadol ba-Torah (…°), « le grand principe de la Torah ». comme l’a dit Ben Azzai dans le verset, « C’est le livre des chroniques de l’homme : le jour où Hachem a créé l’homme, il l’a fait à la ressemblance de Hachem » (Gen. 5: 1). Ben Zoma affirme qu’il existe un principe plus fondamental, « Ecoute, Israël, le Seigneur, notre D., Hachem est Un. » Ben Nannas dit qu’il y a un principe encore plus essentiel : « Aime ton prochain comme toi-même ». Ben Pazzi dit que nous avons trouvé un principe encore plus déterminant : le premier mouton peut être offert le matin, et le second l’après-midi » (Exodus 29: 39) – ou, comme nous pouvons le dire aujourd’hui, Chaarit, Min’ha et Arvit. En un mot : « l’habitude ». Le passage conclut : la loi suit Ben Pazzi. 3″>Article original

Le sens de l’affirmation de Ben Pazzi est clair : tous les grands idéaux dans le monde – l’homme à l’image de Hachem, la croyance dans l’Unité de Hachem, et l’amour des prochains – ne comptent que très peu avant qu’ils ne soient transformés en habitudes d’actes et qu’ils deviennent des habitudes du cœur. Nous pouvons tous nous souvenir de moments de sagacité ou de révélation lorsque nous avons soudainement compris ce qu’est la vie, ce qu’est la grandeur, et la manière dont nous devrions vivre. Un jour, une semaine ou au plus une année après que l’inspiration se soit affaiblie et devienne un souvenir lointain, nous restons comme nous l’étions avant, inchangés.

La grandeur du Judaïsme est qu’il donne de l’espace aux deux : prophète et prêtre, aux personnages charismatiques, d’un côté, et que de l’autre côté, les règles quotidiennes – la Halakha –qui puisent dans des vues élévées et qui les transforment en modèles de comportement qui reconfigurent le cerveau et changent ce que nous ressentons et ce que nous sommes.

L’un des passages les plus inhabituels et importants que j’ai lus concernant le Judaïsme, écrit par un non juif, apparaît dans le livre de William Rees-Mogg sur la macro-économie, L’Erreur Dominante. 4″>Article original Rees Mogg (1928-2012) était un journaliste de la finance qui est devenu éditeur du Times, Président du Conseil des Arts et Vice-président de la BBC. Sur le plan religieux, c’était un catholique engagé.

Il commence ainsi le livre par un éloge dithyrambique, totalement inattendu du Judaïsme halakhique. Il explique la raison pour laquelle il procède ainsi. L’inflation, dit-il, est une maladie de la transgression, un échec de la discipline, dans ce cas, en relation avec l’argent. Ce qui rend le Judaïsme unique, dit-il, c’est son système juridique. Ce dernier a été à tort critiqué par les Chrétiens comme un système sèchement légaliste. En fait, la loi Juive était primordiale pour les survivants juifs parce qu’elle « apportait une norme, par laquelle l’action peut être évaluée, une règle de conduite, centré sur la fidélité et une limite pour l’énergie propre à la nature humaine ».

Toutes les sources d’énergie, plus particulièrement l’énergie nucléaire, nécessite une forme de maîtrise. Sans cela, elles deviennent dangereuses. La loi Juive a toujours agi comme une digue pour l’énergie spirituelle et intellectuelle du Peuple Juif. Cette énergie « n’a pas simplement explosée ou été dispersée, elle a été maîtrisée comme une énergie continue. « Ce que les Juifs possèdent, démontre-t-il, c’est précisément ce qui manque le plus à l’économie moderne : un système de self-control qui permette à l’économie de s’épanouir sans explosions et chutes, inflation et récession.

La même chose s’applique au leadership. Dans Good to Great, le théoricien du management Jim Collins avance que ce que les grandes entreprises ont en commun c’est qu’elles reposent sur une culture de la discipline. Dans Great by Choice, il utilise la phrase ‘la marche des 40 kms », signifiant par là, que les organisations exceptionnelles sont programmées pour un marathon et non pour le sprint. La confiance, dit-il, « ne provient pas de discours de motivation, de l’inspiration charismatique, des rassemblements de soutien sauvages, de l’optimisme infondé ou de l’espoir aveugle. 5″>Article original Elle provient de la réalisation d’actes précis, jour après jour, année après année. Les grandes entreprises mettent en oeuvre des disciplines propres, méthodiques et cohérentes. Elles encouragent les gens à être disciplinés et responsables.

Elles n’incitent pas à des réactions exagérées pour tout changer, pour le meilleur ou pour le pire. Elles gardent l’œil sur l’horizon lointain. Par-dessus tout, elles ne dépendent pas de chefs charismatiques et héroïques qui au mieux guident l’entreprise pendant un temps, mais qui n’apportent pas la force profonde nécessaire pour prospérer sur le long terme.

L’exemple classique des principes énoncés par Burns, Rees-Mogg et Collins se trouve la transformation qui se produit entre Ki Tissa et Aharei Mot, entre le premier Yom Kippour et le second, entre l’héroïque leadership de Moïse et la discipline calme, discrète et sacerdotale d’un jour annuel de repentance et de réparation.
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Transformer les idéaux en codes d’action qui façonnent les habitudes du cœur, voilà ce dont traitent, à la fois, le Judaïsme et l’art de gouverner. Ne jamais perdre l’inspiration des prophètes, mais ne jamais perdre non plus, les habitudes de vie qui transforment les idéaux en actes et les rêves en réalité.

Acharei Mot (5774) – Sprints et Marathons
11 Nissan 5774

Par le Grand Rabbin et Lord Jonathan Sacks.
rabbisacks.org Article original

Adaptation : Florence Cherki & Marc Brzustowski.

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1″>Article original Voir Max Weber, Economie et Société, University of California Press, 1978, 246 ff.
2″>Article original James MacGregor Burns, Leadership, 454.
3″>Article original Ce passage est cité dans l’Introduction au commentaire HaKotev de Ein Yaakov, les passages haggadiques, recueillis dans le Talmud. C’est aussi cité par le Maharal dans Netivot Olam, Ahavat Re’a 1.
4″>Article original William Rees-Mogg, The reigning error: the crisis of world inflation, London, Hamilton, 1974, 9-13.
5″>Article original Jim Collins, Good to Great, London, Random House Business, 2001. Great By Choice, London, Random House Business Books, 2011.

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LE SENS DES MITSVOT: AHARE MOT –

A Jacky Milewski et à Daniel Dahan


29 A’ hareï moth

« L’Eternel parla à Moïse après la mort des deux fils d’Aharon qui s’étant avancés devant l’Eternel avaient péri, et il dit à Moïse: «Signifie à Aharon ton frère qu’il ne peut entrer à toute heure (becol-êth) dans le sanctuaire (el hakodech), dans l’enceinte du voile, (mibeth laparokheth), devant le propitiatoire (el pnéi hakaporeth) qui est sur l’Arche (aron) s’il ne veut pas encourir la mort car je me manifeste dans un nuage (beânan) au dessus du propitiatoire » (Lev, 16, 1, 2). Traduction de la Bible du Rabbinat.

Entame étonnante! Il aura fallu attendre trois parachiot au moins pour apprendre à quoi il convenait de procéder après la mort brutale de deux des fils d’Aharon qui avaient d’enthousiasme présenté un feu néanmoins étranger devant Dieu, un feu qui ne correspondait pas à celui requis par son Service. Cet intervalle est loin d’être arbitraire. Il tend surtout à ne pas compacter un récit de mort avec l’exposé de règles concernant la vie, quitte à y revenir au moment pédagogique et spirituel le plus opportun, celui qui à présent s’ouvre à notre intelligence.

Et il faut avant tout prêter attention à la connexion phonétique de plusieurs termes: d’abord le nom de Aharon, qui n’est séparé que d’une seule lettre du mot aron qui désigne l’Arche de la Loi ; mais encore les mots voile, parokhet, et propitiatoire, kaporeth, constitués des mêmes lettres présentées dans deux combinatoires différentes. Sans doute pour nous indiquer qu’entre ces éléments opèrent des continuités, des « courances » qu’il faut se garder d’interrompre ou de mal aiguiller.

La mort de Nadav et Avihou a donné lieu à de nombreux commentaires qui présentent néanmoins un point commun. En tant que cohanim ces deux fils d’Aharon ont accompli une liturgie de portée divine qui ne leur incombait pas. Il ne s’agit pas de juger de leurs motivations. Il s’agit surtout de prendre conscience qu’aussi prés qu’il soit ou qu’il se veuille de la Présence divine, même un cohen doit réaliser qu’entre Elle et lui il ne saurait y avoir de commune dimension. Aharon a beau être par son nom même au plus prés possible du arone, de l’Arche où sont déposées les Tables de la Loi, celles –ci, eussent elles été réécrites de main d’homme, en l’occurrence par Moïse après la transgression du Veau d’or, ont été initialement gravées du doigt de l’Eternel.

Deux autres termes, également fort proches, permettent d’en prendre une plus claire conscience encore: parokhet, qui désigne le voile tamisant l’intensité de la Présence divine et qui en permette l’accommodation par l’esprit humain, et parokhet, le propitiatoire qui, lui, atténue la peccabilité inhérente à la condition humaine et permette de ce fait l’approche vitale de cette Présence. Car l’on n’entre pas de plain- pied et, si l’on ose dire comme dans un moulin, dans le Sanctuaire et à plus forte raison dans le Saint des Saints. Pour s’y aventurer il faudrait s’estimer – fort dangereusement – être parvenu à un degré de perfection qui n’est qu’illusoire négation de cette peccabilité. Le bois peut se prétendre ignifugé. Il suffit de l’approcher de la flamme pour démontrer à quel point il s’avère au contraire combustible.

L’Eternel est le lieu du monde, son makom. La notion de Présence divine, de Chekhina indique que le Créateur dispense les bienfaits de cette Présence à l’ensemble de ses créatures créatrices et qu’au moment où il y procède Il est tout entier à chacune d’elles, en communication (ânan) intimement personnelle. Imagine t-on au moment où se déroule l’entretien du Buisson ardent, ou lorsque se déploie la demande de pardon de Moîse au Sinaï que quiconque ait cru devoir faire irruption de soi-même dans cet envoi en mission libératrice ou dans la prière salvatrice du prophète!

La disponibilité divine doit toujours se vérifier. Il y faut le temps d’une préparation, d’une approche, d’une hitkarbout. L’enthousiasme ne doit pas se confondre avec l’impulsivité, ni la spontanéité avec le passage à l’acte. C’est pourquoi les desservants du Sanctuaire devaient s’abstenir de toute boisson enivrante, ivresse des affects ou ivresse des «idées».

Par Raphaël Draï

In RELIGION on avril 9, 2014 at 10:19

raphaeldrai.wordpress.com Article original

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