Méir M. Bar-Asher, Les juifs dans le Coran. Préface de Mohammed Ali Amir-Moezzi (Albin Michel).

 

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Je tiens à dire d’emblée qu’avec cet ouvrage nous tenons une solide contribution à la question tant disputée du statut des juifs dans le Coran.

L’auteur, excellent connaisseur du Coran et de la langue arabe, né dans un environnement qui facilite visiblement l’exploration d’un tel thème sans tomber dans les exagérations ou les mythes si bien véhiculés par une certaine presse et une certaine littérature.

Avec notre auteur qui a fort bien choisi son préfacier, l’éditeur de l’excellent Dictionnaire du Coran, nous tenons un ouvrage fait aux normes de la méthode historico-critique.

Ses conclusions, quand il y en a, sont donc scientifiques et montrent la grande complexité de la question.

J’apprécie que l’auteur ait mentionné la thèse de doctorat d’Abraham Geiger, soutenue au début du XIXe siècle, à l’université de Bonn et qui fut couronnée (preisgkrönt); le jeune rabbin réformé y montrait l’importance des emprunts de Mahomet à la tradition juive tant écrite qu’orale, étant entendu que ce qu’il en a retenu n’est pas nécessairement ce qui s’y était dit…

M. Bar-Asher se pose les bonnes questions mais tout d’abord il trace le cadre historique: en gros, de quoi parlons nous, quand nous mettons en relation les Juifs et l’Arabie antéislamique, un royaume juif en Arabie a t il vraiment existe ?

On se souvient de cette phrase un peu grandiloquente d’Ernest Renan : il ne tint qu’à un fil que l’Arabie ne devînt juive… C’est peut-être un peu exagéré.

Et l’auteur du présent ouvrage montre aisément, sans jamais se perdre dans les détails ni lasser ses lecteurs que même les déclarations coraniques sur le judaïsme et les juifs sont le résultat de rapprochements ou de traditions, eux-mêmes fruits d’une longue évolution dont on a entièrement perdu la trace.

En effet, les documents épars contenus dans les sourates coraniques ne sont pas des pièces originales, elles dérivent elles aussi de compilations, d’élaborations secondaires ou d’autres témoignages dont les sources sont oubliées.

Donc, dès les premières cinquante pages, le lecteur est fixé: derrière le titre, Les Juifs dans le Coran, se cache une réalité qui est tout sauf claire et univoque.

Mais revenons aux événements contemporains du prophète : quel judaïsme connaissait il au juste ? Lui-même a t il été en relation directe avec des Juifs d’Arabie et si oui, à quoi ressemblait ce judaïsme là ?

M. Ba-Asher souligne un détail qui semble aller de soi mais qu’il faut préciser : sous quelles appellations le Coran présente-t-il les juifs, étant entendu que de telles déclarations sont en principe le résultat d’une longue évolution antérieure.

Trois expressions semblent se détacher : Banu Israel (les enfants d’Israël, les Israélites de la Bible), Ahl al-Kitab (les gens du livre), al Yahoud (les juifs). Cette dernière appellation semble être la plus péjorative, voire la plus hostile.

Contrairement à la Bible hébraïque qui se présente sous la forme de récits reliés les uns aux autres, le Coran élabore différents événements et brode autour de certains personnages dont l’écrasante majorité dérive de l’Ancien Testament.

Au début, il semble que le prophète ait approché cette réalité concrète qu’étaient les tribus juives d’Arabie avec un certain intérêt, à l’exclusion de toute hostilité déclarée.

C’est, pour faire court, au fur et à mesure que les juifs manifestaient très peu d’enthousiasme pour la nouvelle croyance que les choses s’envenimèrent.

On note par exemple des reproches très virulents visant à destituer le peuple élu (fadl) de son élection.

Le Coran a beau jeu d’énumérer les différentes grâces divines témoignées à un peuple devenu ingrat et incroyant.

Le culte du veau d’or est sévèrement rappelé, les plaintes des Israélites dans le désert (que boire et que manger ?) soulignées, et le tout vise ou laisse entendre que c’est la nouvelle communauté émergente, celle des musulmans qui prend le pas sur l’ancienne configuration historique où les Juifs étaient encore les enfants chéris du Créateur.

Je laisse de côté la rupture d’alliance dénoncée par le prophète dont les armées auraient été victimes d’une manœuvre d’encerclement de la part des tribus juives ; ce forfait, réel ou imaginaire fut réprimé dans le sang ; un tel événement ne peut pas ne pas avoir laisser de traces dans la relation entre la nouvelle communauté religieuse et les habitants juifs de la péninsule arabique.

Il faut souligner que le Coran reproche avec véhémence aux juifs d’avoir assassiné les prophètes que Dieu leur avait envoyés…

M. Bar-Asher cite plusieurs versets coraniques dont l’arrière-plan ne peut s’expliquer rationnellement que par un apport judéo-biblique ; je me contenterai de deux cas : celui où il est fait allusion à un passage du traité Shabbat fol. 88a où les Hébreux n’ont le choix qu’entre l’acceptation sans condition de la Tora ou mourir sur place…

Dans le Coran on insiste sur l’acceptation ferme de la chose sans autre précision.

Le deuxième exemple est encore plus parlant et atteste des discussions, des échanges entre les membres des deux communautés= la formule célèbre de na’assé we nishma’ (nous ferons et obéiront) devient, grâce à une subtile interversion de deux phonèmes arabe et hébraïque très forts : nous écouterons et nous n’obéirons pas…

De telles perversions du message biblique montrent que les relations entre musulmans et juifs ont entièrement changé de nature.

On assiste à un vaste tournant visant à mettre en avant l’impiété des Hébreux qui se rebellent contre Dieu, adorent le veau d’or, et qui ont falsifié (tajrif) la Tora afin d’en extraire toute allusion à la venue du prophète de l’islam…

Progressivement, la nouvelle foi cherche à se substituer à la révélation qu’elle supplante et qu’elle juge périmée.

Il est un personnage étonnant Uzajr / Ezra le scribe qui aurait joué un rôle déterminant dans cette affaire, puisque ce serait lui qui aurait retrouvé dans sa mémoire la Tora oubliée des Juifs.

Le Coran produit une sorte d’historiographie bien à lui où il redistribue les cartes au plan historique. Nous verrons aussi infra qu’il adapte à sa manière les récits qu’il reprend sans jamais les reproduire à l’identique.

On peut aussi s’arrêter sur le traitement des récit contenus dans les livres bibliques: l’auteur relève ce qui a frappé tant d’observateurs, à savoir qu’aucun citation n’est fate en fidélité totale avec l’original hébraïque, ce qui renforce la thèse d’échanges principalement verbaux.

On note aussi que si le Pentateuque est souvent mis à contribution, les principaux prophètes ne le sont jamais (Isaïe, Jérémie et Ezéchiel).

Je ne peux pas m’arrêter sur les principaux personnages bibliques que le Coran reprend, par exemple Abraham, Joseph et le roi David dont le Psautier (al-zabour) est cité…

J’ai consacré à ces personnages des monographies au cours desquelles l’aspect coranique a été étudié.

Nous lisons aussi un chapitre comparant les lois du judaïsme et de l’islam. Visiblement, le caractère juridico-légal de la Tora est nettement plus étendu que dans le Coran où l’on s’en tient à quelques interdictions comme la viande de porc, le sang, les charognes, etc…

Il y a du reste une légère polémique anti-juive dans ce domaine ; si les juifs doivent se conformer à tant d’interdits, c’est en raison d’une punition divine, un véritable châtiment subi pour leurs incessantes déviations.

Au niveau purement rituel comme la prière, par exemple, le changement de la qibla est un signe, même si dans l’Arabie antéislamique de telles actes de pitié existaient à peine ou étaient affiliés à des divinités locales…

Il fallut bien s’orienter selon le rite juif ou chrétien.

La même chose vaut du jeûne dont l’organisation interne diffère, cependant, car on peut manger et boire jusqu’aux premières lueurs de l’aube, ce qui n’est pas le cas dans le judaïsme.

On peut en dire autant du sabbat auquel le vendredi, jour de la grande prière, ne ressemble pas vraiment. Pour les juifs, le sabbat est synonyme de repos absolu. Alors que le musulman peut, après la grande prière, vaquer à ses occupations.

Enfin, quelles sont les sources de la dhimma, cette catégorie sociopolitique qui fit des non musulmans vivant dans la cité islamique des citoyens de seconde zone ?

Au fond, M. Bar-Asher hésite à donner une réponse claire. Il n’a pas tort de relever que le fameux pacte d’’Umar n’é été appliqué que dans des circonstances variant selon les époques.

Il demeure que la lecture de ces articles –qu’ils aient ou non été appliqués- glace le sang. Certes, hormis l’Iran, tous les pays musulmans semblent avoir renoncé formellement à ce type de législation…

Mais l’idéologie demeure ; l’auteur cite cette phrase selon laquelle l’islam est suprême et rien ne saurait lui être supérieur… Difficile de vivre avec un tel principe dans l’Europe judéo-chrétienne.

Quels enseignements tirer d’un tel livre dont le sujet ne peut ne pas ne pas déborder sur l’actualité,, même si le mérite majeur de son auteur consiste à éviter l’actualité pour opter pour l’histoire.

L’actualité tyrannique porte préjudice à la recherche historique sérieuse. C’est indubitable, mais que répondre à des Coptes d’Egypte dont les membres sont persécutés et les églises attaquées ? Que dire à ces chrétiens d’Orient que l’Etat Islamique a martyrisés ?

Mais leur répondre ne relève ni des compétences d’Abraham Geiger ni de celles de M. Bar-Asher. L’exclusivisme religieux est rejeté par l’islam lui-même (ifraq al oudyoun).

La religion bien pratiquée doit être éclairée philosophiquement. Sinon, c’est la barbarie. Nous en sommes loin.

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

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