Comment remotiver un peuple démoralisé ? Comment ressouder les maillons d’une nation désolidarisée ?

Vayakhel (5774) 21 Adar Richon 5774.

C’est ce qui constitue le grand défi auquel Moïse est confronté dans la Paracha de cette semaine. Le mot d’ordre pour l’heure est vayakhel (il rassembla), « Moïse a rassemblé ». Kehillah (a) signifie communauté.

Un kehillahor kahal est un groupe de personnes réunies dans un but précis. Cet objectif peut être positif ou négatif, constructif ou destructeur. Le même mot qui apparaît au début de la paracha de cette semaine, comme l’amorce d’une solution, figure dans la paracha précédente, comme l’énoncé du problème. « Lorsque le peuple s’est rendu compte que Moïse mettait autant de temps à redescendre de la montagne, il s’est rassemblé vayikahel« >Article original autour d’Aaron et lui a dit : « Fabrique-nous un dieu pour nous guider. Quant à cet homme : Moïse, qui nous a sorti d’Egypte, nous ne savons pas ce qu’il lui est arrivé ». Aussi y a-t-il un kehillahor pour le Mal comme il y a un kehillahor pour le Bien.

La différence entre ces deux sortes de kehillah est que l’une aboutit à l’harmonie, alors que l’autre se solde par le chaos . En revenant de la montagne pour découvrir le veau d’or, nous avons lu que « Moïse s’est rendu compte que le peuple s’était déchaîné et qu »Aaron en avait perdu le contrôle et l’avait ainsi laissé devenir la risée de ses ennemis ». Le verbe פרע (para), comme son homophone פרא (paro), signifie « débridé, déchaîné, sans retenue ».

Il y a un type d’assemblée qui se discipline, s’oriente vers une mission et se détermine à accomplir un objectif. Et il y a une assemblée qui forme une émeute. Elle est animée par une volonté intrinsèque. Les individus en bandes perdent tout sens de la retenue. Ils se laissent emporter par une vague d’émotion. Les délibérations réfléchies et rationnelles sont dépassées par les instincts les plus primitifs ou par l’effet d’entraînement du groupe. Les neuroscientifiques parlent de « détournement de l’amydgdale » (subjugation émotionnelle, hors de toute mesure). Les passions se déchaînent.

Des études célèbres ont été menées sur le sujet : « Les Délires Populaires Extraordinaires et la Folie des Foules » de Charles Mackay (1841), « La Foule : une étude de l’esprit populaire » de Gustave Le Bon (1895), et enfin « Les Instincts du Troupeau durant la Guerre et la Paix » de Wilfred Trotter (1914). Une des œuvres les plus obsédantes sur le sujet est celle du Prix Nobel Juif « Masses et Puissance », d’Elias Canetti (1960, traduction anglaise en 1962).

Vayakhel est la réponse de Moïse 1″>Article original à la sauvagerie à laquelle la foule, qui s’est rassemblée autour d’Aaron, s’ abandonne pour façonner le veau d’or. Il réalise quelque chose de fascinant. Il ne s’est pas opposé au peuple, comme il l’a fait initialement, lorsqu’il a découvert le veau d’or. Au lieu de cela, il a utilisé la même motivation qui s’est emparée d’eux, en premier lieu. Ils ont voulu créer quelque chose qui serait un signe montrant qu’Hachem était parmi eux : pas sur les hauteurs d’une montagne, mais au milieu du campement. Il fait alors appel au même trait de générosité qui les a conduits à offrir leurs parures en or. La différence est que maintenant, ils agissent en concordance avec le commandement d’Hachem, et non suivant leurs propres sentiments spontanés.

Il a demandé aux Israélites de faire des contributions volontaires pour la construction du Tabernacle, le Sanctuaire, le Mikdash. Ils le font avec une telle générosité que Moïse a dû leur demander d’arrêter. Si vous voulez unir des êtres humains, pour qu’ils agissent en vue du bien commun, faites-leur construire quelque chose ensemble. Faites en sorte qu’ils entreprennent une tâche qu’ils ne peuvent réaliser qu’ensemble, et qu’aucun d’entre eux ne puisse accomplir seul.

La puissance de ce principe a été démontrée lors d’une recherche expérimentale restée célèbre en psychologie sociale, réalisée en 1954 par Muzafer Sherif et d’autres associés de l’Université d’Oklahoma, connue sous le nom de l’expérience de la Caverne des Voleurs (b). Shérif voulait comprendre la dynamique de la gestion des conflits et des préjugés au sein d’un groupe. Pour ce faire, il a, avec ses associés universitaires, sélectionné un groupe de 22 adolescents blancs de 11 ans, dont aucun d’entre eux ne connaissait les autres. Ils ont été rassemblés dans un camp d’été isolé dans le parc national de la Caverne des Voleurs, dans l’Oklahoma. Ils ont été répartis de façon aléatoire en deux groupes.

Initialement, aucun groupe ne connaît l’existence de l’autre. Ils attendaient dans des cabanes éloignées l’une de l’autre. La première semaine a été consacrée au renforcement de l’esprit d’équipe. Les garçons marchaient et nageaient ensemble. Chaque groupe s’est choisi un nom – Les uns sont devenus Les Aigles et les autres, les Serpents à Sonnettes. Ils ont peint au pochoir ces noms comme emblèmes sur leurs chemises et leurs drapeaux.

Ensuite, durant 4 jours, ils ont été présentés les uns aux autres, lors d’une série de compétitions. Les gagnants remportaient des trophées, des médailles et des prix alors que les perdants n’ont rien obtenu du tout. Presque immédiatement, des tensions ont commencé à se manifester entre eux : par des injures, des moqueries et des chants désobligeants. La situation a empiré. Chacun brûlait le drapeau de l’autre ou faisait une descente dans les cabanes de l’autre groupe. Ils protestaient qu’ils ne voulaient pas manger ensemble dans le même réfectoire.

L’étape 3 a été appelée « la phase d’intégration ». Des réunions ont été organisées. Les deux groupes ont regardé des films ensemble. Ils ont allumé le 4 Juillet fête nationale américaine »>Article original des pétards ensemble. On espérait que ces rencontres en face-à-face atténueraient les tensions et mèneraient à la réconciliation. Ce ne fut pas le cas. Plusieurs ont fait scission avec les autres enfants en leur jetant de la nourriture à la figure.

Dans l’étape 4, les chercheurs ont organisé des mises en situations où un problème survenait, qui menaçait aussi bien l’un que l’autre groupe. Le premier consistait en une interruption de l’approvisionnement du camp en eau potable. Les deux groupes ont, chacun de leur côté, identifié le problème et ils se sont réunis au moment où le problème est apparu. Ils ont travaillé ensemble pour le résoudre, et ont fêté ensemble leur réussite.

Lors d’une autre expérience, les deux groupes devaient voter avant de regarder des films. Les chercheurs ont expliqué que les films coûteraient de l’argent pour la location, et qu’il n’y en avait pas assez dans la trésorerie du camp pour le faire. Les deux groupes se sont mis d’accord pour participer équitablement au financement. Dans une troisième, le car par lequel ils voyageaient est tombé en panne et les garçons ont dû travailler ensemble pour le pousser. Une fois cette épreuve passée, les enfants cessaient d’avoir des images négatives de l’autre camp. A la fin, lorsque le bus les a ramenés à la maison, les membres de l’une des équipes dépensaient l’argent gagné lors des compétitions pour acheter des boissons à tout le monde.

Des résultats identiques sont ressortis d’autres études. La conclusion est révolutionnaire . Vous pouvez transformer même des factions hostiles en un groupe uni, cohérent, soudé tant qu’elles sont confrontées à un défi commun qu’ils peuvent tous surmonter ensemble, mais qu’aucune ne peut affronter seule.

Le rabbin Norman Lamm, ancien Président de l’Université de la Yeshiva, a fait remarquer, une fois, qu’il ne connaissait qu’une seule plaisanterie dans la Mishnah : l’affirmation selon laquelle « Les Erudits accroissent la paix dans le monde » (Berakhot 64a). Les Rabbins sont connus pour la virulence de leurs désaccords. Comment, alors, peut-on dire qu’ils confortent la paix dans le monde ?

Je suggère que ce passage n’est pas du tout une plaisanterie mais une vérité parfaitement établie. Pour la comprendre, nous devons lire la suite : « Les érudits accroissent la paix dans le monde comme il est dit : « Tous vos enfants apprendront d’Hachem et ainsi plus grande sera la paix entre vos enfants » (Isaiah 54: 13). Il ne faut pas lire : « vos enfants » mais « vos bâtisseurs ». Lorsque des érudits deviennent des bâtisseurs, ils contribuent à la paix. Si vous cherchez à créer une communauté à partir de fortes individualités, vous devez les transformer en bâtisseurs. C’est ce qu’a fait Moïse dans Vayakhel.

Constituer une équipe, même après un désastre comme le veau d’or, ne relève ni du mystère, ni du miracle. On le réalise en confiant une tâche au groupe, une de celles qui parle à leurs passions, et qui ne peut être accomplie par une partie seulement du groupe. Ce projet doit être constructif. Chaque membre du groupe doit être capable d’apporter une contribution unique et, ensuite, ressentir que son apport a été très apprécié. Chacun doit pouvoir dire avec fierté : j’ai contribué à rendre ce projet possible.

C’est ce que Moïse a compris et a réalisé. Il savait que si on veut constituer une équipe, il faut créer une équipe qui construise .

Grand Rabbin et Lord Jonathan Sacks

rabbisacks.org Article original

Adaptation : Florence Cherki et Marc Brzustowski
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1″>Article original J’entends cela seulement au sens figuré. La construction du Tabernacle a été, bien évidemment, un Commandement d’Hachem, et non de Moïse. Le fait établi, comme un ordre Divin avant l’histoire du Veau d’Or (dans la parasha de Terumah) est conçu pour illustrer le principe selon lequel « Hachem crée le remède avant que la maladie ne survienne » (Megillah 13b).

NDT :

(a) Le Kahal (hébreu : קהל « foule ») ou kehilla (hébreu : קהילה « communauté » ou « assemblée ») est la structure organisationnelle théocratique de la société israélite dans la Bible, désignant aussi les communautés juives ou assemblées de fidèles en langage courant (Wikipédia)

(b) http://explorable.com/fr/robbers-cave-experiment-fr

Vayakel-Pékoudei: bâtisseurs du temple, bâtisseur de temps (37 min)
Henri Cohen-Solal – psychanalyste et psychothérapeute

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Le sens des mitsvot : paracha vayakhel, par Raphaël Draï.


Zvi Milshtein

«Pendant six jours on travaillera mais au septième jour vous aurez une solennité sainte (kodech chabbat chabbaton) en l’honneur de l’Eternel; quiconque travaillera en ce jour sera mis à mort (youmat). Vous ne ferez point de feu (lo tébaârou ech) dans aucune de vos demeures ce jour là »… « Puis, que tous les plus industrieux d’entre vous (col h’akham lev) se présentent pour exécuter ce qu’a ordonné l’Eternel ». (Ex, 35, 2, 3 et 10). Traduction de la Bible du Rabbinat.

Point n’est besoin de revenir sur l’insertion des prescriptions concernant le chabbat lors de la construction puis de l’édification du Sanctuaire . Cependant, il faut s’interroger sur la reprise de ces prescriptions en même temps que sont récapitulés les différents éléments entrant dans cette construction. Ils sont récapitulés de nouveau parce que cette fois Moïse s’adresse au peuple après la faute du Veau d’or, au peuple muni des secondes tables de la Thora, au peuple édifié lui même moralement par la commission de cette transgression inouïe qui a failli lui être fatale. Et ce peuple – on l’a déjà explique aussi, est abordé comme KaHaL, doté des deux lettres hei et lamed, que l’on retrouve dans la louange du HaLeL.

Ce peuple n’est pas doté d’une mémoire exclusivement factuelle mais d’une mémoire transcendante. Il est en mesure de se souvenir non pour répéter mais pour se dépasser. A cette fin, il doit conjoindre deux attitudes et deux aptitudes qui d’ordinaire sont difficilement conciliables: la maîtrise de soi, soulignée par la reprise de l’interdit chabbatique, et la capacité de créer, d’où la référence aux « savants de cœur ».

Rachi s’interroge d’ailleurs sur la signification de cet interdit en ce point du récit biblique: serait-ce pour signifier que faire du feu le jour du chabbat relève d’une défense spécifique? Ou bien pour rappeler de manière plus générique encore la catégorie même des interdits opérants ce jour là? Il faut sans doute relier ces deux lectures. La seconde concernerait la référence formelle à ces prohibitions. La première, elle, soulignerait la dynamique interne, la contagiosité des transgressions. En ce sens, l’interdit de faire du feu comporte bien sûr un sens en soi mais aussi au regard du fait qu’une fois allumé un feu se propage, pour peu qu’il trouve sur son passage des matières à brûler.

La langue hébraïque l’indique par le verbe BoÊR: consumer, dont la racine constitue la « décombinaison » de la racine ÂBR qui désigne au contraire le déplacement progressif et se rapporte à l’état d’esprit du ÎVRi, de l’être-hébraïque capable en ses déplacements de relier le point de départ et le point d’arrivée, le passé et l’avenir. L’ombre du Veau d’or se discerne dans cette préfiguration du principe de précaution dont on sait la portée dans les dispositifs juridiques et éthiques contemporains. S’agissant du Veau d’or, le processus avait commencé par une injonction verbale en direction d’Aharon, durant l’absence de Moïse. Il s’est terminé par la brisure des Tables et, n’eût été l’inoubliable intervention de Moïse en personne, il se fût achevé par l’effacement du peuple de l’Alliance divine.

Toutefois, le principe de précaution ainsi entendu ne doit pas aboutir à l’inhibition du peuple rendu timoré, pusillanime et ayant peur en effet de son ombre. C’est pourquoi, suivant immédiatement le rappel des règles du chabbat et, on l’a dit, plus particulièrement de l’interdit d’allumer du feu, sont reprises les prescriptions relatives à la construction du Sanctuaire. L’on comprend mieux ainsi comment opère le récit biblique dans ses intentions didactiques: il met chaque fois l’accent, en tant que de besoin, sur les parties du comportement individuel et collectif à propos desquelles inattentions ou négligences, sans mêmes parler de transgressions, seraient certainement dommageables et mêmes irrémédiables. Agir sans précaution peut s’avérer destructeur, activement. S’entourer de tant de précautions qu’il devienne impossible d’agir serait tout aussi destructeur, quoique passivement.

Le début de la paracha Vayakhel conjoint donc ces deux attitudes. Il ne faut pas oublier d’abord que l’interdit précité est un interdit de finalité chabbatique et non pas une prohibition strictement arbitraire. L’expression chabbat chabbaton, par sa répétition, fait pièce à l’expressions symétrique et antagoniste, usitée dans la précédente paracha: mot youmat. Celle-ci désigne non pas seulement la peine de mort au sens juridictionnel, avec son encadrement procédural, mais la mortalité et même la morbidité d’un esprit, d’une institution, d’une forme sociale ou d’un régime politique. Celle-là se rapporte non pas seulement à la vie, à l’existence, mais aussi à ce qui fait que la vie soit vivante, à la « vivance », à ce que le Rav Kook nommera: h’ey hah’aym, la vie de la vie. C’est pourquoi, le récit biblique rappelle que les travaux du Sanctuaire doivent être confiés non pas seulement à des artisans «industrieux» mais à des « savants de cœur » qui sachent mettre le leur dans ce qu’ils accomplissent, avec vigueur et avec rigueur pour eux-mêmes et pour leur Prochain.

Encore une observation concernant cette fois les dimensions propres de l’anthropologie biblique. La transgression du Veau d’or ne fut certes pas vénielle ni anecdotique. Elle ravivait par sa violence et par ses caractères de passage à l’acte la transgression originelle commise au Gan Êden, celle des deux prescriptions constitutionnelles qui en garantissaient la viabilité: travailler (leôvdah) et préserver (lechomrah) (Gn,2, 15). C’est bien ce doublet intimement équilibrant qui se retrouve dans la présente paracha: attention au feu qui dévore, mais simultanément attention à la passivité qui dissout. Tous les chemins de la Création exigent cette illumination à deux degrés.

Raphael Draï

ashdodcafe Article original

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