Robert De Niro, le Mossad et moi – Paule Darmon (l’Antilope) – Yann

 

« Les éditions de l’Antilope publient des textes littéraires rendant compte de la richesse et des paradoxes de l’existence juive sur les cinq continents. » Riche d’une trentaine de titres, le catalogue de l’Antilope s’étoffe donc autour de ce credo et propose pour cette rentrée littéraire un texte hautement réjouissant qui y trouvera pleinement sa place.
En effet, s’il est un destin qui illustre avec force la richesse et les paradoxes cités plus haut, c’est bien celui d’Eli Cohen, espion israélien infiltré en Syrie au début des années 60. Paule Darmon n’est pas la première à se pencher sur sa vie mais elle est sans doute la seule à le faire de manière aussi libre tout en respectant scrupuleusement les faits historiques avérés. Robert De Niro, le Mossad et moi n’est pas à proprement parler un documentaire sur la vie d’Eliyahou Ben-Shaoul Cohen mais Paule Darmon, il ne faut pas l’oublier, est journaliste en plus d’être écrivaine et scénariste, et reste donc au plus près de son sujet en n’hésitant pas à citer régulièrement ses sources.
Photo : Bureau du Premier ministre israélien.
Né en Égypte en 1924, Eli Cohen s’engage assez vite au sein d’un mouvement sioniste avec lequel il participe à des actions clandestines visant à aider les juifs d’Égypte à rejoindre la Palestine. Brièvement emprisonné, il rejoint Israël en 1957 et candidate auprès du Mossad. Le refus qu’on lui oppose constitue un camouflet pour lui mais il finit par être engagé par la direction du Renseignement de l’armée israélienne. Après un séjour en Argentine au cours duquel il sera formé à ses nouvelles fonctions et donnera corps à sa couverture de marchand syrien, il est envoyé en Syrie en 1961 afin de récolter et de transmettre des informations sur les intentions syriennes à l’égard d’Israël. Eli Cohen réussit en quelques mois à se créer un réseau de connaissances et d’amis influents qui lui permettent rapidement de s’infiltrer dans les plus hautes sphères de la société syrienne. Il s’y fera connaître comme un riche marchand arabe antisioniste, organisera de nombreuses fêtes et parties fines auxquelles sera invité le gratin de la société de Damas, lui permettant par la même occasion de prendre un certain nombre de photos qui s’avèreront plutôt utiles par la suite. Durant plusieurs années, il communiquera aux services secrets israéliens un nombre incroyable de rapports extrêmement riches et détaillés qui permettront à son gouvernement d’anticiper certaines attaques et de riposter avec efficacité. Mais Cohen finira victime d’un excès de confiance en lui et son imprudence, tant par la fréquence que par la longueur des ses émissions radio, le conduira dans les geôles syriennes. Après un semblant de procès, il sera pendu en 1965.

« J’ai longtemps vécu la vie que tu mènes, dans une autre ville, dans un autre pays, dit l’homme aux cheveux blancs. Je sais ce que tu éprouves à être d’ici et de là-bas. Lorsqu’on vit avec des hommes, avec une ville qu’on ne peut s’empêcher d’aimer, lorsqu’on comprend ses ennemis jusqu’à les aimer, c’est le moment où les loups ne sont plus solitaires; c’est le moment où commence le danger. »

Stèle à la mémoire du Lieutenant-colonel Eli Cohen.
La véritable originalité du roman de Paule Darmon, puisque toute la vie de Cohen est déjà connue et documentée, est d’avoir imaginé une scénariste, Dora Bessis, qui, en 1987, décide d’écrire un film sur la vie de l’espion le plus célèbre de l’histoire d’Israël, film dont Robert De Niro devrait jouer le premier rôle une fois qu’elle aura réussi à le contacter et à le convaincre. Prenant régulièrement des accents de comédie lorsque Dora devient narratrice, le roman alterne de manière classique mais efficace et agréable les périodes de la vie d’Eli Cohen et les tribulations de la scénariste en quête d’acteur. Mais, sous son apparente légèreté, il soulève de vraies questions sur l’identité, l’appartenance, la fidélité ou l’intégrité. Dora, et à travers elle Paule Darmon, tente de comprendre Eli Cohen, de deviner ses motivations profondes et les raisons pour lesquelles il semble se précipiter tête la première dans les prisons syriennes.
Outre ses aspects historiques et géopolitiques éminemment passionnants, Robert De Niro, le Mossad et moi interroge et amuse, étonne et inquiète tant on se laisse prendre à l’incroyable récit que constitue la vie d’Eli Cohen, écartelé entre sa vie familiale, sa fidélité envers Israël et ses réelles amitiés syriennes. C’est toute la force de ce roman que d’être à la fois vif et profond, triste et léger, empli de questions dont certaines, il faut bien se faire à l’idée, resteront sans réponse. On sera donc reconnaissant envers Paule Darmon d’avoir su ressusciter pour un temps cet homme complexe et secret et d’avoir écrit à partir de sa vie ce qui sera sans doute un des meilleurs moments de lecture de cette rentrée littéraire.
Yann.
Robert De Niro, le Mossad et moi, Paule Darmon, L’Antilope, 249 p. , 19€90.

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