Francesco Zorzi, un franciscain kabbaliste à Venise (Gallimard).

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Curieux personnage que ce moine franciscain (1466-1540) qui s’était acquis une notoriété incontestée en matière d’exégèse biblique juive et principalement aussi kabbalistique.

En effet, c’est une affaire incroyable qui le tira de l’obscurité propre aux moines érudits, une affaire dite la grande affaire car elle impliquait le roi Henri VIII d’Angleterre.

Ce dernier avait dû épouser la veuve de son frère mort sans laisser d’héritier.

Mais de l’aveu même de la reine, Catherine d’Aragon, le mariage ne fut jamais consommé et sa dissolution faisait problème puisqu’elle mobilisa les meilleurs théologiens et exégètes bibliques d’Europe.

C’est donc ainsi que le moine Zorzi fut sollicité et son avis ardemment souhaité car il fut l’un des rares à pouvoir accéder aux textes hébreux de l’Ancien Testament et aussi à en connaître les interprétations kabbalistiques.

Le roi Henri VIII avait il le droit canonique de se séparer de son épouse et de contracter un nouveau mariage avec une jeune femme, belle et ambitieuse dont il était très amoureux, Anne Boleyn ?

Un verset du Lévitique interdirait une telle union tandis qu’un autre verset tiré du Deutéronome en faisait une obligation, instituant la loi dite du lévirat (beau-frère)…

C’est donc l’arbitrage de Zorzi dans cette délicate affaire qui était sollicité par le roi en personne, un roi qui n’hésita pas, dans le sillage de bouleversements menant la naissance de l’église anglicane, à faire exécuter, pour désobéissance, ses meilleurs conseillers John Fisher et Thomas More…

En fin de compte, pressé par le temps, et sa favorite étant enceinte, Henri VIII célébrera son mariage avec Anne avant même la dissolution de sa précédente union avec Catherine d’Aragon…

Mais, en marge de cette affaire, véritable fait du prince, qui secoua l’Europe entière, divisa le camp catholique et se conclut par la dissidence de l’église d’Angleterre, nous voyons émerger la culture et l’œuvre d’un érudit catholique d’Italie qui se meut avec aisance dans ce courant humaniste drainant dans son sillage du néoplatonisme, de l’humanisme, des thèmes kabbalistiques juifs mais aussi chrétiens et se montrant très sensible aux œuvres qui favoriseront, plus d’une siècle plus, au sein de la Renaissance, l’apparition de la kabbale chrétienne.

L’intérêt du moine vénitien pour l’ésotérisme juif n’était pas le fuit d’un pur hasard. Il faisait partie de ce vaste secteur du catholicisme médiéval qui optait pour l’antiquité de la kabbale et de sa Bible, le Zohar, en faisant des phénomènes contemporains de l’avènement du christianisme et, partant, fournissant les preuves de la véracité du message de Jésus…

C’est une tendance illustrée notamment par le Comte Jean Pic de la Mirandole qui avec ses 900 thèses se faisait fort de démontrer le bien-fondé de sa religion catholique romaine en se fondant la kabbale et la magie.

Pic avait eu pour maître d’hébreu le célèbre Elya Delmédigo (ou Delmédico) qui eut tendance à s’effacer au fur et à mesure que l’intérêt de son élève pour la kabbale, dont il était l’ennemi, prenait de l’ampleur.

Le comte trouva en Johanan Alemano un esprit plus réceptif. Eliya est l’auteur de la Behinat ha-Dat (Examen de la religion).

L’effervescence intellectuelle de l’Europe des XV-XVIe siècles, ceux de Jean Reuchlin, Guillaume Postel et de Zorzi, ne laisse pas de retenir l’attention.

Et cette même l ’ Europe qui tenait pour acquise la disparition du judaïsme en tant que courant religieux d’importance, fut surprise par cette floraison, ce soudain renouveau de vie spirituelle et mystique…

La kabbale infligeait un cinglant démenti à cette thèse de l’église mais ses théologiens surent apprécier les bénéfices qu’on pouvait en tirer.

Et c’est sous cet aspect que l’affaire du divorce du roi Henri VIII, dite la grande affaire, eut des retombées exceptionnelles.

Ce livre se veut une contribution à l’histoire intellectuelle et religieuse de notre continent.

Et l’emplacement de la culture juive n’a jamais correspondu à des critères strictement objectifs : soit on s’en servait en bien, soit en mal, mais on ne voulait jamais l’appréhender pour ce qu’elle était : une culture qui a fait au reste de l’humanité l’apostolat du monothéisme éthique et du messianisme.

L’auteur de ce très bel ouvrage, Madame Verena von der Heyden-Rynsch, nous offre des exposés très bien nourris et très clairs sur l’œuvre proprement dite du moine vénitien qui commença par soutenir la requête du roi anglais mais qui nuança son attitude lorsqu’il prit conscience de la totalité des enjeux: désavouer la cause du monarque n’était pas la meilleure option, se mettre à dos le Vatican n’était guère plus recommandable… Il valait mieux retourner à ses chères études, c’était moins risqué.

A partir de 1521 notre moine se retire dans un couvent, San Gerolano, où il rédige ses trois principales œuvres ; mais c’est surtout son expertise en matière de philosophie juive et de kabbale qui retient l’attention, lui qui se voulait à la fois disciple de Dante et de Pic.

Le livre qui fit le plus sensation est sans conteste l’Harmonia mundi où l’auteur se sert du symbolisme des sefirot, où il disserte sur la force de l’Un qui se diffuse dans le Tout, et surtout ses spéculations sur les Noms divins…

C’est là un aspect qui atteste la dépendance de Zorzi des enseignements kabbalistes, même si le tout, le résultat, est ordonné au christianisme et à son fondateur.

N’oublions pas que dans le cercle étroit du moine figuraient autant de rabbins convertis que d’érudits restés fidèles à la foi ancestrale. Il entretenait aussi des relations suivies avec Elias Levita, sans oublier d’autres sommités juives du Ghetto de Venise.

On pourrait poursuivre ce compte rendu, déjà assez long. Une dernière remarque :malgré ses visées prosélytes, le moine vénitien s’abstient de s’en prendre aux juifs de manière viscérale, mais il lui arrive de polémiquer contre Averroès dont les théories sur l’origine de l’univers et le sort de l’âme après la mort lui semblent inacceptables…

En conclusion, un moins fort intéressant que l’auteur a tiré d’un oubli immérité.

Verena von der Heyden-Rynsch ,Le rêveur méthodique, Francesco Zorzi, un franciscain kabbaliste à Venise (Gallimard)

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

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