Jérusalem d’une époque à l’autre (II)

A propos du livre de Joseph Croitoru, Esplanade des mosquées ou mont du Temple… (Munich, Beck, 2021)

par Maurice-Ruben HAYOUN

Al-Aqsa oder Tempelberg | Croitoru, Joseph | Hardcover

Bien qu’il ait eu une réponse assez évasive, Weizmann va en référer à Lord Balfour lui-même pour favoriser l’achat de ces terrains ; mais le projet n’ira pas plus loin car les conseillers locaux du ministre lui renommèrent la prudence en raison de la réaction du camp arabe. Pourtant, la coquette somme de 75000 livres était proposée pour l’acquisition de ce lotissement.
Ce même camp arabe fit des pieds et des mains pour être reçu par le comité préparant le traité de paix à la fin de la Grande Guerre. Il est intéressant de voir comment ces représentants comprennent l’histoire juive : ils présentent les juifs comme une peuplade issue des rives du Nil où elle aurait séjourné 400ans alors que les Arabes, eux, n’ont jamais quitté le territoire tant convoité. Après les avatars de l’histoire juive, les enfants d’Israël furent de nouveau chassés par leurs ennemis qui détruisirent deux fois leur sanctuaire. Enfin, depuis deux millénaires, ils sont une population errante alors que les Arabes, eux, n’ont jamais quitté le territoire…
Toutes les tentatives de calmer les craintes des Arabes échouèrent et certaines légendes se mirent à circuler concernant l’accaparement des lieux saints par les sionistes. Il y eut aussi de graves troubles à partir de 1920 accompagnés d’ appels à la population arabe l’incitant à ne pas rester inerte face à des tentatives répétées de les chasser de chez eux et d’occuper leurs demeures…
Depuis le début des années vingt, la situation était très tendue entre les Arabes et les sionistes, les premiers accusant les seconds de vouloir faire main basse sur tout le territoire de la Palestine mandataire, et principalement de monopoliser le mont du temple que les musulmans nomment al-Haram al-Sharif, l’esplanade des mosquées. L’élection d’un nouvel grand mufti n’arrangea pas les choses et le nouvel élu Hadj Amin al-Husseini se révéla être un adversaire des plus coriaces. Pour donner un exemple de la brutalité de la confrontation et de la tension entre les deux communautés, il convient de rappeler que les Arabes lapidaient parfois les orants juifs auprès du mur, un samedi matin ou un jour du 9 av (jour anniversaire de la destruction des deux temples).
Un jour de Kippour de l’année 1928, la police britannique interrompit violemment le service religieux et retira brutalement les chaises et les bancs des fidèles, dans le seul but de complaire aux plaintes du grand mufti Qui attisait la haine. Il faut reconnaître que vers 1935, en raison de l’instabilité politique croissante en Europe, la population juive était passée à quatre cent mille membres alors que la population arabes avoisinait le million. Ces chiffres étaient incontestables et le grand mufti déployait une intense activité en vue de stopper cette vague d’immigration. Un point mérite d’être souligné, c’est l’interdiction (peu suivie) faite aux Arabes de ne jamais vendre la moindre parcelle de terrain aux juifs ; c’était considéré comme une trahison passible de la peine de mort. A Jérusalem, cette règle continue d’être en vigueur aujourd’hui .
Désormais, eu égard au rapport des forces en présence, plus aucune voie pacifique n’était possible. L’inévitable confrontation devait s’ensuivre. C’est ainsi que naquit une section du Kotel (mur occidental) dont le but fut d’assurer la sécurité des visiteurs du lieu saint. Il s’agissait de jeunes gens acquis à la cause sioniste et désireux de marquer leur attachement au seul vestige encore visible dans le pays de l’ancien Israël. Voici une citation qui renseigne sur leur mission : Le Kotel est à la fois un vestige du second Temple dont les fondations devant servir à l’érection du troisième.
Cette mention ne laisse pas d’être intéressante, elle prouve que tous les partis de la culture juive, les religieux, les laïcs, les orthodoxes, les ultra orthodoxes, tous ces mouvement intégrèrent dans leur programme et dans leurs objectifs le mur occidental comme emblème de leur combat pour une renaissance juive, un retour à la vie nationale sur le sol ancestral. Le Kotel devenait l’affaire de tous. Que ce soit les membres du Bethar ou des Bné Aqiba tous se rendaient sur ce lieu au cours de leurs cérémonies, y compris des défilés militaires. Et au cours de la Seconde Guerre mondiale, les juifs de Palestine étaient fiers d’accueillir au Kotel des soldats juifs de l’armée britannique.
Le grand mufti, même dans son exil berlinois, ne mit pas fin à ses activités de propagande ; en Europe occupée, il proposa d’enrôler une légion musulmane aux côtés des Nationaux-socialistes qui ne lui faisaient pas vraiment confiance. La chute du IIIe Reich le jeta sur les chemins d’un nouvel exil lorsqu’il fut arrêté par les troupes françaises qui le renvoyèrent à Paris où le gouvernement l’installa dans une villa de l’île de France. Sa demande d’asile en Suisse fut refusée et il décida de sen rendre au Caire qui, en ce temps là, exerçait sa souveraineté sur Gaza. Mais là aussi, les Égyptiens ne lui firent que très modérément confiance. Se sentant épié et étroitement contrôlé, al-Husseini se rendit à Beyrouth où la mort le surprit. Mais auparavant il y eut des discussions entre lui et le roi Hussein de Jordanie visant à rétablir le grand mufti dans sa résidence à Jérusalem, désormais divisée entre juifs et Arabes. La guerre des six-jours a tout remis en question puisque le rôle de la Jordanie en tant que gardienne des lieux saints a duré moins de vingt ans (de 1948 à 1967) : dès juin 67 Israël avait récupéré ses droits sur le mont du temple.
Mais la Jordanie allait vite perdre sa souveraineté sur la vieille ville de Jérusalem où se trouvaient les lieux saints. Et par delà les prouesses militaires exceptionnelles de l’armée israélienne, la conquête de la ville dans sa totalité allait opposer l’activisme messianique à une analyse politique saine et froide de la situation. Devait-on croire que l’heure du Messie avait sonné ? Ou devait-on, au contraire, gérer la situation au plan politique et dans le droit fil des relations internationales ? C’est heureusement la seconde solution qui a prévalu. Mais il faut rappeler qu’aux premiers jours de la guerre le ministre de la défense Moshé Dayan n’était pas partisan de lancer une offensive sur la vielle ville… Il fallut une pression massive de la majorité du gouvernement pour qu’il donne enfin l’ordre à une brigade de parachutistes de conquérir la partie orientale de la cité du roi David…
Cette réappropriation juive des lieux saints de Jérusalem, la ville la plus sainte de toute l’histoire du judaïsme, ne recelait pas que de bonnes nouvelles pour le gouvernement israélien, tenu comme tous les états de la terre, de respecter une certaine légalité internationale. Les activistes juifs qui cédaient au vertige messianique ne l’entendaient pas de cette oreille. Pour les plus extrémistes, il convenait purement et simplement de raser les lieux, sans considération aucune pour les autres cultes, notamment musulman. Le gouvernement ne pouvait pas avaliser une telle attitude et ne fit un devoir de réprimer toute tentative de porter atteinte aux mosquées du lieu. Ce qui n’empêcha pas plusieurs attaques (notamment des incendies) contre la mosquée d’al-Aqsa… Mis à part quelques fanatiques qui croyaient enfin arrivée l’époque messianique, l’opinion publique d’Israël jugeait très sévèrement ces attentats. Les pays arabes portèrent l’affaire devant les instances internationales qui condamnèrent Israël et voulurent lui retirer la souveraineté sur les lieux saints de l’islam.
La question n’était pas simple. Devant les revendications arabes qui exigeaient de contrôler l’ensemble du mont du temple ou esplanade des mosquées, les juifs étaient très mal partagés puisqu’ils étaient les seuls à ne pas avoir le droit de prier sur le mont du temple. Il fallut organiser de longues et fastidieuses négociations pour que les droits des uns et des autres –et ce n’était pas simple- fussent vraiment respectés et reconnus..
Aux yeux de certains, et notamment aux yeux de l’auteur de ce grand livre sur Jérusalem et ses lieux saints, c’est principalement le statut de la mosquée al-Aksa qui constitue un obstacle sur la voie de la paix. Il est intéressant de relever que des deux côtés, l’argument religieux compte. On a vu que l’apparition du mouvement du Hamas , le rival de l’OLP, a contribué à placer l’image de cette mosquée sur le drapeau de ce mouvement qui nie l’existence de l’Etat d’Israël… Cette mosquée est devenu un enjeu inter palestinien, les deux partis se fixant pour objectif sa libération. Là où l’OLP revendique la partie orientale de la ville comme capitale de son futur état, le Hamas parle de la revendication de la ville dans son entièreté.
Aucun parti ne peut aisément se départir de la souche religieuse qui détermine, au fond, absolument tout, dans ce conflit qui perdure. Certes, il y a un indéniable aspect qui touche au nationalisme mais le noyau insécable, l’essence même de cette affaire est de nature religieuse. Jérusalem a été ravie aux juifs dont elle était le cœur du foyer national, durant 1897 ans… Comme le disait Ben Gourion Israël sans Jérusalem n’a pas beaucoup de valeur…

Maurice-Ruben HAYOUN

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève.  Son dernier ouvrage: La pratique religieuse juive, Éditions Geuthner, Paris / Beyrouth 2020 Regard de la tradition juive sur le monde. Genève, Slatkine, 2020

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