On a vu les méfaits du Lachon Hara, qui se transforme en une véritable lèpre. La difficulté consiste à découvrir son antidote, Le Lachon Hatov, et de savoir le doser avec parcimonie.לקבלת המאמר בשפה העברית לחצו כאן

Les sages ont été particulièrement éloquents sur le thème du Lachon Hara, le discours malveillant contre autrui, le péché considéré comme la cause de la tsara’at, le sujet de la paracha de cette semaine. Mais il existe un principe halakhique profond selon lequel : « Vous pouvez transformer le négatif en positif » 1″>Article original Ainsi, par exemple, concernant la gravité de l’interdiction du Hillul Hachem, la profanation du nom de Hachem, vous pouvez en déduire l’importance de son opposé, le Kiddouch Hachem, la sanctification du nom de Hachem.

Par conséquent, il doit exister en principe, un concept de Lachon Hatov, le discours bienveillant envers quelqu’un, et cela doit être plus qu’une simple négation de son opposé. La meilleure manière d’éviter le Lashon Hara est d’observer le silence, et, en effet, les sages ont été également très loquaces sur l’importance du silence. 2″>Article original Le silence nous sauve du discours malveillant mais, sur le fond, celui-ci n’amène rien de positif. Qu’est-ce alors que le Lashon Hatov ? Lashon Hatov – une des plus importantes missions d’un chef, d’un parent ou d’un ami – est centrée sur l’art de l’éloge. Le texte classique sur ce sujet correspond à une Mishnah dans le Traité des Pères, « l’Ethique des Pères » :

Rabban Yochanan ben Zakkai avait cinq disciples (prédominants), dont les noms étaient : le Rabbin Eliezer ben Hyrcanus, le Rabbin Joshua ben Chananya, le Rabbin Yose le Prêtre, le Rabbin Shimon ben Netanel, and le Rabbin Elazar ben Arakh.

Il employait les mots suivants pour faire leur éloge de chacun : Eliezer ben Hyrcanus : un assoiffé de connaissances qui n’en perd jamais une goutte. Joshua ben Chananya : heureux celui qui lui a donné la vie. Yose le Prêtre, un homme pieux. Shimon ben Netanel : un homme qui craint le péché. Elazar ben Arakh : un printemps sans cesse renouvelé (Avot 2: 10-11).

La Mishnah fait plus que de nous raconter que Rabban Yohanan ben Zakkai avait des disciples. Tout Rabbin a des disciples. L’impératif, « Elève de nombreux disciples ! » 3″>Article original est un des enseignements rabbiniques les plus anciens dont on se souvienne. Ce que la Mishna nous apprend, c’est comment en faire des disciples créatifs. Il est aisé d’avoir des étudiants qui sont des dévots inconditionnels, mais qui ne deviendront jamais des intellectuels créatifs à part entière. Ce n’est pas compliqué de faire naître des suiveurs. Il est beaucoup plus difficile de faire naître des guides. Rabban Yohanan ben Zakkai était un grand enseignant parce que cinq de ses étudiants sont devenus des géants à part entière. La Mishnah nous raconte comment il a procédé.

Il l’a réalisé en sachant se concentrer sur l’éloge, la valorisation des qualités propres. Il a montré à chacun de ses élèves où étaient ses forces singulières. Eliezer ben Hyrcanus, l’ « enivré de savoir qui n’en a jamais perdu une goutte », était doué d’une magnifique mémoire – un don important à un âge où les manuscrits étaient rares et la Loi Orale n’était pas encore écrite. Shimon ben Netanel, l’ « homme qui craint le péché », ne peut pas avoir eu la brillante capacité intellectuelle des autres mais sa nature révérencielle rappelait aux autres qu’ils n’étaient pas de simples érudits mais des hommes saints engagés dans une mission sacrée. Alazar ben Arakh, le « printemps sans cesse renouvelé », avait un esprit créatif donnant sans cesse de nouvelles interprétations aux textes anciens.

C’est une des plus remarquables personnes que j’ai jamais rencontrée, la regrettée Lena Rustin, qui m’a fait.découvrir le pouvoir de transformation qui réside dans le fait de se concentrer sur l’éloge Lena était orthophoniste, spécialisée dans l’aide aux enfants bègues. J’ai été amené à la rencontrer grâce à un documentaire à la télévision que j’étais en train de préparer pour la BBC sur l’état de la famille en Grande-Bretagne. Lena croyait que les jeunes bègues dont elle s’occupait – ils avaient, en moyenne, environ 5 ans – avaient besoin d’être compris dans l’environnement de leur famille. Les familles tendent à développer un équilibre. Si un enfant bégaie, chaque membre de la famille s’ajuste à son mode d’élocution. Par conséquent, si l’enfant voit disparaître son bégaiement, toutes les relations avec la famille doivent être renégociées. L’enfant ne doit pas changer tout seul. Chacun doit le faire aussi, à son rythme.

En général, nous avons tendance à résister au changement. Nous nous installons dans des schémas de comportement jusqu’à ce qu’ils deviennent aisés comme un fauteuil familier ou une paire de chaussures confortable. Comment parvenez-vous à créer une atmosphère familiale qui encourage le changement et qui ne représente pas une menace ? La réponse que Lena a trouvé reposait sur l’éloge. Elle a raconté aux familles avec lesquelles elle travaillait que chaque jour, ils devaient surprendre chaque membre de la famille en train de faire quelque chose de bien, et le dire explicitement, positivement et avec reconnaissance.

Elle ne rentrait pas dans de longues explications, mais j’ai commencé à comprendre ce qu’elle faisait, en la regardant travailler. Elle créait dans chaque maisonnée, une atmosphère de considération réciproque et de renforcement positif continu et régulier. Elle voulait que les parents façonnent un environnement de respect mutuel et de confiance en soi, pas seulement pour l’enfant bègue mais pour chaque membre de la famille, de telle manière que l’ambiance globale de la maison se présente de telle sorte que chacun se sente en sécurité pour changer et aide ainsi les autres à en faire autant.

J’ai soudainement réalisé qu’elle avait découvert une solution, non seulement pour l’enfant bègue mais pour la dynamique de groupe dans sa globalité. Mon intuition s’est, bientôt, confirmée de manière surprenante. Il y a eu des tensions au sein de l’équipe de télévision avec laquelle je travaillais. Différentes choses se sont, soudain, aggravées et il existait une ambiance de récrimination réciproque. Après avoir filmé une séquence sur Léna Rustin, enseignant aux parents comment donner et recevoir des éloges, l’équipe a commencé à se féliciter réciproquement. Immédiatement, l’ambiance s’est transformée. Les tensions ont disparu, et filmer est redevenu un plaisir. Faire l’éloge des gens leur donne la confiance en eux suffisante, pour abandonner progressivement les aspects négatifs de leur personnalité et atteindre ainsi leur potentiel maximum.

Il existe dans le fait de faire l’éloge de quelqu’un un message spirituel profond. Nous pensons que la religion concerne la foi en Hachem. Ce que je n’avais pas totalement compris auparavant était que la foi en Hachem devrait nous conduire à avoir la foi dans les personnes, pour l’image de Hachem qui est en chacun de nous, et que nous devons apprendre à le discerner. J’ai, alors, compris que la phrase répétée dans la Genèse 1, « Et Hachem vit que c’était le Bien », était là pour nous enseigner de voir le Bien dans les personnes et les évènements, et qu’en procédant ainsi, cela nous aidait à les renforcer. J’ai, aussi, compris pourquoi Hachem a puni pendant peu de temps Moïse en rendant sa main lépreuse – comme mentionné dans la dernière paracha – parce qu’il avait dit des Israélites « Ils ne me croiront pas en moi ». Il a été enseigné à Moïse une leçon fondamentale de leadership : ça n’a pas d’importance qu’ils croient en toi. Ce qui est important, c’est que toi, tu crois en eux.

C’est d’une autre femme très avisée que j’ai appris une autre leçon essentielle squr ce qu’apporte la louange. La psychologue de Stanford Carol Dweck, dans son livre Etat d’Esprit, 4″>Article original expose qu’il existe une différence décisive, entre le fait de croire que nos compétences sont innées et déterminées une fois pour toute (l’ Etat d’Esprit « arrêté »), ou bien que le talent est quelque chose que nous allons parfaire avec le temps grâce à des efforts, de la pratique et de la persévérance (l’Etat d’Esprit « grandissant »). La première formule pousse à éviter la prise de risque, à craindre l’échec, ce qui montrera que ceux qui procèdentainsi ne sont pas aussi bons qu’ils pensaient l’être. La seconde attitude côtoie le risque comme une variable inhérente à la vie, parce qu’elle considère les erreurs comme une expérience d’apprentissage, à partir de laquelle nous grandissons. Cela implique qu’il existe des signes de reconnaissance positifs et négatifs. Les parents et les enseignants ne devraient pas féliciter les enfants dans des termes trop absolus : « Tu es doué, brillant, une vraie star. » Ils devraient encourager l’effort : « Tu as fait tes preuves malgré les difficultés, tu as donné le meilleur de toi-même. ». Ils devraient encourager un Etat d’Esprit grandissant, et non limité à des « dons » au départ.

Peut-être que cela explique une triste conséquence survenue, dans le cas des deux élèves les plus doués dans la vie de Rabban Yohanan ben Zakkai. La Mishnah suit immédiatement les remarques citées ci-dessus : Il Rabban Yohanan ben Zakkai »>Article original avait l’habitude de dire : si tous les sages d’Israël étaient sur le plateau d’une balance et Eliezer ben Hyrcanus sur l’autre, il les dépasserait tous. Cependant, Abba Saul a dit en son nom : si tous les sages d’Israël, y compris Eliezer ben Hyrcanus, étaient sur une échelle d’équilibre, et Elazar ben Arakh qur l’autre, il les dépasserait tous. (Avot 2 :12).

Tragiquement, Rabbi Eliezer ben Hyrnacus a, en définitive été excommunié par ses collègues, faute d’avoir accepté le point de vue majoritaire concernant la loi Juive. 5″>Article original Tout comme Rabbi Elazar ben Arakh, qui a été séparé de ses collègues. Lorsqu’ils sont allés à l’académie de Yavné, il est parti pour Emmaus, un endroit agréable à vivre mais, qui manquait par ailleurs d’étudiants en Torah. Il a, en définitive, oublié ce qu’on lui avait enseigné et est devenu l’ombre pâle de lui-même. 6″>Article original Il se peut qu’en louant ses étudiants pour leur compétences innées, plutôt que pour leurs propres efforts, Rabban Yohanan ben Zakkai a encouragé par mégarde les deux plus talentueux d’entre eux à développer un Etat d’Esprit arrêté, plutôt que de s’engager dans des discussions avec leurs collègues et de rester ouverts à un développement intellectuel.

Les louanges ainsi que la manière dont nous les faisons sont un élément fondamental de tout genre de leadership. En reconnaissant le bien chez les personnes et en le disant, nous aidons les personnes à se réaliser. En louant leurs efforts plutôt que leurs dons innés, on aide à favoriser leur développement, duquel Hillel avait l’habitude de dire : « Celui qui n’augmente pas sa connaissance, la perd » (Avot 1 : 13). Cette sorte de louanges appropriées change nos vies. C’est le pouvoir du Lachon Hatov. De mauvaises paroles nous diminuent ; de bons discours peuvent nous amener vers de hauts sommets. Ou comme disait W. H. Auden dans l’un de ses plus beaux poèmes : « Dans la prison de ses jours. Enseigne à l’homme libre comment savoir louanger ».

Metsorah (5774)

4 Nissan 5774

Grand Rabbin et Lord Jonathan Sacks

rabbisacks.org/metsorah-5774- Article original

Adaptation : Florence Cherki & Marc Brzustowski.


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1″>Article original Nedarim 11a.

2″>Article original Voir par exemple Mishnah Avot 1:17; 3:13.

3″>Article original Avot 1:1.

4″>Article original Carol Dweck, Mindset, Ballantine Books, 2007.

5″>Article original Baba Metsia 59b.

6″>Article original Shabbat 147b.

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