Voilà une élection à l’Académie française qui renouvelle le genre. On imagine mal Alain Finkielkraut en habit vert, plastron et brocart, épée au côté. Il y a une sorte d’incongruité dans cette image, mais qui ne doit pas déplaire à ce pourfendeur des idées toutes faites.
De la part de cette vénérable institution, voilà un geste qui l’honore parce qu’elle transgresse l’image vieillotte qu’elle donne d’elle même. Mais au delà de ce cliché si nous sommes heureux pour Finkielkraut c’est bien parce que nous sommes en dette à son égard. Ce formidable passeur d’idées, ce fabuleux pédagogue qui sait dire simplement des choses complexes a été un extraordinaire professeur. Notre plaisir dit notre gratitude.

Comment imagine-t-on les académiciens : un peu comme ces savants tirés d’un album de Tintin, portant des grandes barbes blanches, un peu voutés sur leurs cannes et un peu gagas dans leur immortalité. Et voilà qu’un Finkielkraut va venir s’asseoir au milieu d’eux. Le descendant d’une lignée de juifs polonais, fils de déporté, amoureux de la langue du pays qui a accueilli sa famille va siéger dans le Temple de la langue française! Quel hommage et quelle reconnaissance!

Dans quelle nouvelle galère est-il allé se fourrer? Où va-t-il aller faire couper son habit vert? Y a-t-il seulement pensé? Le tailleur de Joseph Kessel est-il encore de ce monde? Et l’épée? Où trouve-t-on des épées conformes aux goûts de celui qui aime tant ferrailler contre ses contradicteurs.

Voilà près de trente ans qu’Alain Finkielkraut dit ses vérités avec le brio que l’on sait et voilà près de trente ans qu’il déchaine les passions méchantes et les calomnies fielleuses. Depuis trente ans le samedi matin, son émission d’entretiens, Répliques, sur France Culture donne à penser; elle instruit et fait réfléchir à partir de points de vue différents. Depuis trente ans, cette fabuleuse mécanique intellectuelle bouscule les codes, les habitudes, les modes intellectuelles, le déjà pensé, les idéologies installées, la bien-pensance autoproclamée progressiste. Cette pensée critique qui ose mettre en cause tous les totems a un prix. On se souvient de couvertures de magazines chics de gauche affichant les visages des « nouveaux réacs », des porteurs de la « pensée réac » et autres compliments progressistes. En France, dans la sphère intellectuelle il n’y a pas pire que d’être catalogué du côté des « réacs ». Le prêt à penser journalistique ne pouvait supporter cette pensée dérangeant les conformismes idéologiques post soixantehuitards. Mal leur en prit car aujourd’hui ce sont les questions posées par Finkielkraut qui sonnent juste à propos de l’école, de la nation, de la culture ou de l’identité.

Sa défense exigeante du droit d’Israël fut sans doute son plus grand handicap tant la cause de l’Etat juif n’est pas en odeur de sainteté chez tous ceux qui ont fait d’Israël la causalité diabolique des malheurs du monde. On peut revoir sur internet ces moments de haine dont il fut l’objet. Et « qu’à prononcer son nom est difficile » dirait Aragon. Un comédien, Albert Dupontel commentait dans une émission de Thierry Ardisson une intervention de Finkielkraut considérant que les bombes humaines (contre Israël) ne sont pas suicidaires mais illuminées, jouissives. Dupontel cherche le nom: « cet intellectuel, très Closerie des Lilas, qui s’appelait… Finkielkraut ? » « Oui, souffle Ardisson, « Un nom qui sonne comme un cri », renchérit l’autre, qui enchaîne: « J’ai failli venir de Bretagne pour venir lui mettre un pif sur la figure! », précise l’indigné Dupontel sous les applaudissements grégaires du public. Tout est dit de ce conformisme simplet, aussi bien pensant que haineux, le même qui a sans doute inspiré le vote contre lui dans cette élection.

On savoure souvent ce qu’il sait mettre à jour, on s’exaspère souvent aussi tant il a ses propres obsessions. Au fil des publications, des interventions ce désormais soixantenaire, a pesé lourd dans tous les débats avec une exigence: celle de son engagement, de sa sincérité, de sa fidélité. On peut ne pas être d’accord, mais cette pensée bouillonnante, jamais apaisée ne se laisse aucun répit, ne laisse aucun répit à autrui. Et c’est aussi cette énergie intellectuelle qui nourrit la détestation chez certains. La défaite de la pensée trouve des alibis à sa jalousie.

Il y aurait long à dire sur cet écorché trop intellectuel qui paraît trop souvent ne pas s’intéresser aux êtres mais seulement à leurs idées.

Quelle leçon de choses que cette élection. Elle rassure sur la France. Elle dit une grandeur de la France qui sait reconnaître au milieu de ses fils, ce fils né d’ailleurs qui sait si bien lui faire honneur et dire ce qu’il doit à ce pays. Il fait figure de modèle pour cette excellence française. Alors il faut saluer cette élection qui apporte un démenti à un air du temps assez nauséeux et saluer cette honorable institution toute prête à inscrire « mazel tov » dans son dictionnaire.

Jacques Tarnero

Publication: 11/04/2014 09h22

huffingtonpost.fr Article original

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