« La Rose aux treize pétales » du Rav Adin Éven-Israël Steinsaltz Une rose qui n’en finit pas de fleurir par Michel Allouche.

 

Été 1969 à La Flèche : Comme chaque année à la fin du mois de juillet, mon père tient à organiser lui-même nos vacances estivales et familiales. Cette fois, le choix tombe sur Montpellier, une des villes ensoleillées du midi de la France. Deux événements y auront sans doute été le point de départ d’une part de mon rêve d’Alyah et d’autre part de mon retour progressif vers un judaïsme plus authentiquement vécu.

Le premier fut ma rencontre avec un Israélien de l’Agence Juive et les longues discussions menées avec lui sur Erets-Israël et les possibilités d’Alyah. Un rêve qui désormais ne me quittera plus. Le deuxième a trait au premier vendredi de nos vacances, en fin d’après-midi. Mon père me suggéra subitement de faire un saut à la petite synagogue de la ville qui, lui semblait-il, était assez proche.

Le Chamach attendait impatiemment à l’entrée : « Soyez les bienvenus – nous dit-il – il nous fallait précisément encore deux hommes pour compléter le Mynian! ». Son visage rayonnant de joie m’a profondément marqué.

Juif isolé de La Flèche, petite ville de la Sarthe sans juifs, je ne fréquentais la synagogue qu’une seule fois par an le jour de Kippour. Mon autre et seul contact, en quelque sorte mon Talmud Torah, était l’émission de télévision La Source de vie du rabbin Josy Eisenberg qui me fascinait.

Je n’avais encore jusqu’alors, jamais entendu le fameux Lekha dodi. Mon père m’ouvrit le siddour Téfillat Bné Tsion à la bonne page et grâce aux rudiments d’hébreu qu’il m’avait enseignés, je réussis tant bien que mal à suivre.

L’enthousiasme et le bonheur que j’éprouvais à suivre de mieux en mieux et à chanter avec l’assemblée auront sans doute contribué dès mon retour à La Flèche à prendre une petite décision, celle de mieux respecter certaines lois de la cachrout, ouvrant ainsi la voie à ma propre téchouva, pas après pas.…

Toulouse, Avril 1986 : Ce soir-là, le Rav Adin Steinsaltz est l’invité de la Jeunesse Loubavitch pour  parler de « La mystique de Maïmonide ».

C’est justement le rabbin Josy Eisenberg qui le traduit en simultané. Ce fut-là ma première rencontre tant avec le Rabbin Josy Eisenberg qu’avec le Rav Adin Steinsaltz.

Je m’étais auparavant passionné de leurs discussions lors de l’émission télévisée, La Source de vie, autour des enseignements de la ‘hassidout. À la fin de la conférence, je posai naïvement une question au Rav Adin Steinsaltz : « Comptez-vous écrire un commentaire du Zohar à la manière de celui que vous écrivez sur le Talmud ? ».

Il me répondit avec beaucoup d’humour qu’il lui faudrait encore au moins 120 ans pour publier  tel commentaire. Ne s’arrêtant pas là, il me suggéra de lire un livre qui venait de sortir en anglais, intitulé « The thirteen petalled rose », et présentant des concepts fondamentaux de Kabbale et de ‘hassidout. Un mois après, je me procurai le livre, le dévorant d’un seul trait.

La première phrase, littéralement, me happa : « Le monde physique dans lequel nous vivons, l’univers que nous observons objectivement autour de nous : tout cela n’est qu’une faible partie d’un système de mondes si vaste que l’esprit humain ne saurait le concevoir ».

Ma lecture achevée, je ne parvenais pas à me résigner : « Vais-je maintenant simplement ranger ce livre dans ma bibliothèque comme un livre de plus parmi tous ceux que j’ai lus ? ».

Ne voulant plus me défaire de ce livre, je pris une initiative toute personnelle à ce stade et je décidai de le traduire en français. Jour après jour pendant un an, je me levai à 5 heures du matin et dégustais chaque phrase que je traduisais.

Je n’avais pas encore d’idée précise si cette traduction serait un jour publiée, mais je formulais déjà une prière : si ce livre devait être un jour édité, plût à D-ieu qu’il puisse provoquer un réveil spirituel, un appel à la téchouva ne serait-ce que chez un seul juif…

Un an après, je devais rencontrer à nouveau le Rav Steinsaltz et je lui remis le manuscrit complet de ma traduction. Il s’en réjouit et me promit de le remettre au rabbin Josy Eisenberg qui le relirait et se servirait du manuscrit en hébreu (le livre en hébreu ne sortira que plusieurs années plus tard) avant de se charger de l’édition. Et c’est ainsi qu’en mai 1989, le livre fut publié aux éditions Albin Michel sous le nom de La Rose aux treize pétales. Depuis lors, je n’ai plus cessé de traduire, avec toujours la même passion, des ouvrages du Rav Steinsaltz. Au moment où j’écris ces lignes, grâce à D-ieu, j’attends avec impatience la sortie de ma dixième traduction Laisse mon Peuple apprendre. Je m’en étais d’ailleurs entretenu avec le rabbin Josy Eisenberg quelque trois semaines avant sa disparition afin d’envisager de lui consacrer une émission de La Source de vie…

Jérusalem, Février 2007 : Un peu plus de vingt ans après avoir entamé ma traduction de La Rose aux treize pétales. Ce Chabbat, nous recevons un couple qui habite à Paris et qui se trouve de passage à Jérusalem.

Le mari, Yossef D., très rapidement, s’intéresse à ma bibliothèque. Brusquement, il sort l’un des nombreux livres et s’approche de moi. Je constate qu’il tient dans ses mains La Rose aux treize pétales ! Et de s’adresser à moi : « Sais-tu que c’est après la lecture de ce livre que j’ai commencé mon processus de téchouva ? ».

Mais ce récit, déjà à son comble, ne s’arrête pas là. Comme souvent, lorsque des juifs font connaissance les uns envers les autres, nous nous interrogeons : « Qui sont tes parents, et qui sont tes grands-parents ? ».

C’est alors que Yossef me raconte qu’il est né à Montpellier et que son grand-père, dans les années 60-70 était le Chamach de la petite synagogue !… Il ne nous reste plus qu’à nous embrasser, étreints d’émotion.

Jérusalem, Décembre 2017 : Yossef, de passage à Jérusalem, passe Chabbat à nouveau chez nous. Il me confie avoir souvent raconté « notre histoire », y compris au Rav Moulay Azimov qui pensait qu’il fallait publier ce récit. Ce qui m’a sans doute encouragé à écrire ces lignes. À la sortie du Chabbat, comme pour confirmer que le hasard n’existe pas, nous regardons de manière impromptue une vidéo du Rabbi de Loubavitch qui affirme, en substance : « D-ieu donne parfois à une personne le talent d’écrire un livre et lui permet de trouver quelqu’un qui aidera à sa publication. Quel que soit l’aspect extérieur de ce livre, son intime message doit être tel que le lecteur prenne conscience que D-ieu dirige le monde et s’intéresse à ce que chaque Juif vive en accord avec ce que le judaïsme exige de lui. »

Montréal, Novembre 2018 : Une fois de plus, en voyage professionnel pour une réunion à l’Organisation Internationale de l’Aviation Civile afin de participer à la mise à jour de la Convention internationale de Chicago et son adaptation aux drones civils. Or, comme cela se produit souvent, une surprise m’attend qui octroie à ce voyage sa dimension profonde. Le Chabbat qui suit, je suis en effet invité chez mon petit cousin, Rav Daniel Cohen (nos deux arrières grand-mères sont les filles de notre célèbre aïeul de Constantine Rabbi Elyahou Bahi Allouche monté à Jérusalem à la fin du XIXe siècle). À table, à mes côtés, un couple d’invités, la soixantaine, lui avec un chapeau et une grande barbe, elle, la tête couverte. Au fil de la conversation, j’en viens à raconter l’histoire de La rose aux treize pétales qui n’en finit pas de fleurir, consignée dans les paragraphes précédents. Au moment de conclure, mon voisin de table me prend par le bras, enlève ses lunettes et me déclare avec un fort accent français canadien : « Regardez mes yeux, ils sont tous mouillés…Vous devez savoir que La rose aux treize pétales n’a pas seulement aidé au moins un Juif à faire téchouva. C’est ce même livre qui m’a poussé, avec mon épouse, vers la conversion ! ».

Il se trouve que Shaoul – c’est le prénom juif que ce converti a choisi – appartient à la famille Riel, famille de métis amérindiens, célèbre au Canada en raison de la révolte organisée il y a cent cinquante ans par Louis-David Riel afin de défendre les droits bafoués de sa tribu auprès du gouvernement canadien. Né à Montréal, il avait déjà rencontré des Juifs dans sa jeunesse et éprouvait un certain attrait. Puis, à l’âge de 20 ans, il décide de retourner dans sa tribu, de laisser pousser ses nattes et d’apprendre des Anciens leur philosophie. Certains vont jusqu’à prétendre qu’ils feraient partie des dix tribus perdues…Il y a quelque trois ans, il décide à nouveau de s’intéresser au judaïsme. Il recherche alors sur Internet des livres ayant trait au judaïsme et tombe, entre autres, par « hasard », s’il en est, sur La rose aux treize pétales.

Après l’avoir lu, il décide de couper ses nattes, de mettre une Kipa et d’initier sa conversion au judaïsme ! Il prend alors contact, au travers d’un autre « hasard » qui ne l’est point, avec mon cousin le Rav Daniel Cohen…

Certes, le Rav Adin Éven-Israël Steinsaltz a souvent raconté les merveilles que son livre, traduit dans de nombreuses autres langues, a pu accomplir chez de nombreux Juifs, en évoquant des réveils qu’il a pu provoquer en eux, semblables à celui que Yossef et Shaoul ont connus. C’est ainsi qu’il écrit dans le dernier ouvrage paru en français aux Éditions du Cerf Laisse mon peuple apprendre :

« Je ne sais pas bien sûr si le livre atteindra la réussite. Mais, au fond, ce que je recherche avant tout, c’est qu’il puisse avoir un impact sur le lecteur : lorsque cela se produit, c’est là, en fait, le meilleur compliment dont je puisse être gratifié. Ainsi, un certain Juif, éloigné de tout intérêt et de toute pratique religieuse, a un jour emprunté, tout-à-fait par hasard, l’un de mes livres, La Rose aux treize pétales. Après l’avoir lu, il déclara avoir découvert que le judaïsme contient des trésors n’existant nulle part ailleurs ; il décida alors de monter en Israël et d’y vivre pleinement son judaïsme. Une autre fois, ce fut un médecin dont la fille souffrait d’autisme ; en désespoir de cause, il l’avait confiée à une institution. Après avoir lu mon livre dix-sept fois, il décida de la reprendre à la maison et de s’en occuper. Quelques années plus tard, sa fille est revenue à une vie normale. C’est ce qui m’importe lorsque j’écris un livre : réussir, ne serait-ce qu’un tant soit peu, à changer la vie de quelqu’un. »

Ces récits évoqués plus haut, me semble-t-il, possèdent une dimension supplémentaire : n’apportent-t-il pas une preuve de plus, s’il en fallait, que seule la Providence Divine agit, parfois en secret, afin de relier les événements entre eux, et, en même temps, les personnes, les âmes qu’elle oriente, afin de leur insuffler un sens profond à leur vie, à leur mission sur terre, et ce, quels que soient le temps et la distance qui les séparent ?

Michel Allouche, Jérusalem

lphbdinfo

mickaty@gmail.com

Ce texte à la mémoire du rabbin Josy Eisenberg, de mémoire bénie, à qui je souhaite ici exprimer ma reconnaissance, à l’instar sans doute de nombreux autre Juifs. Pendant toute mon enfance et toute mon adolescence à La Flèche dans la Sarthe, son émission La Source de vie fut pour moi, comme pour beaucoup  d’autres « Juifs isolés » en France, mon seul contact avec le Judaïsme et en quelque sorte mon Talmud Torah. Plusieurs années plus tard, j’ai eu l’immense mérite de co-traduire avec lui un des plus beaux livres du Rav Adin Steinsaltz, « La Rose aux treize pétales ». Ce livre, dont il est question dans le texte ci-dessous, a été publié grâce à lui également aux Éditions Albin Michel pour la première fois en Mai 1989 et été tiré depuis à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires.

Ce texte est une mise à jour du texte publié alors pour les chlochim et se trouve enrichi d’autres anecdotes récentes  attestant bien que ”La rose aux treize pétales” n’en finit pas de fleurir.

Michel Allouche, Jérusalem – mickaty@gmail.com

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