Moment critique entre Washington et l’Arabie Saoudite Après la mort du roi Abdallah, la presse américaine se demande où va le royaume saoudien, plus important allié arabe des Etats-Unis.

L’hebdomadaire The Economist appelle Washington à revoir sa relation avec Riyad. C’est la question que se posent de nombreux titres de la presse américaine, avec en creux une interrogation : que va devenir l’alliance entre Washington et Riyad ? « Le nouveau roi saoudien [le prince Salmane, 79 ans et demi-frère d’Abdallah] et les Etats-Unis se trouvent à un moment crucial de la relation », titre en une The New York Times samedi 24 janvier, alors que Barack Obama a abrégé sa visite en Inde la semaine prochaine pour se rendre en Arabie Saoudite.

Si le royaume demeure « le plus important allié arabe » des Etats-Unis, il y a eu ces dernières années « des différences significatives » sur de nombreux sujets, de la Syrie, où les Saoudiens estiment que Barack Obama aurait dû en faire davantage pour renverser le président Bachar El-Assad, à l’Iran, les Saoudiens voyant d’un mauvais oeil un rapprochement entre Washington et Téhéran. Sans oublier la lutte contre Al-Qaida et d’autres organisations extrémistes « en partie financées par des sources saoudiennes ».

Washington doit encourager les réformes

Autre point de friction, la question des libertés en Arabie Saoudite, récemment remise en lumière par le sort du bloggeur Raif Badawi, condamné à recevoir 1000 coups de fouet pour « insulte à l’islam ». L’hebdomadaire The Economist n’y va pas par quatre chemins en appelant les Etats-Unis à « revoir leur relation étroite avec l’Arabie saoudite ». Pour le magazine britannique, l’intérêt de maintenir une relation privilégiée avec Riyad n’est plus évident maintenant que les Etats-Unis ont réduit leur dépendance au pétrole et développé leur production de pétrole de schiste.

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Plus mesurés, les titres américains soulignent l’ampleur des défis qui attendent le nouveau pouvoir saoudien. La politique du roi Abdallah, vu à juste titre comme relativement modéré et modernisateur, « a en fin de compte échoué à empêcher un déclin significatif de l’influence saoudienne et à répondre au défi que constitue la montée d’une nouvelle génération d’arabes ayant grandi avec Internet », estime The Washington Post dans son éditorial du 24 janvier. « La monarchie saoudienne devra accélérer (…) les réformes si elle veut survivre à ce début de XXIe siècle. » Le quotidien souligne que le gouvernement Obama « a peu fait pour promouvoir les réformes en Arabie Saoudite » et l’appelle « à encourager les prochains dirigeants du royaume à adopter des réformes politiques fondamentales ».

Le candidat de Washington choisi comme successeur

The Washington Post salue toutefois la nomination de Mohamed ben Nayef, 55 ans, au poste de vice-prince héritier. Premier petit-fils du fondateur de la dynastie saoudienne à être placé dans l’ordre de succession, celui-ci a étudié aux Etats-Unis et il est « le responsable saoudien en qui les Etats-Unis ont le plus confiance », écrit le quotidien de la capitale. Son tour pourrait venir plus vite que prévu car la santé du nouveau roi Salmane est fragile et des questions entourent les prétentions au trône du nouveau prince-héritier, le prince Moukrine, 69 ans, fils d’une concubine yéménite du fondateur de la dynastie, indique The Wall Street Journal.

Pour certains observateurs, la nomination de Mohamed ben Nayef est le signe que les Etats-Unis exercent toujours une influence prépondérante dans les affaires saoudiennes. Elle règle aussi la question de la succession au sein de la nouvelle génération de la famille royale.

 Les défis qui attendent le futur monarque

L’arrivée du prince Salmane au trône pour succéder au roi Abdallah décédé ce 23 janvier, devrait se passer sans heurt même si les membres de la famille royale se livrent à une concurrence acharnée pour décrocher des postes clés.

Quand on aborde la question de la succession en Arabie Saoudite, il faut prendre plusieurs points en considération. On doit tout d’abord tenir compte du Hay’at Al- Bay’ah (le Conseil d’allégeance), instauré en 2006. Ce conseil se compose des fils ou des descendants du roi Abdelaziz Al-Saoud, et il a pour mission d’élire le roi et son prince héritier.

Ensuite, il y a l’influence de la personnalité du roi Abdallah ben Abdelaziz Al-Saoud. Et enfin, il y a les défis qui attendent le futur monarque. Si l’on considère ces trois facteurs dans leur ensemble, on peut en conclure que l’Arabie Saoudite a de grandes chances de connaître une transition sans heurt.

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L’influence du roi Abdallah est immense. Il est à l’origine du quatrième Etat saoudien (le premier a existé de 1744 à 1818, le deuxième de 1824 à 1891 et le troisième de 1902 à 2006) et l’auteur d’un bouleversement dans l’équilibre du pouvoir dans le pays. Depuis 1964, les centres du pouvoir au sein de la famille royale se contrebalançaient, le roi Fayçal jouant alors à la fois le rôle d’arbitre final et de force décisive. Une équation qui, en 1975, s’est trouvée transformée en un système de domination partagée, où les centres du pouvoir s’équilibraient les uns les autres, sans arbitre final.

Le rôle de force décisive Actuellement, nous sommes en présence d’un nouveau système de « pyramide du pouvoir ».

Les forces de sécurité – l’Intérieur, la Défense et la Garde nationale – sont au sommet, le Conseil d’allégeance au milieu, et en dessous se trouve la succession au trône, sous l’influence du roi. Les forces de sécurité guident le Conseil d’allégeance, contrôlant ainsi le cadre général dans lequel se déroule le processus de succession. En d’autres termes, conformément à la nouvelle loi, le futur roi a moins de pouvoir sur la question de la succession que les forces de sécurité et le Conseil d’allégeance.

Par conséquent, dans ce nouvel agencement, [feu] le roi Abdallah a pu jouer le rôle de force décisive, comme le roi Fayçal en son temps. Toutefois, de récentes nominations à des postes clés – comme le ministre de la Défense, son adjoint et les gouverneurs régionaux – semblent être la preuve que les membres de la famille royale se livrent à une concurrence acharnée. Dans toute famille royale, il y a des règles écrites (comme le Conseil d’allégeance) et des règles tacites (les traditions). Historiquement, les traditions de la famille royale saoudienne reposent sur deux expériences : le système complexe de valeurs et d’alliances né des guerres de l’unification (1902 à 1932) et le conflit pour le trône à la mort du roi Abdelaziz.

Rupture progressive avec les traditions

Avec l’avènement de la génération des petits-fils, des personnalités qui ne s’identifient pas à ces deux expériences ont fait leur entrée sur la scène du pouvoir. On assiste donc à une rupture progressive avec les anciennes traditions et à la mise en place de nouvelles, ce qui prendra du temps.

C’est au futur souverain qu’il incombera de gérer cette transition tout en stabilisant le quatrième Etat saoudien. Les réformes politiques seront un facteur clé, comme le fait d’accroître la participation politique du peuple saoudien. Ainsi, du fait de ces réformes, le conseil de la Choura (l’Assemblée consultative) pourrait être élu, et non plus désigné comme c’est le cas aujourd’hui.

Un Parlement élu peut jouer un rôle important dans la prise de décision sur les questions liées à la succession. Nous avons été témoin d’une évolution semblable au Koweït, où le conseil de l’Oumma décide de qui sera émir.

La politique étrangère représente un autre défi. La gestion des relations avec les Etats-Unis s’avèrera difficile, d’autant plus que le pays est pour Washington une plaque tournante stratégique vers l’Asie. Le futur roi devra faire face à l’influence montante de l’Iran, qui s’appuie sur des acteurs non-étatiques et sur un discours idéologique pour nouer des alliances, affaiblissant du même coup les gouvernements centraux tout en créant une atmosphère de conflit généralisée.

Les forces de sécurité au cœur du processus

En dépit des spéculations et des inquiétudes que suscite le secret entourant la succession, l’Arabie Saoudite continuera d’exercer une formidable influence sur les événements tant régionaux qu’internationaux. L’opinion publique saoudienne a tendance à se méfier de tout changement radical. De plus, la stabilité de la transition dépend des forces de sécurité. Ce qui devrait permettre d’empêcher que la compétition entre les membres de la famille royale n’aille trop loin.

Par conséquent, le système de « domination partagée » s’étant transformé en une « pyramide du pouvoir » qui place les forces de sécurité au cœur du processus de transition – et sachant que cette pyramide détient le pouvoir aussi bien militaire que financier, la transition du pays, aussi lente et pénible soit-elle, s’effectuera selon toute vraisemblance dans la paix et la stabilité.

La Presse américaine – Le Courrier International / AL-JAZIRA | MANSOUR ALMARZOQI

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