À la veille du sommet européen de jeudi, le Premier ministre grec, Alexis Tsipras, rencontrera la chancelière allemande, Angela Merkel. Un face à face qui risque d’être tendu : les relations entre les deux pays sont émaillées, depuis plusieurs mois, par d’importants désaccords centrés autour de la dette de l’État grec. Une solution doit impérativement être trouvée pour que la Grèce ne tombe pas en faillite, l’actuel programme d’aide s’achevant le 28 février. Or, la volonté affichée du nouveau gouvernement grec, entre autres, de réclamer des indemnités de guerre à l’Allemagne, ne fait rien pour apaiser ces tensions.

Si une solution n’est pas trouvée au sein de l’Eurogroupe, la Grèce risque de tomber à court de financement dès le mois de mars. Une rencontre qui s’avère périlleuse, surtout depuis cette annonce du Premier ministre grec, Alexis Tsipras. Est-il en mesure de réclamer cette dette ?

Pour Pierre D’Argent, professeur de droit international et européen de l’UCL, « que la Grèce réclame à l’Allemagne sa dette de guerre, c’est jouer avec le feu, c’est même totalement irresponsable« . Et le spécialiste pèse ses mots.

Rappel historique : au lendemain de la Seconde guerre mondiale, il a été convenu que l’Allemagne s’engage dans une série de « réparations de guerre, de dédommagements. » Des réparations légitimes, car, « du point de vue du droit international, l’État ‘agresseur’ doit réparer les dommages. Ce que l’Allemagne n’a jamais cessé de faire« .

La dette allemande au sortir de la Seconde guerre mondiale

L’historique de ces dédommagements est assez compliqué à expliquer, car « il n’y a pas eu de règlement global« , explique-t-il. On peut cependant les classer en trois catégories : « Les dédommagements d’ordre industriel : pour y pallier, les puissances victorieuses ont saisis des biens industriels allemands, tels que des navires de guerre, et les ont répartis entre eux.« 

Cependant, cette politique a fortement endommagé les relations entre l’Allemagne de l’Est et Allemagne de l’Ouest, car « c’est à l’ouest que se trouvaient les biens industriels. Or, si les alliés continuaient à démanteler les industries de ce côté de l’Allemagne, la population, déjà à genoux, allait commencer à mourir de faim et à être tentée de se tourner vers l’est. » Chose impensable pour les Occidentaux en temps de Guerre froide. Ce type de dédommagement est donc stoppé en 1948-49.

Le deuxième type de dédommagement concerne « les réparations pour les persécutions nazies. » Des réparations qui concernent entre autres l’indemnisation des juifs : « L’Allemagne s’est engagée via des accords internationaux à indemniser les persécutés. Un accord a notamment été conclu avec Israël où l’Allemagne a consenti à verser des fonds au pays pour accueillir les juifs. » L’Allemagne s’est également engagée à indemniser les victimes à l’intérieur du pays via un ensemble de législations internes. 

Le troisième volet de dédommagement concerne « des sommes forfaitaires que l’Allemagne s’est engagée à payer aux États comme la Grèce, les Pays-Bas, la Pologne, la Belgique, suite à l’occupation.« 

Le traité de Moscou, ou l’argument historique

Il y a cependant eu une clause à ces paiements : « Une clause de renonciation à toutes réparations supplémentaires. À Londres, en 1953, il a été décidé de postposer le règlement global des réparations allemandes jusqu’à la réunification de l’Allemagne. » Or, lors de la réunification de celle-ci en 1990, « le traité de Moscou, n’a rien stipulé au sujet de ces réparations. L’Allemagne est redevenue souveraine et unifiée et la Cour constitutionnelle allemande a considéré ce sujet comme étant clos.« 

L’Allemagne a donc actuellement des arguments historiques pour contrer la réclamation de cette dette de guerre par la Grèce. « Le problème que l’on pourrait éventuellement poser ici est que ce sont les quatre grandes puissances alliées qui ont décidé de clore ce sujet au nom des petites puissances. Mais avaient-elles le droit de le faire ?« 

L’esprit de l’Union européenne mis à mal

De l’avis du spécialiste, il est important de remettre les choses en perspective : « La Grèce soulève cette revendication simplement car elle est au pied du mur, alors qu’elle ne l’a pas fait ces cinquante dernières années. » Une revendication qu’il juge incompatible avec l’esprit même de l’Union européenne. Un esprit que les États ne cessent d’essayer de construire au lendemain de la Seconde guerre mondiale. « Cette réclamation n’intervient que pour envenimer les choses, pour mettre l’Allemagne mal à l’aise. De mon point de vue, c’est une instrumentalisation du droit international. Comment voulez-vous que l’Allemagne répare tout ? C’est colossal et impossible. À un moment il faut tirer un trait sur ce passé douloureux.« 

Il rajoute que l’Allemagne, au sortir de la seconde guerre, « a fait un effort financier énorme, légitime certes mais qu’aucun autre pays dans le monde n’avait fait auparavant.« 

Tensions entre États

« Ce que je crains avec ce genre de réclamation, c’est bien sur qu’elle s’étende à d’autres pays à tendance populiste. Ça pourrait être le cas de la Pologne, des Pays-Bas, de l’Ukraine et même de la Belgique. Mais encore une fois, ce sont des questions incompatibles avec la nature des relations que l’Union européenne ne cesse d’essayer d’entretenir et de construire avec les États. Des relations basées sur un avenir commun.« 

Pour Pierre D’Argent, c’est une totale régression : « À ce moment-là, pourquoi la Belgique ne demanderait-elle pas des réparations financières à la Rome antique ?« 

De plus, « Alexis Tsipras ne semble pas réfléchir aux conséquences d’une telle demande. Si la Grèce réclame ouvertement cette dette, cela signifierait qu’à terme, l’Allemagne, principal donateur du plan de sauvetage à la Grèce, stopperait directement ses versements.« 

A. Glaudot – rtbf

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