Il nous a paru intéressant de signaler que le film NUIT et BROUILLARD d’Alain Resnais est un film fait sur commande. Son auteur qui a profité, à juste titre, d’une grande notoriété grâce à cette œuvre majeure, a été surtout le porte-parole d’une équipe qui a voulu que le sujet de la Shoah fasse enfin débat, et ce bien avant que la Shoah ne soit considérée comme un fait majeur du XXeme siècle.

On l’oublie parfois : d’une durée de trente-deux minutes, Nuit et Brouillard, l’un des films les plus importants d’Alain Resnais, était une commande du Comité d’histoire de la seconde guerre mondiale, un organisme gouvernemental chargé de rassembler de la documentation sur la période de l’Occupation.

Sorti en 1956, dix ans après la libération des camps, produit par Anatole Dauman, Samy Halfon et Philippe Lifchitz, il débute par l’impératif biblique « souviens-toi ». Mêlant archives en noir et blanc et images en couleur, le film fut supervisé par deux historiens de la déportation : Olga Wormser-Migot et Henri Michel. Ecrit par l’écrivain Jean Cayrol, lui-même ancien déporté, le texte est dit par Michel Bouquet – ce dernier, en hommage aux victimes, refusa que son nom figure au générique.

LES NN, NACHT UND NEBEL

Quant à la musique, composée par Hanns Eisler, elle amplifie l’émotion que l’on ressent en voyant ce film dont le titre évoque le nom donné aux déportés par les nazis : les NN (Nacht und Nebel).

Nuit et Brouillard est un film sur l’univers concentrationnaire, en ce sens qu’il ne différencie pas explicitement les camps de concentration des camps d’extermination. Et si l’on y voit les chambres à gaz d’Auschwitz, la spécificité du génocide juif n’apparaît pas (le mot juif n’est cité qu’une seule fois) : il faudra pour cela attendre le film de Claude Lanzmann, Shoah, en 1985.

Le film s’achève sur un travelling arrière des chambres à gaz, citant les 9 millions de morts qui hantent le paysage : « Il y a nous, qui regardons sincèrement ces ruines comme si le vieux monstre concentrationnaire était mort sous les décombres, qui feignons de reprendre espoir devant cette image qui s’éloigne, comme si on guérissait de la peste concentrationnaire, nous qui feignons de croire que tout cela est d’un seul temps et d’un seul pays, et qui ne pensons pas à regarder autour de nous, et qui n’entendons pas qu’on crie sans fin. »

ALLUSION À LA COLLABORATION

A l’époque, c’est l’allusion à la Collaboration qui fait réagir en France : une des images du film montre un gendarme français dans le camp de Pithiviers, où transitent les juifs avant leur déportation. A la demande de la commission de contrôle, Alain Resnais devra censurer son film, en apposant un bandeau noir sur la photographie incriminée – il y restera jusqu’en 1997. Resnais expliquera également que le Service des armées lui avait refusé l’utilisation d’une archive en raison du « caractère » de son film.

A l’annonce du choix de Nuit et Brouillard pour représenter la France au Festival de Cannes, l’ambassade d’Allemagne de l’Ouest fit une démarche, couronnée de succès, auprès du gouvernement de Guy Mollet pour faire retirer le film de la sélection officielle. Outre les protestations nombreuses – y compris en Allemagne même –, s’ensuivit une campagne de presse en faveur du film. Jean Cayrol, le scénariste, s’exprima dans Le Monde du 11 avril 1956 : « La France refuse ainsi d’être la France de la vérité, car la plus grande tuerie de tous les temps, elle ne l’accepte que dans la clandestinité de la mémoire. (…) Elle arrache brusquement de l’histoire les pages qui ne lui plaisent plus, elle retire la parole aux témoins, elle se fait complice de l’horreur. » Finalement, le film sera projeté à Cannes, mais hors compétition.

ABSENCE DE RÉFÉRENCE À LA SHOAH

Concernant l’absence de référence à la Shoah, Alain Resnais connaissait les réticences de Claude Lanzmann. Avec élégance, il s’en était expliqué dans Alain Resnais, Liaisons secrètes, accords vagabonds, de Suzanne Liandrat-Guigues et Jean-Louis Leutrat (Ed. Cahiers du cinéma, 2006) : « Il a raison. Mais je ne pense pas que Claude Lanzmann dise que cela a été volontaire. Nuit et Brouillard a été fait en 1955, c’est ce qu’il faut tout le temps redire. En le regardant, il faut essayer de s’imaginer ce qu’étaient la mentalité et les connaissances à cette époque. Et puis, il y avait cette idée qu’il fallait réconcilier tous les Français. »

« A l’époque, ajoutait Resnais, la notion de Shoah n’existait pas. Pour le commentaire, Olga Wormser et Henri Michel se sont interrogés sur le nombre de morts ; celui retenu à l’époque est un chiffre global de 9 millions. Est-ce qu’il fallait détailler le nombre de Tziganes, d’homosexuels, de politiques ? Nous ne connaissions pas les chiffres. Six millions de Juifs sur 9 millions, nous ne le savions pas. »

LE FILM LE PLUS MONTRÉ AUX COLLÉGIENS

Encore aujourd’hui, Nuit et Brouillard est le film qui est le plus souvent montré aux collégiens lorsqu’il s’agit d’enseigner les horreurs nazies. Affaire de durée sans doute – Shoah dure plus de neuf heures et dix minutes – mais pas seulement.

Interrogé au lendemain de la mort d’Alain Resnais, Claude Lanzmann estime que « les responsables de l’éducation nationale, mais aussi ceux des institutions juives, n’aiment pas la précision, l’exactitude. Au fond, le monde entier se serait bien satisfait de Nuit et Brouillard. Comme s’il n’y avait pas besoin d’en savoir plus. Le reste, tout ce que j’ai appris en faisant Shoah, aurait relevé de travaux obscurs d’historiens. Pour les non-spécialistes, Nuit et Brouillard disait tout. Le nazisme se résumait à cela ».

Alain Resnais était bien conscient de l’importance fondamentale de Shoah pour la connaissance historiographique. « Sans Lanzmann, disait-il, la notion de Shoah n’aurait pas été perçue de la même manière. » Alain Resnais ajoutait : « Maintenant, on dit que Nuit et Brouillard est trop édulcoré, mais en 1955, il était trop violent. En tout cas, à sa sortie, avec tous les problèmes qu’il y a eus, je n’ai jamais vu un déporté dire : “Quand même, il faudrait plus parler de ceci ou de cela.” »

Le Monde.Fr Article original

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