– Aujourd’hui, il ne s’agit plus d’établir des filières à destination de l’Irak ou de la Syrie. Le Jihad que nous préparons aura lieu en France. Pour nous, ce pays ne représente pas un adversaire à combattre, mais une terre à conquérir. Cette conquête s’opère de plusieurs manières. Avec la cinquième armée du monde, des services de renseignement qui focalisent tous leurs efforts sur Al-Qaïda et une majorité d’infidèles qui nous considèrent comme des ennemis, les méthodes à employer doivent reposer autant sur la séduction que sur la ruse et la violence.

– La séduction ?

– Oui. Les musulmans de France s’en chargent déjà. Les salafistes recrutent de nouveaux adeptes chaque jour, et convertissent les jeunes Français pour les amener sur le chemin de l’islam. Pour des raisons de sécurité, nous n’entretenons aucun contact avec ces organisations. Notre mission se cantonne à l’action violente : identifier des cibles, préparer des plans pour les futures opérations, mais aussi coordonner l’acheminement des armes et du matériel jusqu’à nos planques.

– Ici ?

– Non. Mais dans plusieurs endroits, à travers la France.

– Reprenons les choses dans l’ordre : vous parlez de « cibles ». De quoi s’agit-il ?

– Il existe trois types de cibles. Tout d’abord, nous possédons une liste de personnalités que nous pouvons frapper à n’importe quel moment. Pour l’instant, elle ne regroupe que quelques dizaines de noms, avec des informations sur leur lieu de travail, leur domicile, leurs habitudes et leurs éventuelles protections. Cette liste, nous la compléterons et la réactualiserons avec le temps. N’oubliez pas que tous mes agents se trouvent encore en phase de sommeil : ils creusent leur trou dans la société, en apparaissant comme des citoyens modèles. Nous ne pouvons pas agir pour l’instant.

De quel genre de « personnalités » s’agit-il ?

– Des hommes politiques, des journalistes ou des personnes publiques. Ces meurtres « ciblés » doivent frapper l’opinion et obtenir une couverture médiatique maximale.

Les membres du gouvernement en font partie ?

– Sans aucun doute ! Il s’agit même de nos premières cibles ! Quoi de mieux pour frapper l’inconscient collectif et mettre l’opinion publique en face de ses responsabilités que de s’en prendre à l’autorité suprême !

– Vous voulez dire le président ?

– Exactement. Vous le croyez à l’abri ? Sans parler de ses escapades en scooter, il faut admettre que la protection de l’Élysée laisse souvent à désirer. Bien sûr, au sein même du palais, et dans ses déplacements les plus surveillés, la garde rapprochée fait plutôt bien son travail. Mais qui peut le protéger d’un sniper posté à plusieurs kilomètres, lors d’une tournée en province ? Certains de nos hommes ont tiré contre des convois syriens sur des distances inimaginables, à l’aide de vieux Dragunov [un fusil de précision russe de médiocre qualité »>Article original. Avec des armes sophistiquées, infiniment plus précises, ils peuvent s’installer à bonne distance, munis d’un cache-feu et d’un silencieux, pour cueillir leur cible à sa sortie de voiture ou devant la porte d’un immeuble, sans qu’il soit possible d’identifier la provenance du coup de feu. Ceux que l’on chargera de ces missions connaissent bien leur travail. Il s’agit de vrais snipers : calmes, méthodiques, entraînés, patients… Ils peuvent se terrer des heures et même des jours dans leur planque, avec un bon angle de tir, en attendant le moment opportun. Sans jamais signaler leur présence. Ils démontent ensuite leur fusil et quittent facilement les lieux, à plusieurs kilomètres du point d’impact. Là encore, difficile d’imaginer qu’on puisse empêcher une telle opération.

– Mais on retrouvera le tireur. À terme, vous ne pouvez pas garantir que l’immeuble en question ne sera pas localisé, qu’on ne retrouvera aucune empreinte ni aucune trace susceptible de remonter la piste de votre agent.

– Et alors ? Tu penses qu’après un tir sur le président de la République nous renverrons cet homme dans le circuit ? Tu penses qu’il va tranquillement reprendre le cours de sa vie ? Il faut que tu comprennes : tous ces opérateurs clandestins sont à usage unique. Une fois sortis de leur couverture, leur mission se termine.

– Vous les exfiltrez ?

– Nous ne sommes pas le KGB ni la CIA. S’ils quittent le territoire, ils ne vont pas rejoindre leur ambassade ou un pays tiers. Ils quittent ce monde en martyre, et rejoignent le paradis d’Allah…

– Alors pourquoi s’enfuir ?

– Comme je le disais, nous pouvons envisager des opérations en chaîne. Une journée ponctuée de plusieurs assauts, qui plongerait le pays dans l’effroi, avec une population terrorisée par l’ampleur et la férocité de nos attaques, et des services de sécurité complètement débordés. Si nous retenons ce cas de figure, un sniper visant le président peut quitter les lieux, trouver une autre cible, ou faire exploser une mallette d’explosifs dans un bâtiment public. Dans tous les cas de figure, nous ne réinsérons jamais nos agents dans la vie civile, au terme de leur mission. Tous les hommes qui « dorment » actuellement en France, ainsi que tous ceux qui arriveront bientôt de Somalie, se destinent exclusivement au martyre.

– Qu’espérez-vous faire passer comme message en assassinant un haut dirigeant ?

– Toujours le même : ne vous mettez pas sur le chemin de l’islam. L’islam progresse à travers le monde. De façon inexorable. Plus personne ne peut stopper cette dynamique. Et elle s’accélère. Ceux qui tenteront d’y mettre un terme au nom de leur prétendue république, de la laïcité, du droit des homosexuels, des prostituées ou des drogués, sont considérés comme des ennemis. (Il marque un temps avant de reprendre.) Croyez-moi, quand on s’est attaqué à des responsables syriens, encerclés par une garde rapprochée de plusieurs dizaines d’hommes, circulant dans des convois blindés qui changent constamment d’itinéraire et de direction, détruire la clé de voûte de l’État français équivaut à enfoncer un couteau dans une motte de beurre ! Nos agents y parviendront sans la moindre difficulté. En s’attaquant à eux, nous pouvons faire vaciller toute la structure qui contrôle la sécurité de ce pays. Il s’agit d’une arme de destruction massive, même si l’on ne tire que quelques coups de feu ! Tant que l’on choisit ses objectifs avec soin.

– Mais ces hommes, on les remplacera…

– Vous dites ça à chaque fois ! Mais au final, en Irak, en Afghanistan, vous remplacez tous ces morts et vous finissez quand même par vider les lieux…

– Difficile de comparer la France à l’Irak, vous ne croyez pas ?

– En effet. Mais nous disposons d’un soutien solide à l’intérieur de ce pays. N’oubliez pas les centaines de milliers de musulmans qui appuieront cette dynamique après les premières opérations.

– Vous ne pensez pas qu’au contraire vous risquez de les effrayer ? Comme en Irak ?

– La majorité des Irakiens sont chiites, corrige Abou Hassan. Comment voudriez-vous qu’ils nous aiment ? Mais, en France, les musulmans vous détestent. Vous êtes trop embourbés dans votre politiquement correct pour le voir et oser l’admettre. Ils détestent la façon dont vous avez traité leurs ancêtres, dans les colonies. Ils détestent les banlieues où vous les parquez. Ils détestent cette discrimination qu’on ne montre plus jamais nulle part, mais qu’ils ressentent tous les jours : lorsqu’ils cherchent un travail, lorsqu’ils se font contrôler par la police… Et puis surtout, ils détestent votre monde de soi-disant « tolérance » qui les dégoûte. La pornographie, la drogue, les sodomites, l’alcool, et la célébration de tout cela sur vos centaines de chaînes de télé… Croyez-moi, même les musulmans de France qui se taisent haïssent votre système jusqu’au bout de leurs ongles ! conclut-il avec une hargne difficilement contenue.

Ce que vient de décrire Abou Hassan correspond certainement à ce qu’il ressent face à notre monde. Fort heureusement, je doute que son analyse et ses conclusions remportent une telle unanimité auprès de nos compatriotes arabes…

– Vous me disiez qu’il existait plusieurs types de cibles ?

Il marque une courte pause pour vérifier l’heure, puis reprend son explication.

– Le deuxième type de cibles porte sur des bâtiments ou du personnel à forte valeur symbolique. Tout ce qui magnifie la puissance de nos adversaires. Mais il s’agit également des « trophées » les plus difficiles à atteindre. À la différence des attentats ciblés, nous ne possédons pas encore suffisamment de moyens et de renseignements pour les considérer comme acquises, ou même vulnérables. Il nous faut du temps. Je préfère ne pas en parler.

– Si je comprends bien le sens du mot « symbole », je pense que vous projetez de vous attaquer à des ambassades ou à des consulats. Je me trompe ?

– Je ne veux pas en parler.

Je n’en apprendrai pas davantage sur ces « trophées symboliques ». Selon moi, il s’agit effectivement d’ambassades considérées comme « ennemies », entendez celles allant de l’Iran aux États-Unis, en passant par Israël ou l’Angleterre. Mais le choix des objectifs pourrait aller bien au-delà. Après nos entretiens sur Mohamed Merah, je crains que le « symbole » juif représente à nouveau une cible de choix. Une cible que l’on attaquerait de façon aussi ignoble que le tueur de Toulouse, avec cette fois plus de préparation, de méthode et de moyens. L’idée de s’en prendre à une école ne représente ni un crime ni un acte condamnable pour Abou Hassan et les autres cadres d’Al-Qaïda. Ce deuxième type d’actions, sur lequel mon interlocuteur restera muet, me laisse présager le pire pour les années à venir…

Cette enquête commence à éprouver mes nerfs et ma conscience. Les écrivains ou les journalistes français qui parlent d’Al-Qaïda ne plongent jamais dans les entrailles de l’organisation. Ils se contentent d’écrire ou de rapporter ce qu’on en raconte, en agrémentant leurs histoires de quelques « confidences » de nos services de renseignement, guère mieux informés. Mais au fil de cette enquête qui dure depuis des mois et m’a conduit en Libye, puis en Syrie, au Liban, en Somalie et à Dubaï, sans parler de la Turquie, de la Grande-Bretagne ou des Pays-Bas, j’éprouve un véritable sentiment de nausée face à ces révélations. À cet instant, je prends conscience que j’aurais préféré ne rien découvrir…

– Et le troisième groupe de cibles ?

– Il s’agit des frappes massives. Celles qui doivent provoquer le plus grand nombre de victimes possibles. À la différence des deux autres types d’opérations, nous ne choisissons pas ces objectifs pour leur valeur symbolique ou stratégique, mais plutôt en fonction de leur… « contenance » et des dégâts occasionnés.

Extrait de « Al-Qaïda en France », de Samuel Laurent, aux éditions du Seuil, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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[Samuel Laurent – AtlanticoArticle original

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