Juifs d’Alsace et de Lorraine par Freddy Raphaël (Albin Michel)

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Nul mieux que le doyen Freddy Raphaël n’aurait été à même d’écrire une si belle synthèse de l’histoire de ces communautés juives de l’Est de la France dont le destin a profondément marqué la communauté juive de tout l’Hexagone.

Dans un style élégant et sobre, puisant aux meilleures sources, l’auteur retrace les grands moments de ces juifs alsaciens et lorrains qui se firent un devoir de maintenir en vie leurs belles traditions.

On remarquera cette belle formule en judéo-alsacien : Chez nous, c’est la coutume (minhag en hébreu). On peut dire que jusqu’au XVIII-XIXe siècles, et même bien au-delà, ces deux territoires au destin si chaotique et parfois même tragique, ont constitué un bastion inexpugnable de la tradition juive.

Ce n’est pas sans une certaine émotion que le lecteur, même non-germaniste ou non-yiddish phone, prendra connaissance de ces proverbes en judéo-alsacien que l’auteur eut la bonne idée d’insérer dans ses développements.

Nous tenons là l’expression populaire, authentique d’un petit peuple jadis constitué d’humbles colporteurs ou marchands de grains ou de bestiaux. Ce judaïsme n’a pas manqué de résister à l’esprit de l’Aufklärung, sans en rejeter ce qui lui paraissait bon et profitable au judaïsme.

On ne reviendra pas sur l’action à la fois prudente et subtile du rabbin Sinzheim lors des débats du Grand Sanhédrin, convoqué en 1807 par Napoléon.

Ce guide spirituel, issu de ces mêmes régions, a été à la hauteur d’une situation historique car elle engageait l’avenir du judaïsme dans son ensemble. Président de ce congrès, le rabbin a su préserver l’essentiel tout en cédant sur des points jugés secondaires.

On ne reviendra pas sur les origines de ce judaïsme né dans deux provinces qui furent l’enjeu de sanglantes batailles entre la France et l’Allemagne, d’abord impériale et ensuite nazie.

Il dut subir les accusations classiques articulées contre la plupart des communautés juives d’Europe : meurtre rituel, d’un part, et pratique de l’usure, d’autre part.

A Strasbourg même, qui finit par s’imposer par rapport à Metz où, pourtant, se trouvait l’école rabbinique avant son transfert à Paris au milieu du XIXe siècle, il existe toujours ce petit pont des juifs que ces derniers traversaient à la nuit tombée car ils n’étaient pas autorisés à coucher dans la capitale alsacienne.

On ne reviendra pas sur les impôts et les vêtements dégradants, signalant à l’entourage la prétendue bassesse de ce peuple honni…

L’annexion des deux provinces après la défaite de 1870 a placé les populations juives devant un grave dilemme : fallait il rester sur place et faire bonne figure à l’occupant germanique ou opter, c’est-à-dire se retirer vers l’intérieur de la France.

Un nombre non négligeable a opté et a maintenu sa fidélité aux valeurs de la République.

Des associations ont même été créées afin de maintenir en vie le désir de retour en Alsace-Moselle ; on y entretenait le souvenir des provinces perdues, on y chantait des chants patriotiques et on entretenait ainsi le lien avec le territoire tombé dans l’escarcelle de l’ennemi.

Les Allemands ont octroyé aux populations juives de ces deux provinces des droits nouveaux et plus étendus que ceux dont ils bénéficiaient précédemment.

Mais l’amour de la France, terre d’accueil et de tolérance, en dépit de régulières flambées d’antisémitisme, prévalait aux yeux de tout ce petit peuple venu d’Europe centrale et orientale, ou simplement de l’autre rive du Rhin, et auquel on avait enseigné que la France était le pays où se réalisait les prophéties des visionnaires bibliques.

Mais cette coexistence ne fut pas toujours harmonieuse. L’auteur le montre bien dans la partie consacrée à l’entre-deux-guerres. L’antisémitisme y fut très vivace, surtout à l’approche de la guerre imputée aux juifs qui, selon le délire antisémite, envisageaient de prendre le contrôle de la vie sociale. Une certaine élite, notamment religieuse ou universitaire, ne manqua pas de manifester sa solidarité avec des concitoyens persécutés.

Mais pendant de nombreux siècles, ce sont ces deux provinces qui fournirent à Paris et aux autres régions de France, de solides érudits rabbiniques qui formèrent des générations entières de juifs français A Strasbourg, on parlait de la HSP (Haute société protestante), on peut y ajouter la HER (Haute érudition rabbinique).

Certes, la réforme et le libéralisme, si féconds et si répandus outre-Rhin, n’ont pas pu prendre pied en Alsace tant l’attachement à l’orthodoxie était fort. Mais il y eut tout de même des représentants de la science du judaïsme qui se distinguèrent par leur grand savoir et leurs nominations au Collège de France.

Mais toutes ces choses ne se passaient pas nécessairement dans le domaine de la culture. L’époque était des plus incertaines et F. Raphaël a bien fait de souligner l’influence des mouvements juifs de jeunesse qui se mirent à l’école de grands maîtres locaux pour comprendre pourquoi ils étaient juifs et en quoi consistait l’essence du judaïsme.

Cette fière jeunesse, devenue consciente de sa force et se sachant porteuse d’avenir, a vivement réagi aux propos inconsidérés du grand rabbin Julien Weill, prenant ses distances avec les réfugiés juifs d’Allemagne, auxquels il ne se sentait pas tenu ( !) d’apporter la moindre aide… Les mouvements de jeunesse jugèrent inacceptables de tels propos et le firent savoir.

Il faut aussi dire un mot de l’attitude des rabbins locaux à l’égard du sionisme. Il n’est pas question de discerner blâmes ou satisfécits, car nous autres, nous connaissons the end of the story…

Comme ailleurs, en France ou dans d’autres pays d’Europe, le sionisme eut des partisans mais il eut aussi des adversaires.

Mais la montée des périls plaidait en faveur de ceux qui voulaient promouvoir l’idée nationale : dans son prêche, un rabbin alsacien eut le courage de dire que dans la terre ancestrale, les juifs redeviendraient des hommes…

C’est que les adversaires du sionisme étaient tout de même préoccupés par une simple question : en disant qu’ils faisaient partie d’un autre peuple, d’une autre nation, les Juifs pouvaient se voir contester, voire retirer leurs droits civiques, acquis de haute lutte.

En d’autres termes, des autorités peu suspectes de sympathie envers les Juifs pouvaient se réclamer de l’idéologie sioniste et bouter les Juifs hors du pays… Progressivement, l’idéologie sioniste finit par s’imposer ; et nous en voulons pour preuve le départ pour Israël de la quasi totalité de l’intelligentsia strasbourgeoise après la Guerre des six jours.

Ce judaïsme d’Alsace-Moselle a servi de matrice féconde au reste de l’Hexagyne. Mais il a fait bien plus en devenant une terre d’accueil, un havre de paix pour tant de juifs séfarades, contraints de quitter les pays d’Afrique du Nord.

Leurs frères ashkénazes se sont mobilisés pour les accueillir et subvenir à tous leurs besoins : ce sont des choses inoubliables. Certes, l’Alsace juive, la Lorraine juive ne seront plus ce qu’elles furent, au temps où s’épanouissait une véritable judaïsme rural qui était bien enraciné dans le contexte local.

Pourtant, cette terre concordataire reste encore préservée d’actes racistes ou antisémites, bien que dans certains cercles le fanatisme anti-juif est toujours à l’œuvre.

Mais comme le dit l’auteur, nous fixons un horizon d’attente dans l’espoir que notre avenir sera meilleur que notre passé. Un excellent ouvrage qui se lit fort agréablement.

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

 

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