LE RÔLE DE LA CHINE : SES RELATIONS AVEC L’INDE, LE PAKISTAN ET L’AFGHANISTAN

1 – Une relation sino-indienne durablement méfiante

Entamé dans les années 1990, et malgré un coup d’arrêt en 1998 avec les essais nucléaires indiens (motivés pour New Delhi tant par la menace de la Chine que celle du Pakistan), le rapprochement sino-indien progresse, illustré par l’intensification des échanges et visites politiques au plus haut niveau, en vue du développement d’un partenariat stratégique stable.

Le discours officiel, tel qu’il est exprimé par le vice-président Ansari, est qu’il y a suffisamment de place en Asie pour le développement concomitant des deux géants. Le développement d’une relation de confiance s’inscrit lentement mais sûrement dans le long terme, illustrée par le « partenariat stratégique et coopératif pour la paix et la prospérité » (établi en 2005) et l’adoption, lors de la visite du Premier ministre Manmohan Singh à Pékin en janvier 2008, d’une « vision partagée pour le XXIe siècle ». Des différends existent et se manifestent régulièrement, mais l’essentiel est l’accord de Pékin et de New Delhi pour les régler par la négociation. La tension excessive portée par les médias aux incidents de parcours leur ferait perdre de vue la trajectoire d’amélioration progressive des relations à tous les niveaux (économiques, politiques, académique, sécuritaire etc.).

Les échanges économiques bilatéraux (50 milliards de dollars en 2008) se densifient mais sont profondément déséquilibrés au détriment de l’Inde. Par ailleurs, la complémentarité qui existe aujourd’hui entre une machine industrielle chinoise et l’Inde des nouvelles technologies de la communication et du tertiaire, pourrait, à terme, tourner à l’affrontement lorsque les trajectoires de développement des deux auront comblé les lacunes réciproques de leurs économies aujourd’hui complémentaires.

Surtout, les contentieux frontaliers demeurent. La frontière indo-chinoise est mal définie depuis la guerre de 1962, dans une partie du Cachemire, l’Aksai Chin (occupé par la Chine), ainsi que pour l’Arunachal Pradesh (occupé par l’Inde). Deux accords prévoyant la mise en place de mesures de confiance et surtout le dialogue composite sur les frontières engagé en 2003 ont permis le gel, mais pas la résolution, de ces différends. Non seulement un règlement définitif du contentieux à court ou moyen terme est improbable, mais il pourrait devenir une source majeure de tensions, chaque partie campant sur ses positions, comme l’a montré le déploiement à la frontière avec la Chine de 60 000 soldats indiens en juin 2009, dénoncé par Pékin comme une provocation.

Depuis la fuite en 1959 du Dalaï Lama à Dharamsala (État de l’Himachal Pradesh), la question tibétaine trouve une résonance particulière en Inde. La recherche de l’équilibre est un exercice ardu pour New Delhi, qui se doit de préserver ses relations avec son voisin, tout en étant solidaire du peuple tibétain pour des raisons culturelles, religieuses, et démographiques (minorité de 100 000 tibétains en Inde). Bien qu’elle ait reconnu à plusieurs reprises l’appartenance du Tibet à la Chine et interdit tout activisme pro-tibétain sur son territoire, l’Inde est régulièrement accusée par la presse chinoise de soutenir l’indépendantisme tibétain. Il est important de comprendre que le différend frontalier provient de l’interprétation que la Chine s’est faite de la frontière tibeto-indienne, depuis l’invasion du Tibet.

Au niveau multilatéral, les deux pays ont affiché une bonne entente à l’occasion du premier sommet BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) en juin 2009. Toutefois, la position de la Chine, qui, tout en évitant une opposition frontale, contrarie la réalisation des ambitions indiennes de devenir membre permanent du Conseil de Sécurité -dossier clef pour New Delhi- ce qui constitue une source de tension bilatérale non négligeable, et tend à prouver que Pékin perçoit bien l’émergence indienne comme celle d’un rival potentiel sur la scène géopolitique mondiale.

Selon M. Mishra, ancien National Security Adviser du Premier ministre indien, le gouvernement minimise volontairement les tensions avec la Chine qui demeure le principal danger pour l’Inde. Il existe une relation d’hostilité entre les deux pays. La propagande chinoise des deux dernières années n’a jamais été aussi négative et agressive sur la ligne de contrôle. En conséquence, l’Inde a deux frontières à protéger. Le soutien de la Chine au Pakistan est donc perçu de manière très négative.

Dans cette compétition, qui ne peut que s’exacerber entre les deux géants asiatiques, la Chine dispose en effet d’un atout supplémentaire en étant l’alliée traditionnelle du Pakistan.

2. Pakistan – Chine : une relation structurelle

Considérée comme un partenaire généreux, la Chine est la grande alliée du Pakistan, et jouit d’une image très positive dans le pays. Cette alliance remonte à l’époque où l’Inde avait fait le choix de l’URSS. Pékin a toujours entretenu avec Islamabad une coopération étroite, tant avec les dirigeants civils que militaires. Le Pakistan a reçu plus d’un milliard de dollars sous différentes formes en l’espace d’un an.

Les récents événements au Xinjiang sont très révélateurs de la volonté pakistanaise de préserver à tout prix la relation privilégiée avec Pékin. Alors qu’en règle générale, Islamabad se sent directement concerné par le sort des communautés musulmanes, où que ce soit dans le monde, le Pakistan n’a pas condamné la répression des manifestations, exprimant a contrario son plein soutien à Pékin.

Les visites de haut niveau se multiplient. Depuis le début de son mandat (septembre 2008), le Président Asif Ali Zardari a effectué quatre voyages en Chine. La Chine est membre du Groupe des Amis du Pakistan Démocratique. Elle y défend cependant la non-ingérence dans les affaires pakistanaises, et préfère utiliser le canal bilatéral pour apporter son aide à Islamabad.

L’essentiel de la coopération avec Pékin concerne les questions militaires. Les deux pays ont signé, en février 2006, un accord-cadre de coopération stratégique et de défense, confirmant l’accord de 2002 en matière militaire. La Chine est un fournisseur important d’armes du Pakistan. Cependant, en matière d’équipements militaires, s’il existe un accord entre la Chine et le Pakistan sur les avions et les missiles, l’aide apportée par les États-Unis depuis 2002 (12 milliards de dollars pour l’essentiel consacrés au domaine militaire) fait que la plupart des équipements nouveaux proviennent des États-Unis. M. Mishra, ancien conseiller national à la sécurité (NSA) du Premier ministre indien, avait expliqué à John Kerry que l’armée pakistanaise ne pouvait fonctionner plus de quelques semaines sans l’aide des États-Unis.

La Chine est également le premier partenaire commercial asiatique du Pakistan. Le montant des échanges bilatéraux a atteint 7 milliards de dollars pour l’année 2008. Les deux parties souhaitent atteindre des échanges annuels de l’ordre de 15 milliards de dollars d’ici 2012. La Chine investit au Pakistan dans les infrastructures et l’énergie.

L’Inde perçoit naturellement cette proximité comme un danger. Selon M. Mishra « le soutien de la Chine au Pakistan a un impact négatif pour l’Inde ».

3. Afghanistan-Chine

Avant 2001, la Chine s’était inquiétée du soutien des Taliban au mouvement séparatiste ouighour du Xinjiang. Tout en accordant une aide économique au régime taliban, la Chine l’avait condamnée à plusieurs reprises à l’ONU et a approuvé l’engagement des États-Unis en Afghanistan en 2001.

Très inquiète de la dégradation de la situation politique et sécuritaire en Afghanistan, elle juge aujourd’hui inévitable le développement de contacts avec les Taliban « modérés ». Pour cette même raison, elle appuie d’une manière générale les efforts internationaux de stabilisation de l’Afghanistan mais, bien que vigilante et en dépit des demandes exprimées par la nouvelle Administration américaine, ne souhaite pas s’engager elle-même directement, ni politiquement ni militairement. Elle a refusé à plusieurs reprises toute éventualité de déploiement de soldats chinois au sein de la FIAS. En définitive, la Chine préfère privilégier le cadre de l’organisation de coopération de Shanghai (OCS) 33(*) pour traiter des problèmes de sécurité en Afghanistan. Elle ne semble d’ailleurs aborder la dimension régionale de la crise afghane que sous ce seul angle du risque posé par la situation interne de l’Afghanistan pour ses voisins immédiats.

S’agissant de l’aide à la reconstruction, la participation chinoise est limitée : promesse d’aide initiale de 150 millions de dollars pour la reconstruction de l’Afghanistan, mais décaissements annuels faibles et décroissants (5 millions de dollars par an entre 2004 et 2006, seulement 4,6 millions d’euros supplémentaires annoncés en juin 2008).

La Chine a, par ailleurs, une présence économique importante (500 millions de dollars d’échanges commerciaux) et a procédé à des investissements conséquents (dont la concession d’exploitation, obtenue en 2007, de la mine de cuivre d’Aynak, plus gros investissement jamais réalisé en Afghanistan, avec 3,5 milliards de dollars, pour un projet qui connaît, depuis, du fait de l’insécurité, un démarrage difficile).

Enfin, en matière de drogue, l’importation et la consommation d’héroïne et d’opium afghans en Chine est en augmentation nette et préoccupe les autorités. En retour, la Chine constitue une source majeure d’importation en Afghanistan de précurseurs chimiques nécessaires à la fabrication d’héroïne.

* 32 La ligne Durand est le nom donné à la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan, établie le 12 novembre 1893 par un accord entre l’émir Abdur Rahman Khan et sir Mortimer Durand pour l’Empire britannique. Elle divise artificiellement des tribus pachtounes qui partagent la même langue et la même organisation sociale. Le gouvernement afghan n’a jamais reconnu cette ligne comme frontière.

Sénat

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