L’émergence du Dieu de la Bible: Histoire de Yahvé par Ron Naiweld (Fayard).

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Voici un ouvrage riche de judicieux aperçus mais aussi contestable sur certains points. Sa lecture n’en demeure pas moins rafraîchissante.

Car c’est à une véritable déconstruction du récit biblique, chaque fois qu’il contient une occurrence de certains noms de la divinité, que se livre ce chercheur, spécialiste du judaïsme antique.

A la suite de tant d’autres qui l’ont précédé, il prend pour point de départ, la fameuse alternance nominale ou fluidité terminologique, séparant dès les premières lignes de la Genèse, l’appellation Elohim du Tétragramme que la tradition religieuse juive interdit de prononcer et qui est généralement remplacé par le terme signifiant seigneur ou maître, Adonaï.

La recherche scientifique, la critique biblique ne peut pas se satisfaire de la solution apologétique proposée par l’exégèse midrashique laquelle ne reprend pas à son compte l’hypothèse documentaire.

A savoir, le texte du Pentateuque, tel que nous le connaissons, serait le résultat de la fusion de maints documents que les scripteurs auraient amalgamé et fait fusionner pour donner aux adeptes de la religion d’Israël le récit monothéiste que nous connaissons.

Cette même question monothéiste ne laisse pas d’intriguer, même le commun des mortels semble la considérer comme une évidence, alors que nous avons vraiment à faire à deux entités divines distinctes.

Ce livre le montre bien : c’est très progressivement que le Yhwh de la Bible hébraïque a, en quelque sorte, triomphé de l’Elohim, lequel n’a pas disparu sans laisser des traces. Loin de là.

Le mode de lecture biblique de cet ouvrage n’est pas inintéressant, il montre que le Dieu yahwiste qui a fini par s’imposer auprès des Hébreux, et ensuite, auprès de l’humanité monothéiste dans son ensemble, a dû parcourir un long chemin avant d’arriver à ses fins.

On sent, en lisant le texte sous cet angle, que l’aspect mythique du récit saute aux yeux, pour peu qu’on veuille en prendre connaissance sans a priori.

Au début du livre de la Genèse, c’est Elohim qui apparaît comme le créateur des cieux et de la terre ; ensuite on voit apparaître le Nom tétragrammate, voire un syntagme formé des deux noms divins, accolés l’un à l’autre.

Cette distribution n’est nullement le fruit du hasard, elle prouve même l’existence d’une certaine compétition, d’une rivalité entre ces deux expressions de la divinité.

La tradition talmudique, consciente du problème, n’a pas opté pour la reconnaissance d’une hybridité des sources, elle a attribué chacun de ces deux Noms à un aspect de la divinité : l’un représente l’attribut de justice, la rigueur implacable du jugement, tandis que le second incarne la miséricorde ou la grâce dispensatrice de bienfaits.

Et Dieu, unique et monothéiste, exhiberait tantôt l’un ou l’autre de ces deux attributs divins.

Les chercheurs ont repéré un autre problème qui distingue le Dieu des patriarches de celui qui apparaît dans les tout premiers chapitres du livre de l’Exode où Dieu dit qu’il ne s’est pas révélé aux patriarches selon son nom Yhwh ; c’est ce que les spécialistes nomment l’hypothèse kénite, du nom de la tribu à laquelle appartenait Jethro, le beau-père de Moïse.

Ce dernier aurait, sur les conseils de grand prêtre de Madian, transmis au peuple des Hébreux la divinité héritée de son beau-père… et non celle héritée des patriarches.

L’auteur a beau jeu de montrer que les choses ne sont pas si claires: le Tétragramme veut être le seul Dieu qui compte mais il doit faire face à bien des imprévus.

Exemple : comment s’expliquent les divergences entre les deux récits sur la naissance de la femme ? On commence par dire que Dieu a créé un être androgyne et ensuite on nous donne l’autre mode de génération, à partir de la côte d’un Adam plongé dans une profonde léthargie.

Ensuite, pour faire vite, on nous montre une divinité qui reconnaît s’être trompée ; elle découvre, après coup, que cet être humain qu’elle a créé, est la quintessence du mal.

Le dégoût que lui inspire sa propre création la conduit à faire venir le Déluge. Et déjà auparavant, la désobéissance du couple paradisiaque montre l’arrière-plan, gnostique de ce récit, où l’homme s’avère comme un rival de la divinité dont il bafoue la loi…

La suite est connue : l’homme est condamné à manger son pain à la sueur de son front, la femme à accoucher dans la douleur et le serpent à se déplacer en rampant en raison de son rôle néfaste dans cette affaire qui a mené l’humanité à sa perte, donc à l’expulsion du paradis.

Si l’on fait l’inventaire de ces trois drames planétaires ou cosmiques, on réalise que le Dieu Tétragramme n’a pas fait preuve d’un grand discernement, ce qui est hautement improbable de la part d’une divinité jouissant d’un authentique pouvoir, qui s’impose à tous : l’expulsion du paradis, le Déluge et la confusion des langues…

Ce dernier épisode inclut la fameuse tour de Babel où la crainte divine de voir l’homme se muer en un dangereux rival, saute aux yeux. On a l’impression que la divinité échoue parfois à réaliser ses projets.

Même l’épisode de Noé est disséqué : la divinité se livre à un correctif général de son œuvre précédente. Tout doit disparaître et renaître à partir d’individus sélectionnés par Noé qui distingue nettement entre le pur et l’impur… On sent aussi la main du courant yahwiste charismatique qui introduit le culte sacrificiel chaque fois qu’il le peut.

Ce Dieu cherche à être reconnu par les futurs patriarches auxquels il se révèle mais qui ne se rallient pas tous immédiatement à sa cause. En fait, certaines actions, comme se reposer (wa-yanah) ou cesser son activité ne laissent pas de surprendre : comment une divinité pourrait-elle se fatiguer ou éprouver le besoin de se reposer ?

Comment peut-elle envoyer des signaux qui ne sont pas très clairs ? En conclusion de ce premier point, on peut dire que cette divinité se bat tout au long des cinquante chapitres du livre de la Genèse pour être enfin entendue et dans la monothéisation du culte qui doit lui être rendue exclusivement ?

Le discours biblique se veut une lecture théologique de l’Histoire au sein de laquelle l’homme et la nature reconnaissent ce Dieu comme le souverain de l’univers.

C’est cette notion qui n’allait pas de soi, qui a fini par s’imposer au cours de l’Histoire en puisant dans au moins deux relais puissants, la traduction de la Bible en grec (la fameuse Septante), donc l’appui du logos grec déchiffrant le mythos biblique, et enfin le christianisme avec le zèle convertisseur, à nul autre pareil, de Saint Paul : à l’aide d’une manœuvre d’une haute subtilité, on a réussi à articuler le discours mythique de la Bible avec l’approche historique (logos) du discours de l’empire (romain) : c’est cette instrumentalisation qui a permis, sur le long terme, la christianisation de l’empire et le triomphe, au moins politique et social, du christianisme, réduisant la religion-mère, le judaïsme, à l’état de fossile…

Ce même judaïsme dont on peut se demander ce qu’il est devenu au cours de ses vicissitudes historiques. Existe-t-il vraiment une continuité historique, essentielle, entre les Hébreux de la Bible, les enfants d’Israël des livres prophétiques et les juifs de l’exil, en 70 de notre ère ?

Certes, le judaïsme rabbinique n’a pas disparu, il a même réussi à limiter les dégâts, mais tout de même ! Son état actuel montre qu’il a été soumis à rude épreuve.

 

Et à quoi aurait il ressemblé si la destruction du temple et la déportation aux quatre coins du globe, n’avaient pas eu lieu ? L’intervention d’Ezra et de Néhémie dont la volonté restauratrice saute aux yeux, fut cruciale. Les deux hommes ont voulu se poser en s’opposant. Ils voulaient retrouver les sources immaculées de l’identité judéenne (ou juive), allant jusqu’à exiger que leurs frères se séparent de leurs épouses étrangères…

Ils voulaient ressusciter un peuple d’Israël dans toute sa pureté, ce qui impliquait l’éloignement de tout apport ou concours extérieur.

Si l’histoire d’Israël ressemblait un peu moins à une martyrologie, on n’aurait pas eu l’immense littérature talmudique ni cette multitude de lois et d’interdits qui fondent la vie juive depuis deux millénaires et qui a inspiré à Emanuel Levinas ce très beau titre de son premier recueil d’articles, Difficile liberté…

Les juifs qui veulent vivre en juifs ont la liberté de le faire, sans vraiment l’avoir tout à fait. D’où la difficulté.

C’est la rencontre, ou plutôt la collision avec le monde de la culture grecque qui a changé le cours des choses. On connaît cette belle pièce pseudo-historique, nommée la Lettre d’Aristée.

En fait, les chercheurs ont montré depuis bien longtemps que l’auteur est un juif hellénophone qui fait œuvre d’apologète, promeut sa religion de naissance, véhicule une description mythique de la traduction de la Bible en grec et tente, par tous les moyens, d’asseoir sa thèse fondamentale : il existe une compatibilité totale entre le discours biblique (donc mythique) et le message de la culture grecque.

Il y a une confluence au niveau éthique entre les deux sources. Par l’exégèse allégorique si chère à Philo d’Alexandrie (mort en l’an 48 de notre ère) et le lissage de certains passages biblique, la Lettre en vient à faire dire à l’auteur que Juifs et Grecs croient en le même Dieu, tout en l’appelant différemment : Zeus est le nom grec de ce même Dieu que les juifs vénèrent…

L’auteur, Aristée, qui se fait passer pour un Grec, décrit avec une naïveté touchante l’engouement du roi Ptolémée Philadelphe (IIIe siècle avant notre ère) qui s’étonne de l’absence incompréhensible de cette sagesse juive dans sa fameuse bibliothèque d’Alexandrie.

Il convoque 70 sages de Jérusalem et leur assigne leur tâche : traduire la Bible en grec. Mais la question qui se pose est la suivante : est ce que la traduction peut égaler le caractère sacré de l’original hébraïque ? Si l’on en croit le narrateur, oui, puisque les traducteurs, œuvrant séparément les uns des autres, livrent la même traduction, signe que l’esprit saint les a visités…

On assiste ici à une sorte de naturalisation grecque du mythe hébraïque. La Bible, la culture juive, est enfin admise sous certaines conditions dans le palais de la culture grecque. Mais cela ne se fait pas sans acquitter un certain prix.

La Bible répond aux même critères que le discours des philosophes puisque les juifs eux-mêmes sont décrits comme un peuple de philosophes… Ce fait culturel revêt une importance majeure dans l’histoire intellectuelle du monde.

Certes, tant de passages posent problème, notamment la traduction des divers noms divins (dieu ou seigneur) ; en outre, les attributs de Yhwh sont inconciliables avec le discours réellement philosophique sur Dieu…

Oui, comment donc ce Dieu des juifs est il malgré tout devenu le Dieu de l’humanité ? La question reste posée mais cet ouvrage nous a grandement aidé à avancer dans ce labyrinthe.

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

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Ephraïm

Cet article n’est qu’un fatras « théologique  » qui n’a rien à faire dans l’univers du Judaïsme , si cet « essai »analytique comportait une once de vérité , depuis longtemps les Juifs ne seraient plus Juifs et le Judaïsme véritable n’existerai plus ; ce que j’entends par Judaïsme véritable , c’est celui qui a réuni pendant des siècles et continue à réunir les Juifs depuis le Maroc à la Russie , de l’Irak à la Pologne ,de l’Iran à la Hongrie ,du Yémen à l’Allemagne , etc..etc.. il suffit de visiter et faire une enquête dans les quartiers religieux existant à Jérusalem ou dans d’autres villes en Israël avec en premier Bné-Brak et voir vivre en voisinage tous ces Juifs pratiquants le Judaïsme authentique et éternel , avec les mêmes besoins de culte , d’éducation et d’environnement , issus de ces communautés précédemments situées dans la dispertion depuis 2000 ans .