Shema Yisrael en Synagogue-forteresse : sensible à l’appel de D. ou au sifflement des balles?

Halle, Poway, Pittsburgh : ces attaques nous obligent à transformer des synagogues en forteresses et peuvent corrompre nos liens les uns envers les autres

Officiers de police à Halle, Allemagne, le 9 octobre 2019

Officiers de police à Halle, Allemagne, le 9 octobre 2019

Si le judaïsme était un corps, le Shema en serait le cœur. Au début et à la fin de chaque journée, au début et à la fin de chaque vie : «Écoute, ô Israël…» Vivre sa vie juive se définit par cet appel rythmique à l’attention, à prier avec les oreilles grandes ouvertes.

Attention et présence, Shema et Hineini. Elles constituent le fondement spirituel de la synagogue, soutenant son poids aussi essentiellement que les barres d’armature, et elles saluent le Juif chaque fois que survient le temps de la prière – jamais autant que lors des Grands Jours Saints. Ce Yom Kippour, les Juifs du monde entier sont entrés dans le temple au moment même (notamment en Amérique du Nord) où la nouvelle de Halle a commencé à affluer. Pour les quatre-vingts (ou 51 selon les récits) fidèles de cette ville de l’Allemagne de l’Est (Saxe- Anhalt), cette fondation était brisée. Pour le reste d’entre nous, elle a été gravement malmenée. Bien que les vraies victimes de cette semaine soient celles de Halle (2 victimes à l’extérieur de la Synagogue, NDLR), il convient d’examiner l’effet de leur meurtre et de tant d’autres assassinés en raison du fait d’être juif, sur notre conscience collective.

Cette année a été pénible pour les Juifs. Un antisémitisme violent, inégalé depuis des générations, a fait son grand retour (notamment en Amérique du Nord). En réponse à cela, nos synagogues ont été transformées en «cibles difficiles». La dureté n’est pas un mot qui vient à l’esprit, lorsque vous imaginez un sanctuaire. Non seulement la sécurité armée, mais la police patrouille devant les entrées de nos espaces. Après Pittsburgh, puis Poway, nous étions nombreux à les accueillir. C’était la seule façon pour nous de pouvoir prier en toute sécurité en public. Après (Copernic, Toulouse… ), Pittsburgh, et ensuite Poway, nous les accueillons d’autant plus maintenant, mais le simple fait qu’ils soient présents rappelle constamment ce qui les a envoyés. Ces gardiens sont des témoignages physiques de notre insécurité, servant à la fois à protéger, mais aussi à déranger l’expérience de la prière. Il est évidemment préférable d’être mieux protégé que vulnérable, mais cet antisémitisme qui nous contraint à nous militariser transforme même nos efforts en matière de protection de soi en une forme de jeu de miroir terreur/ contre-terreur.

Cette année, mon rabbin a prononcé l’un des sermons les plus enthousiastes que j’ai jamais entendus, et je n’en ai entendu qu’une infime partie. Tandis qu’il parlait, mes yeux se posaient sur les vitraux ; J’écoutais, non pas les mots qui remplissaient la pièce, mais l’air extérieur, redoutant quelque chose de mal, attendant d’autres nouvelles de Halle, attendant une balle qui viendrait perforer l’Isaiah translucide en vitrail, qui se tenait au-dessus de moi. En l’espace de quelques minutes, le gardien surveillant l’entrée du sanctuaire apparaissait dans la petite fenêtre de la porte et chaque fois qu’il le faisait, mon cœur tressaillait. Cette violence (répercutée par les médias) avait ébranlé quelque chose en moi.

Je ne veux pas paraître alarmiste. Je ne me fais pas d’illusions sur les réalités auxquelles notre communauté est confrontée. Je sais pertinemment que ce n’est pas le Berlin des années 1930. Et pourtant, je sais aussi que ce ne sont pas les paisibles années 1990 à New York. Nous vivons dans un état de tensions qui s’élèvent, sans que ce soit l’arrivée de pogroms au sens propre du terme Mais notre judaïsme même, le renouvellement de notre alliance par la prière solennelle, est perturbé par la haine. Comme beaucoup d’autres auraient pu le dire de ce Yom Kippour, je n’étais pas présent, je n’écoutais pas. Ceux de Halle ne l’étaient certainement pas (mentalement « présents à la prière ») – chaque part d’attention qu’ils pouvaient préserver était dirigée vers la survie. Ils écoutaient les coups de feu, pas l’appel de D.ieu. Le reste de nos shuls n’a heureusement pas été dérangé, mais une attaque sur n’importe quelle partie de ce corps juif est une attaque sur tout son corps : le bras est blessé et la main ne peut plus bouger ; le Shema ne peut pas être rythmé par le retentissement des coups de fusil.

C’est la perversité ultime de ces fusillades. En attaquant une partie centrale de l’expérience juive, ils attaquent notre identité. Ils nous demandent de transformer les synagogues en forteresses. Ils mettent la présence en soi, avant même la vie de la Torah, en danger. Ils corrompent nos liens les uns envers les autres, faisant de la profonde empathie pour nos compatriotes juifs une source de risque, … Ils voudraient tant semer la panique – la deuxième partie du Shema nous unit singulièrement. Ainsi, lorsque nous devenons ceux de Pittsburgh, de Poway et de Halle, nous devenons des victimes potentielles.

Changer les habitudes et les coutumes en réponse au terrorisme, c’est aussi annoncer une défaite, voire en encourager ses auteurs. Mais, à cause de ces attaques, nous avons changé. Les lieux de la synagogue ont changé. Et je suis incroyablement en colère contre les manifestants de l’été 2014 (durant l’opération Tsuk Etan) et les assaillants à Paris, les vandales à Lakewood et ces trois tireurs solitaires, pour avoir répandu ce poison, et contre moi-même pour y être susceptible.

A PROPOS DE L’AUTEUR
Sean vit à Toronto avec son partenaire de toujours, sa Névrose et sa petite amie. C’est un membre actif de la communauté juive.

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

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Daniel Fred Gandus

Sean,

Vous etes la victime et non pas le coupable.
Par contre, il est vrai qu’il n y a plus parmi les « elites » de personnes capables de dire à leur communauté qu’il n y a pas d avenir ds les pays partages entre decadence post-moderne et islamisation. Israel est le plus sûr mais il est vrai qu’Israel est inquietant et decevant dans sa relation aux olim. En conclusion, il faut venir en Israel mais avec assez de force pour participer à son changement.