Pourquoi certains écrivains français ont remis en cause un statut social difficilement acquis, ont mis en péril leur œuvre, leur vie de famille, leurs amitiés, pour se consacrer à la défense d’un homme qu’ils jugeaient victime d’une injustice?

13 janv. 1898: tournant dans l’Affaire Dreyfus? Vidéo

Ainsi le célèbre Emile Zola dans cette tribune du journal L’Aurore, ci-dessus, une lettre ouverte au président de la République, l’écrivain accusait le gouvernement de l’époque d’antisémitisme dans l’Affaire Dreyfus. En effet le capitaine Alfred Dreyfus était accusé à tort d’espionnage, le conseil de guerre, trois jours plus tôt, avait acquitté le capitaine Esterhazy, le vrai coupable.

Le titre : « J’accuse ».

Sur les présentoirs des kiosquiers parisiens, on ne voyait qu’elle ce 13 janvier 1898: la « une » du quotidien L’Aurore.
Écrit en gras, ce titre : « J’accuse ». Emile Zola prit la plume et s’adressa ouvertement au président de la République Félix Faure.
« J’accuse le lieutenant-colonel du Paty de Clam d’avoir été l’ouvrier diabolique de l’erreur judiciaire, en inconscient, je veux le croire, et d’avoir ensuite défendu son œuvre néfaste, depuis trois ans, par les machinations les plus saugrenues et les plus coupables », peut-on lire.
Alors que le capitaine Dreyfus était enfermé dans la prison de l’île du Diable depuis bientôt quatre ans, l’écrivain était convaincu de son innocence et dénonça avec rage l’antisémitisme ambiant.
« J’accuse le général Billot d’avoir eu entre les mains les preuves certaines de l’innocence de Dreyfus et de les avoir étouffées, de s’être rendu coupable de ce crime de lèse-humanité et de lèse-justice, dans un but politique et pour sauver l’état-major compromis », poursuit Zola.
Ce jour-là, le journal a été vendu à plus de 200.000 exemplaires en à peine deux heures. « J’accuse » devint l’une des lettres politiques les plus retentissantes de tous les temps.
Ce faisant, Émile Zola, riche et comblé d’honneurs, prit sciemment à 48 ans le risque de se faire arrêter et condamner pour diffamation publique.

Un article retentissant


Son article fit d’emblée l’effet d’une bombe. Dès le lendemain eut lieu une «pétition des intellectuels» en soutien de l’écrivain. Cette pétition fut une première dans l’Histoire de France.
Zola reçut par ailleurs le soutien empressé de Georges Clemenceau, qui tint une chronique dans L’Aurore depuis que le scandale de Panama l’a exclu de la vie parlementaire.
Dès la parution de J’accuse (1898), la bourgeoisie parisienne se divisa très violemment en deux camps.
– Les dreyfusards dénonçaient l’injustice faite à Dreyfus et l’acquittement inique d’Esterhazy. Ils plaçaient la justice et les droits de l’homme au-dessus de l’honneur militaire et de la raison d’État.
Parmi les dreyfusards, on trouvait non seulement des hommes politiques mais aussi des écrivains de renom. Ce fut le moment où l’on commença de parler des «intellectuels», non sans une nuance de mépris.
– Les antidreyfusards considéraient qu’il valait mieux condamner un innocent plutôt que d’admettre que la justice militaire ait pu se tromper.
À une époque où chacun, à droite comme à gauche, ne rêvait que de revanche sur l’Allemagne et de«guerre régénératrice», tout affaiblissement de l’Armée faisait figure à leurs yeux de haute trahison.
Sincèrement indigné, le «tombeur de ministères»saisit l’occasion de faire sa rentrée politique en s’en prenant selon son habitude au gouvernement en place.

Émile Zola fut traduit en procès

Le 23 février 1898, Émile Zola fut traduit en cour d’assises et condamné à un an de prison. Mais l’affaire prit de l’ampleur et mit l’opinion publique en ébullition.
En août, coup de théâtre ! Le colonel Henry, qui avait décrypté le bordereau à l’origine de l’Affaire, mit au jour un nouveau document. Mais un examen minutieux révéla des anomalies…
Le 30 août, le colonel fut convoqué par le ministre de la guerre auquel il avoua avoir «arrangé les choses».
Emprisonné , il se suicida le lendemain dans sa cellule… grâce à la bienveillance de ses gardiens qui, contrairement aux usages, lui ont laissé de quoi se tuer (un rasoir).

Dreyfus avec ses avocats Demange et Labori en 1899Devant le scandale, le ministre fut contraint à la démission et son remplaçant consentit à la révision du procès de Dreyfus qui rentra enfin du bagne.
Un procès se tint à Rennes dans une atmosphère houleuse. Le 9 septembre 1899, la cour militaire reconnut à nouveau Dreyfus coupable de haute trahison, mais le condamna seulement à dix ans de réclusion en raison de 
«circonstances atténuantes» (!).

La fin houleuse de l’Affaire et la réhabilitation

Le président de la République Émile Loubet gracia Dreyfus dès le 19 septembre mais l’ancien capitaine exigea un acquittement complet.
L’émotion provoquée par l’Affaire concourut à la formation d’un bloc républicain et relança le principe d’une laïcisation complète de l’État, en latence depuis l’époque de Jules Ferry, vingt ans plus tôt.
Ce fut ainsi que la loi de séparation des Églises et de l’État fut enfin votée après d’ardents débats le 5 décembre 1905.
Enfin, le 12 juillet 1906, l’Affaire trouva son épilogue avec un arrêt de la Cour de Cassation qui cassa enfin le jugement du 9 septembre 1899. Dreyfus fut définitivement innocenté. Il fut fait chevalier de la Légion d’honneur dans la cour de l’École militaire le 21 juillet 1906.
Picquart, que Clemenceau
considérait comme le véritable héros de l’Affaire car il a risqué sa carrière au nom de la justice et de l’honneur, fut promu au grade de général et devint tout bonnement ministre de la Guerre dans le gouvernement du «Tigre» (surnom de Clemenceau).
L’Affaire fut close avec le transfert des cendres de Zola au Panthéon le 4 juin 1908. Victoire posthume dont l’écrivain avait connu toutes les amertumes mais non la liesse suscitée par la reconnaissance de l’innocence du capitaine Dreyfus.
Maurras verra dans l’avènement du régime de Vichy une revanche sur les dreyfusards et sur Zola.

« Le procès Dreyfus a fait de moi un sioniste » Herzl

Le caractère terriblement antisémite de l’affaire vient confirmer l’idée de Theodor Herzl que l’émancipation et l’assimilation des Juifs européens ne fonctionne pas et qu’il faut touver autre chose pour assurer la survie des Juifs. Pour le journaliste viennois, habitué depuis l’enfance à un antisémitisme latent, l’intégration des juifs est impossible car ces derniers sont constamment renvoyés à leur statut même de juif.

Cette idée, à peine quelques années plus tard, aboutira à la construction du projet sioniste. En 1899, Theordor Herzl écrira d’ailleurs « Le procès Dreyfus a fait de moi un sioniste », explicitant parfaitement le point décisif qu’a été l’antisémitisme soulevé par l’Affaire Dreyfus pour son projet politique.

Un an après la condamnation du capitaine Dreyfus, Theodor Herzl publie un ouvrage d’une centaine de pages rassemblant ses idées : L’Etat Juif (Der Judenstaat). L’année d’apès, en 1897, il tient à Bâle le premier congrès sioniste mondial.

Théodore Herzl devient ainsi l’une des personnalités les plus importantes du projet sioniste.

Adaptation par Jforum
avec herodote.net et www.huffingtonpost.fr

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

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Asher Cohen

Dans la mémoire familiale des Juifs d’Algérie, l’Affaire Dreyfus est signe de grandes violences antisémites dans les grandes villes comme Oran ou Alger. Il est clair que, si Clemenceau ne devient pas Président du Conseil en 1906, tous les Juifs sont expulsés de l’Algérie. Cela n’aurait pas été sans intérêt car ils auraient alors évité la conscription pour la boucherie de 14/18. Après cette guerre, l’antisémitisme est reparti de plus belle, notamment à Oran avec les maires antijuifs comme l’abbé Lambert ou le docteur Mole, pour atteindre son apothéose sous le régime de Vichy. De même, les Juifs auraient aussi été expulsés de France, après 1906. Les Juifs se sentaient en exil en Algérie puisqu’aucun ne se faisait élire député, ni maire d’une ville.

Il est rassurant de voir que dès cette époque, des Juifs d’Algérie avaient parfaitement compris la Réalité de la France antisémite, et des convois ont émigré vers la Palestine ( Juifs Moghrabim), ou Alexandrie. On retrouve aux États-Unis des Juifs d’Égypte dont les ancêtres vivaient en Algérie avant l’Affaire Dreyfus. Après-tout, n’avons-nous pas un Dieu de Justice ?