La guerre du Kippour ou guerre israélo-arabe de 1973 opposa, du 6 octobre au 24 octobre 1973, Israël à une coalition menée par l’Égypte et la Syrie. Des milliers d’hommes, dans les deux camps, ont été tués lors des combats d’octobre 1973. Pourtant, les dirigeants de l’État juif étaient persuadés que les Syriens et les Égyptiens n’oseraient défier Tsahal après la cuisante défaite qui leur avait été infligée en juin 1967. Retour sur les événements avec Marius Schattner et Frédérique Schillo auteurs de « La guerre du Kippour n’aura pas lieu » (André Versaille éditeur). Extraits.

Les forces égyptiennes traversant le canal de Suez le 7 octobre 1973 – cc.

Depuis 2010, les archives israéliennes se sont ouvertes et des documents top secret ont été déclassifiés, ce qui a poussé l’historienne Frédérique Schillo et le journaliste MariuS Schattner à reprendre l’histoire de cette guerre qui mit à mal le mythe de l’invincibilité de l’armée israélienne.

Le livre apporte des éléments de réponse à des questions toujours sensibles : qu’est-ce qui explique qu’Israël se soit laissé surprendre ? La guerre était-elle inévitable ? Israël a-t-il sérieusement envisagé l’option nucléaire ? Les auteurs tentent également de comprendre pourquoi les Israéliens ont fait preuve d’un tel aveuglement, malgré la quantité impressionnante de renseignements de première qualité dont ils disposaient.

Cette enquête, qui mêle géopolitique, psychologie, stratégie et espionnage, se lit comme un thriller, et jette un nouvel éclairage sur un conflit glorifié par les Arabes et toujours vécu comme un traumatisme en Israël.

Extraits de La guerre du Kippour n’aura pas lieu, de Marius Schattner et Frédérique Schillo (André Versaille éditeur)

Ce livre est l’histoire d’un aveuglement. En témoigne l’incroyable erreur des services de Renseignement israéliens qui, presque jusqu’au tout dernier moment, à quelques heures du déclenchement de l’offensive conjointe syro-égyptienne le 6 octobre à 14h, ne voulaient pas y croire. Incroyable erreur, non point parce qu’ils se sont trompés dans leur évaluation des intentions de l’ennemi et ont pris leurs désirs pour des réalités – lot commun des services secrets de par le monde –, mais parce qu’ils disposaient d’une quantité impressionnante de renseignements de première qualité qu’ils n’ont pas su exploiter.

Aussi incroyable que cela paraisse, l’espion numéro un d’Israël n’était autre que… Ashraf Marwan, le propre gendre du président égyptien Gamal Abdel Nasser, devenu, après la mort de ce dernier, le proche conseiller de son successeur Anouar el-Sadate. Il aura fallu attendre des décennies pour que l’identité de cet homme, considéré par Israël comme son meilleur agent qui avait fourni au Mossad des renseignements de première qualité, fût révélée au grand jour avec des conséquences fatales pour l’intéressé.

À moins qu’Ashraf Marwan n’ait été un agent double : après avoir transmis des informations de première main, a-t-il joué un rôle clef dans une entreprise d’intoxication très élaborée destinée à tromper les Israéliens sur l’imminence d’une attaque dans le Sinaï et sur le plateau du Golan ? Ou bien les dirigeants israéliens qui disposaient d’autres sources d’informations ont-ils été avant tout victimes de leurs illusions, de leurs a priori qu’aucun fait ne pouvait démentir, autrement dit de leur arrogance ?

Après avoir fait débat en Égypte, ces questions n’ont pas fini d’alimenter une polémique en Israël. Cela ne tient pas uniquement à la fascination qu’exerce une affaire d’espionnage qui semble sortie d’un roman de John le Carré, et garde ses zones d’ombre ; c’est aussi qu’à quarante ans de distance elle réveille des blessures que le temps n’a pas cautérisées, en même temps qu’elle jette une lumière crue sur les rivalités internes des services de Renseignement israéliens.

Car ce livre est aussi le récit d’un basculement. Il dépeint l’angoisse qui a saisi toute une population qui, du jour au lendemain, est passée de l’assurance de soi au sentiment de l’extrême vulnérabilité. La guerre du Yom Kippour aura en effet tout bouleversé : la position diplomatique d’Israël, sa conception stratégique, mais aussi son paysage politique intérieur avec l’effondrement du camp travailliste lors de l’arrivée de la droite au pouvoir en 1977 et l’émergence d’un ultranationalisme religieux.

À tel point que ce traumatisme sera invoqué à chaque fois qu’Israël se fera surprendre et craindra une nouvelle réplique du Kippour, que ce soit face à la résistance du Hezbollah lors de l’offensive de 2006 au Liban, ou au moment du déclenchement du printemps arabe en 2011, ou à propos de la menace nucléaire iranienne, ou encore au regard des retombées de la guerre civile en Syrie. Le mehdal (littéralement « défaillance/manquement ») du Kippour est perpétuellement évoqué.

Reste à savoir si ce rappel parfois obsessionnel des journées noires d’octobre 1973 signifie que les Israéliens en ont tiré des leçons ? C’est ce qu’avait été chargée de faire, dans l’immédiat après-guerre, une commission d’enquête officielle en Israël. Il faudra près de quatre décennies pour que les parties du rapport d’enquête longtemps tenues secrètes, ainsi que des minutes du cabinet de guerre israélien dévoilent toute l’ampleur du désarroi dans lequel avait été plongée la population.

Aujourd’hui, bien que les archives des pays arabes demeurent closes, des documents américains ou français récemment déclassifiés et des archives israéliennes inédites permettent de lever le voile sur les secrets d’une guerre qui devait bouleverser les rapports de force dans la région.

Faire la guerre pour préparer la paix. L’ancien président égyptien Anouar El-Sadate (1918-1981) s’est servi de ce vieil adage pour lancer, avec la Syrie, la Jordanie et l’Irak, une opération d’envergure contre Israël, le 6 octobre 1973, le jour de la plus importante fête juive, le Grand Pardon.

C’était la guerre du Kippour. Après l’attaque surprise sur deux fronts, Israël s’affole avant de l’emporter grâce à la traversée du canal de Suez par les blindés du général Ariel Sharon, qui prend à revers les lignes égyptiennes.
Quarante ans après, le livre de Marius Schattner et Frédérique Schillo revient sur cet épisode crucial de l’histoire du Proche-Orient. Le regard commun d’un journaliste et d’une universitaire revisite avec talent et innovation cette quatrième guerre israélo-arabe depuis la création d’Israël (1948). Talent, le récit de la guerre se lit comme un polar palpitant. Innovation, les deux experts ont eu accès à des sources et archives déclassifiées.

VICTOIRE AUX POINTS D’ISRAËL

Avec un titre en clin d’oeil à la pièce de théâtre de Jean Giraudoux La guerre de Troie n’aura pas lieu, les deux auteurs exposent cynisme, calculs et manipulations des différents acteurs du conflit. Le chapitre sur Ashraf Marwan, conseiller de Sadate, est un petit bijou de roman d’espionnage. Etait-il un espion d’Israël ou un agent double ? Celui sur les dix-huit jours de combats est une plongée au coeur des états-majors des camps rivaux, sur fond de guerre froide, où Etats-Unis et URSS cherchent autant à préserver la détente qu’à secourir leurs alliés respectifs, puisque, finalement, cet épisode sanglant du conflit israélo-arabe oppose aussi armements américains aux armements soviétiques.

La guerre du Kippour renferme une somme de paradoxes. Ce conflit moderne rappelle la narration des guerres antiques avec l’opposition entre deux vieilles civilisations. En moins de trois semaines de combats, le rapport de force a basculé d’un camp à l’autre : offensives arabes, contre-offensive israélienne.

Après le mythe de l’invincibilité gagné lors de la guerre des Six-Jours en 1967, Israël découvre les angoisses de la vulnérabilité depuis l’attaque surprise de 1973. Car cette guerre est un fiasco du renseignement israélien avant d’être une victoire aux points, en dépit des tensions au sein du commandement de l’Etat hébreu. Cela correspond aussi au début du déclin des travaillistes, au pouvoir depuis 1948, au profit de la droite dure et du mouvement en faveur de la paix avec les Etats Arabes et les Palestiniens.

Justement, côté arabe, malgré la destruction de leurs armées, Egyptiens et Syriens voient dans cette guerre du Ramadan – nom qu’ils donnent au conflit – un succès politique : le doute est désormais du côté d’Israël. Sadate peut prendre sa revanche sur la déculottée subie par son prédécesseur Nasser en 1967, en entamant une paix séparée avec son voisin israélien, qui débouche sur Camp David I (1978), que les islamistes ne pardonneront jamais au raïs égyptien tombé sous leurs balles en 1981.

Mais en 1978, les Egyptiens crient d’autant plus victoire qu’après cet accord de paix, les Israéliens se retirent partiellement du Sinaï et définitivement en 1982 au moment où les troupes de Tsahal lancent leur opération contre le Liban. Enfin, dernier paradoxe, de dimension régionale, la guerre du Kippour s’est transformée en crise mondiale du pétrole et fin des « trente glorieuses » en France.

Pour Marius Schattner et Frédérique Schillo, ce tournant militaire n’a pas livré tous ses secrets, les sources arabes n’ont pas encore parlé. Si la guerre du Kippour a bien eu lieu, dans les mentalités, elle est loin d’être finie…

Par Gaïdz Minassian – Le Monde Article original et JOL PRESSE
Article original

Frédérique Schillo est historienne, spécialiste d’Israël. Docteur en histoire contemporaine de l’IEP de Paris, sa thèse La Politique française à l’égard d’Israël, 1946-1959 (André Versaille éditeur, 2012) a reçu, en 2009, le prix Jean-Baptiste Duroselle couronnant la meilleure thèse de Relations internationales. Elle est chercheuse associée au Centre de recherche français à Jérusalem (CNRS-MAEE).

Marius Schattner, après avoir travaillé à Libération, a été trente ans correspondant de l’AFP à Jérusalem. Il est l’auteur d’Israël, l’autre conflit. Laïcs contre religieux (André Versaille éditeur, 2008) et d’Histoire de la droite israélienne (Complexe, 1991). Il a publié des articles dans la revue Esprit et dans Le Monde diplomatique.

La guerre du Kippour n’aura pas lieu.
Comment Israël s’est fait surprendre

par Marius Schattner et Frédérique Schillo
André Versaille éditeur, 316 pages, 21,90 €

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madeleine

Ne jamais faire confiance aux arabes et avoir sans cesse en tête de prévoir le pire avec eux. Pour cela, il faut avoir toujours une longueur d’avance sur eux car ce sont de véritables artistes en matière de fourberie, mensonge (taqiya) et manipulation. En cela, le fait qu’une importante partie de la population juive israélienne soit issue de pays arabes, donc mieux à même d’en cerner les intentions, est un plus important pour Israël (par rapport aux Juifs israéliens d’origine askénaze). Les populations européennes sont victimes de leur naïveté, ne connaissant pas (ou ne voulant pas connaître) la ruse dont sont pourvus les arabes musulmans.

Jean

Un peu plus de 3000 tués et 8000 blessés israéliens .

Il faudrait parler de la commissions Agranah en Décembre 73 qui montra la responsabilité de l’échelon politique en particulier de Golda Méir qui tergiversa par rapport aux consignes du paternaliste oncle Sam de ne pas attaquer les premiers . De ce fait , plus de 500 soldats furent sacrifiés sur la pseudo ligne Bar Lev (monticules de sable ) et sur le Golan (en particulier sur le Hermon où les Hayalim en garde des radars furent surpris par les deux hélicoptères marocains porteurs de troupes et frappés de l’ effigie des Magen David ).

Le chef d’Etat major David Elazar , écrasé par le remords , alors qu’il n’était pas seul responsable , se suicida.

L’opinion israélienne fut désemparée autant par la dureté des combats , par les sévices exercés sur les soldats hébreux, en particulier par les Syriens , que par le « cynisme  » des dirigeants et même un mouvement de yérida (départ) se dessina..

Mais la victoire obtenue grâce au génie militaire d’Ariel Sharon (débarquement par la ferme chinoise puis intervention à la jonction (point faible ) de la 3ème armée égyptienne et de la 2éme puis encerclement total de celle ci

Victoire militaire très belle laissa la place à la victoire diplomatique égyptienne et aux stupides accords de Camp David conclus avec le gauchiste Carter où les Israéliens furent roulés dans la farine

Et offrirent aux Egyptiens un Sinai qui ne faisait partie de leur territoire que depuis …1907 contre un plat de …lentilles .

3000 morts pour une paix ….bidon

michel boissonneault

l’état d’israel avait passer très proche de disparaitre , que sous-estimé l’ennemi nous servent de leçon

benjamin

surprise ou pas .. on ne le saura jamais . a l inverse pour moi la vraie surprise et du fait la tres grave carence des services israeliens l a ètè dans l armement arabe et particulierement les missiles antiavions et antitanks qui ont causè de lourdes pertes a israel.israel a perdu plus de 100 avions de combat sur le canal tous abattus par les sam .et plus de 700 chars avec le missile russe sagger .voila la vraie surprise d octobre 1973..

David Belhassen

Les « révélations » de cet ouvrage, présenté comme inédit et innovant alors qu’il ne fait que répéter des vérités surannées, sont depuis longtemps connues du grand public, en particulier en Israël.
Il y a dix ans un film documentaire « Pourkan » a été diffusé sur la chaine 10 révélant les enregistrements-radio du QG de Tsahal tendant à prouver que non seulement les militaires étaient au courant d’une attaque égyptienne imminente, mais qu’ils avaient reçu l’ordre de ne pas réagir. Mes ouvrages « La Haine maintenant ? » paru en 2006 et « Israël, amour et désamour » qui vient de paraître à la maison d’éditions La Différence, révèlent le jeu machiavélique de Kissinger et l’accuse d’avoir fabriqué une mise en scène pour permettre à Sadate de « recouvrer son honneur en vue de négociations de paix ». Ce sinistre opéra-bouffe a coûté la vie à des milliers de soldats israéliens, et a fait perdre tout le Sinaï à Israël.

yapasbon

L’histoire de cet espion, probablement un agent double, est déjà vieille et n’a pas besoin des archives israéliennes. Il a été assassiné à Londres en 2007 pour ces raisons. Golda Méir n’a simplement jamais cru à une attaque. Mais il n’y a eu aucune surprise car les mouvements de troupes et équipements en face du canal de Suez étaient visibles de jour comme de nuit par l’armée israélienne à cause des levées de sable qu’ils provoquaient. Tzahal en avait informé les décideurs, mais les décideurs n’ont jamais cru à une attaque. Pire, le roi de Jordanie est venu lui-même secrètement rencontrer Golda Méir pour la mettre en garde d’une attaque imminente, quelques jours avant celle-ci, et elle n’y croyait toujours pas. Elle a fini sa carrière comme il se doit pour un responsable qui ne l’est plus. D’un autre côté, sans ce sentiment des Egyptiens qu’ils ont lavé en 1973 leur déshonneur de la défaite de 1967, il n’y aurait pas eu la paix avec l’Egypte, la Jordanie, et d’autres pays arabes.