Si l’on s’en tient au seul taux de croissance du PIB, l’économie tunisienne se porterait bien : après 1 % de progression en 2016, 2017 s’achève avec une croissance de 1,9 %, et le Fonds monétaire international (FMI) prévoit 2,4 % pour 2018.
Et pourtant, le 13 avril dernier, le FMI a déclaré que l’économie tunisienne est marquée par des « tendances opposées ». C’est le moins qu’on puisse dire !
Cette amélioration conjoncturelle tient à une bonne saison agricole et à une reprise du tourisme après les années difficiles 2015-2016 ; les recettes touristiques reprennent tout doucement, avec plus de 220 M€ attendus pour 2018, contre 200 en 2017, mais on est loin des 400 de 2010.
Cela va être laborieux car les efforts faits pour attirer les touristes, principalement en matière de prix, ont dévalorisé et fragilisé la filière.
Le professeur Hachemi ALAYA note, dans sa lettre Ecoweek, que « …le tourisme de masse tunisien est en voie de clochardisation. Un phénomène qui ne peut qu’accentuer la dégradation de la qualité du tourisme tunisien. »
Un des points faibles de la situation économique est l’inflation ; elle a augmenté de 4,2 % en 2016 à 6,4 % en 2017, ce qui entraine une baisse du pouvoir d’achat, une exacerbation des revendications salariales, et une multiplication des mouvements sociaux.
Cela explique les augmentations des salaires dans le secteur privé non agricole de 6,2 % en 2016 et 6,6 % en 2017
Avec un dérapage à 7,6 % au cours des derniers mois, la situation risque de ne pas se stabiliser, ce qui ne contrariera pas la spirale négative de l’inflation par les salaires.
Cela entraîne une augmentation de la pauvreté et des populations vulnérables, d’autant que le chômage officiel dépasse les 15 %.
Le pays connait une accentuation de la fracture sociale et une fragilisation de la classe moyenne qui avait été le principal acquis des « quarante glorieuses » 1970-2010, et qui avait constitué le socle du régime et le fer de lance de la révolution.
Pour amortir le choc de la dépréciation monétaire, les autorités recourent aux méthodes traditionnelles :
  • L’augmentation des salaires publiques qui alimente l’inflation ainsi que le ressentiment des populations exposées à la concurrence ou des laisser pour compte
  • L’attribution de subventions notamment énergétiques qualifiées d’« injustes » par le FMI, mais qu’il est difficile de remettre en cause eu égard la remontée des cours du pétrole
Depuis 2011, la Tunisie est confrontée aux déficits jumeaux :
  • Un déficit courant de 8,8 % du PIB en 2016, 10,1 en 2017
  • Un déficit public de 5,9 % du PIB en 2016, 6 en 2017
  • Sans compter les déficits des comptes sociaux, et notamment des régimes de retraite qui devraient conduire à un relèvement de l’âge de la retraite.
Il en résulte une explosion de la dette publique, tant intérieure qu’extérieure qui représente respectivement 70 et 80 % du PIB, des pourcentages qui ont doublé en 8 ans.
Pour contrer l’inflation, le FMI préconise une hausse des taux d’intérêt, ce qui serait préjudiciable à l’investissement déjà en panne.
Il y a deux ans, le 15 mars 2016, j’écrivais : « Depuis 2011, l’anémie de l’investissement, -12,6 % en 2011, -3,8 % en 2013 et +1,2 % en 2014 constitue le signe le plus tangible de la défiance des investisseurs locaux et étrangers, ainsi que le frein le plus caractéristique au redémarrage durable de la croissance.
Ce handicap risque de perdurer à cause de l’insécurité ambiante, mais également du fait de la multiplication des mouvements sociaux qui entraîne une agitation sociale larvée. »
Deux ans plus tard, cette situation ne s’est pas améliorée, elle s’est aggravée surtout depuis le début de l’année 2018.
Tout cela se retrouve dans le taux de change qui n’a cessé de baisser depuis la révolution. Et cela ne risque pas de s’arrêter, le FMI préconise que le change soit plus flexible pour favoriser les exportations et conforter les entrées de devises.
Comment pourrait-il en être autrement alors que les réserves de change sont bien en deçà du seuil minimal de 90 jours ? Comment pourrait-il en être autrement avec un tel niveau d’inflation ? Engagé dans une spirale d’inflation/dépréciation du change, le pays connait un appauvrissement lent mais régulier.
Tout cela se retrouve dans la notation du pays par les agences internationales. Les notes sont très différentes, B+, B1, B2, Ba3, BB-…et surtout C attribuée par la COFACE qui considère le risque pays élevé.
La lente dégradation économique se manifeste notamment avec :
  • L’absence de créations d’entreprises
  • Le développement de l’emploi informel estimé par l’Organisation internationale du travail (OIT) à près de 60 % de l’emploi total.
Cela ne facilite la stabilisation politique. L’instabilité gouvernementale, les difficultés du parti présidentiel, l’influence croissante des islamistes, la perpétuation de pratiques qui avaient conduit à la révolution…Ce mélange détonant de la régression économique et d’une interminable transition démocratique fait de la Tunisie le maillon faible du monde arabe et du Maghreb.
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Dov ZERAH
Né le  à Tunis (Tunisie), a occupé le poste de directeur général de l’Agence française de développement (AFD) du 2 juin 2010 au 29 mai 2013. Il était également président de Proparco, filiale de l’AFD spécialisée dans le financement du secteur privé ; censeur d’OSEO.

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Jg

Le grand probleme ce sont les tunisiens , mais rassurez vous , ils viendront plus nombreux en france !

BENY

La Solution ?
Mr Caïd Esebsi et Dov Zerah …
Vous La connaissez ?
Ouvrir la Tunisie aux Tunisiens qui y sont nés et qui ont brillamment réussi En Europe En Amérique du Nord et du Sud y compris et surtout les Tuniso-Israéliens , les Maroco- Israéliens et les laisser booster l’économie du Pays , les associer PUBLUQUEMENT aux ministères du Tourisme de l’Economie et De La recherche scientifique
Vous verrez l’onde de choc que cela créera dans le Monde des affaires

Mais aucune article de presse ni d’économiste ni de politique droit dans son costume 3 pièces ne changera durablement les choses

Ben Alibetait une super star un monstre des business tous azimut ( Il s’en servait personnellement bien sûr) mais beaucoup de partenaires économiques avaient confiance ….