Albert Bensoussan

La tunique écarlate de Josué

Les mains tendues vers l’Espoir

התקוה

 

Je revois ce tableau du peintre israélien (né à Tunis) Élie Sarfati qui représente Moïse descendant du Sinaï en tenant sous ses bras, dans ses mains, les nouvelles Tables de la Loi, celles qu’il a gravées lui-même, après qu’il eut brisé les premières – les originales, écrites en langue de feu par Elohim – à la suite du désastreux épisode du Veau d’Or. À droite, on voit Josué à genoux et tendant les mains. Il porte une tunique écarlate — c’est à cela qu’on le reconnaît — et manifeste une attitude de profonde piété, voire de vénération, le front incliné, devant le Prophète nimbé de lumière, le regard fixe et illuminé.

« Les enfants d’Israël voyaient que la peau du visage de Moïse rayonnait : ki qarane ‘or peney Moshe » (Chemot, XXXIV-35). On notera que le verbe qarone, « briller », est de même racine que qérène, qui signifie « corne », ce pourquoi le sculpteur Michel-Ange a représenté son Moïse avec deux cornes au front, symbolisant le rayonnement de son visage.

À gauche, on voit trois vieux, tête penchée, présentant eux aussi leurs mains pour recevoir les Dix Paroles, car il est écrit que la Loi a été donnée à Moïse pour qu’il la transmette aux anciens et aux prophètes, autrement dit aux sages. Josué est désormais un homme seul — à l’instar de Moïse, « puissant et solitaire », tel que l’a chanté le poète Alfred de Vigny —, car il a été investi par Moïse comme son continuateur ; nouveau guide, il doit assumer le destin d’Israël.

Ce tableau signé de Sar.el se situe à l’aube de notre histoire : le ciel rougeoie, le rideau se lève sur l’existence du peuple juif…

Après la mort de Moïse « dans le baiser de Dieu », יהושוע Josué —qui n’était que הושוע avant que Moïse ne l’adoube et le sacralise par l’adjonction à l’initiale de son nom du yod, première lettre du יה Yah divin, signifiant ainsi que c’est Dieu qui sauvera son peuple  — reprend à son compte l’initiative du Prophète d’envoyer des espions – meraglim –  pour « explorer » les lieux (תור tour en hébreu signifiant circuler, explorer, espionner, évoquant immanquablement le mot « tourisme »). On se rappellera que les « explorateurs » de Moïse, au bout de 40 jours étaient revenus pour décourager (« il y a dans ce pays des géants et ils sont trop puissants ») le peuple hébreu d’y aller — à l’exception des voix discordantes et sages de Josué et de Caleb, qui seront épargnés par la colère divine —, ce pourquoi le peuple fut condamné à errer quarante ans dans le désert, bamidbar. Mais ici, Josué entend préparer militairement l’entrée en possession d’Eretz. Les deux espions dépêchés par lui pénètrent donc à Jéricho et sont hébergés par une prostituée du nom de Ra’hav qui va les cacher, les protéger, et obtenir d’eux, en échange, d’être épargnée ainsi que toute sa famille lors de l’assaut final et victorieux des troupes de Josué — épisode célèbre des trompettes, aussi retentissantes que les trompettes d’Aïda, et assez efficaces pour faire tomber, en sonnant sept shofars, sept fois autour, et sept jours durant, les murailles de Jéricho, la plus vieille ville du monde. De même, le 5 juin 1967, le 28 du mois de Yar, le général-rabbin Shlomo Goren, sous l’œil lumineux et triomphant de Moshe Dayan, sonna du shofar en libérant le « Mur des Lamentations » — désormais appelé Kotel Maaravi  מערבי « mur occidental » — et Jérusalem, et récitant : Baroukh ata Hashem, mena’hem Tsion ou-Boneh Yerushalayim.

 מנחם, signifiant « le consolateur », est, depuis la destruction du 2nd Temple, chargé d’un sens messianique. Bénissant donc יה Yah de « consoler » — autrement dit faire renaître — Sion et de bâtir — ici rebâtir — Jérusalem.

L’Histoire nous dit encore qu’afin d’épargner Ra’hav et les siens, un signe rouge de reconnaissance fut demandé et ce sera le fameux cordon couleur, non pas rouge — ce qui renverrait à l’adom néfaste d’Essav admoni, le frère violent de Jacob — mais un tiqvat ‘hout ashani, « un cordon de fil écarlate ». Ce mot shani représente, en effet, la couleur écarlate, signe de pompe et de dignité. C’est en ce Tola’at shani qu’est tissé le rideau « rouge cochenille », c’est-à-dire écarlate, ornant le parvis du Temple de Jérusalem. Ce qu’on appelle aussi kermès (mot d’origine hébraïque) et qu’on trouve dans le Cantique des Cantiques pour qualifier les lèvres de la Shulamite : Ke’hout hashani siftotaïkh = « tes lèvres sont comme un fil écarlate », ou encore « un kermès de lèvres » ainsi qu’on l’a parfois traduit ; et c’est le moment de rappeler que ce mot « kermès » renvoie à notre adjectif « carmin » qui vient tout bonnement de l’hébreu Karmil. En définitive, l’adjectif « écarlate » qui qualifie aussi bien la tunique de Josué que le manteau du Temple, et ici le cordon de fil tressé suspendu à la fenêtre de Ra’hav — celle qui comptera dans sa descendance le prophète Jérémie —, renvoie, par sa texture même et sa couleur d’évidence sacrée, à ce mot fortement mis en valeur : Tiqvah, autrement dit « cordon ». Le dictionnaire d’Abraham Elmaleh donne cette définition à Tiqvah : « Corde, fil tressé. Espérance, attente. Temps fixé ». Et voilà l’étonnant sémantisme d’un mot aussi ordinaire et banal que cordon qui soudain, par l’adjonction  de cette couleur choisie par יה Yah pour orner le parvis de Son Temple, pour qualifier les lèvres de la Shulamite — allégorie du peuple d’Israël —, ainsi que la corde salvatrice de l’accueillante femme de Jéricho, et ici par Josué, celui qui va conduire en Terre Promise le peuple hébreu et le sauver de l’exil, devient l’emblème même de notre Espérance :     התקוה

 Hatiqvah bat shnot alpaïm, un espoir vieux de deux mille ans !

Moi, chaque fois que je chante l’Hatiqvah, ma voix se brise, ma gorge se noue. Elle se noue de ce cordon écarlate de Ra’hav qui signifie lien collectif et qui signifie salut. Josué fut cet unificateur du peuple hébreu, et son libérateur. Son consolateur. Et le Messie sera, assurément, revêtu d’un manteau écarlate, noué de ce cordon tiqvat ‘hout ashani.

Albert Bensoussan

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