Le Rabbin Michaël Azoulay, de la synagogue de la rue Dulud, à Neuilly, -après l’avoir été à Nice, la Varenne-Saint-Hilaire-, officie aux confins de l’Ethique, ou plutôt, des éthiques (plurielles), depuis bien des années.

En février 2018, il a pris la difficile succession du regretté rabbin Josy Eisenberg pour présenter l’émission Judaïca du dimanche matin sur France 2. Toujours captivé par le projet de la Création, qui unit l’homme à son Créateur, il l’a intitulée : Berechit, l’Origine.

Il fait partie de cette jeune génération de Rabbins qui renouvellent le débat au sein de l’Institution et au cœur de la société.

C’est de cette pluralité des points de vue, de la clarté remarquable du Judaïsme éclairant les Nations, et de la richesse de ses réponses sur ces sujets « pointus » de la confrontation avec les applications des sciences, des technologies, qu’il nous entretient dans son livre : « Ethiques du Judaïsme« . L’ouvrage est paru à la Maison d’Edition, chez Philippe Karsenty, autre « éthicien des médias » s’il en est!.

 

Michaël Azoulay a été membre du Conseil National Consultatif d’Ethique entre 2008 et 2013. Il s’exprime, d’ailleurs, sur la décision de l’évincer du Comité national d’éthique dans un article intitulé « Bioéthique et religion, un mariage impossible? » publié dans Le Figaro du 4 octobre 2013.

En effet, on ne peut que regretter, comme une perte de substance, cette éviction des religions « qui pensent », notamment le Judaïsme et le Protestantisme (alors incarné en son sein par le Pasteur Schweitzer), d’un Comité, où leur rôle de miroir anti-dogmatique et de garde-fous moraux jouait à plein pour nourrir un dialogue fructueux. La République des Professeurs, sous François Hollande, leur a préféré des enseignants et « scientifiques ». Or, face aux fluctuations, au « tout est possible », les techniques biomédicales et la pensée transhumaniste, ont, plus que jamais, besoin d’être confrontés au patrimoine de l’humanité dont témoigne la Bible. Procéder ainsi, c’eût été accepter l’humilité de cette confrontation à cette Parole qui nous transcende, nous grandit et nous dépasse.

La République des professeurs n’a pas mené cette introspection nécessaire et s’enorgueillit de nouvelles conquêtes, sans cesse renouvelées, sans (re-)connaissance  des limites qui la protègent de ses propres excès. Ceci nous amène au caractère précieux d’absolue nécessité de cet ouvrage, alors que l’Ethique officielle, en France, se cantonne, désormais, à l’entre-soi, dans une version étriquée de la « laïcité » scientiste.

Dans la Genèse, l’homme est, en permanence, confronté au défi d’exercer des choix, de distinguer entre le bien et le mal, au risque de sa propre chute, d’apprendre le respect et l’amour du frère, au risque d’être tenté de l’anéantir et, par là même, de s’annihiler lui-même, de préserver les espèces, au risque que ne soit engloutie la terre entière, à l’heure du Déluge … Pour celui qui sait s’y aventurer pour mieux questionner le sens de la vie, la Torah est une réserve inextinguible d’interprétations multiples et de remèdes offerts avant même que l’homme ne doive affronter la maladie, le handicap ou la mort. Dès le fruit défendu, le Pentateuque nous définit son objet : prévenir, le cas échéant réparer (ou soigner) le monde et l’humanité, appelée à y jouer le rôle de gardien du jardin, gardien de son frère et donc maître de ses propres pulsions, potentiellement salvatrices ou destructrices.

La Torah, ou la Bible (chez les Chrétiens) n’est pas seulement un code moral, mais un précepte de lois scrupuleuses qui assurent la survie du groupe et l’affirmation de son identité humaine. Or, D.ieu seul sait jusqu’à quel point le peuple juif est allé au-delà de cette identité d’homme, quand l’histoire l’a porté à incandescence, dans l’enfer nazi. Avec la bioéthique, née après le Procès de Nuremberg, il n’est pas seulement question de « valeurs philosophiques et morales », mais bien de la préservation de la dernière étincelle de vie dans le regard de l’homme.

Elle régit les alliances, les mariages, la conception, les naissances, la filiation, les préceptes alimentaires, les limites du droit en société, la dignité, l’accompagnement vers la mort, et face à la Divinité. Sous ses airs sentencieux, elle est « Source de Vie » (autre émission de Josy Eisenberg z’l) et nous livre le secret essentiel : comment nous préserver.

C’est précisément, cette identité humaine qui peut, à tout instant, est remise en question, au moment même où la science biomédicale entreprend de « l’améliorer ». L’homme est à l’image de D.ieu, mais pourrait, un jour ne plus être qu’à l’image de l’homme, une conséquence potentiellement monstrueuse des expériences conduites par son Ego et sa volonté d’égaler, si ce n’est de supplanter toute représentation d’un Au-delà de lui-même.

En cela, aucune « manipulation » de la nature humaine n’est, a priori, bonne ou mauvaise en soi, mais c’est l’usage que l’on fait des sciences qui risque de nous confondre et de nous égarer. Notre connaissance peut nous perdre à jamais, sans un ensemble de points de repères (de re-pères, dirait Lacan) que nous enseigne la Tradition, ou la sagesse qui nous précède.

Ce livre, en effet, nous entraîne à découvrir ou redécouvrir la qualité de « Pré-science » que nous a légué le Judaïsme, vers tous les points de l’horizon à l’âge moderne : qu’est-ce qu’une pré-science? Une prémonition, une capacité particulière qui nous permettrait d’anticiper ce qui nous arrive, plutôt que d’entrouvrir une porte débouchant sur le néant. Sous une autre forme, par d’autres portes de la perception, nos ancêtres savaient et méditaient déjà les enjeux auxquels leurs descendants seraient amenés à faire face.

Ainsi, par exemple, les Matriarches connaissent par avance toutes les réponses qui concerneraient la stérilité ou l’infécondité, l’enjeu d’avoir recours à une mère porteuse et les conflits que cela peut entraîner… L’avortement demeure un homicide, m^me quand il est pratiqué par un non-Juif, en vertu des lois Noachides. Les règles de la Torah nous renseignent sur l’interruption involontaire de grossesse et du dédommagement. La vie de la mère primant sur celle du fœtus, les décisionnaires l’autorisent, au cas où la vie de la mère est en danger. Hormis cela, l’avortement demeure un homicide, pour le Judaïsme. Néanmoins, la bonne connaissance de la loi nous oblige à comprendre les cas de jurisprudence qui en fixent les limites. Des cas extrêmes de maladie génétique anticipée et de souffrance font pencher les décisionnaires, toujours du côté de la mère, donc de la vie. On s’interroge aussi, déjà, dans le Talmud, sur l’existence de l’âme et sa naissance dans l’embryon.

Le projet bioéthique, selon le Pr. Axel Kahn, est déjà entièrement rédigé dans le Lévitique : « Aime ton prochain comme toi-même ». Il n’est question que de souci, de compassion, de solidarité avec l’Autre, pour préserver sa liberté et sa dignité. A l’âge contemporain, de grands penseurs comme Emmanuel Lévinas, ont retrouvé ces chemins de traverse, présents dans les Écritures, pour refaire le parcours philosophique du Judaïsme dans le regard de l’autre.

Très tôt au Moyen-âge, le Talmud est le premier à s’interroger sur la fécondation sans rapports sexuels. Le Judaïsme est, également, favorable à la Procréation Médicalement Assistée, au nom du principe impératif de « croître et de se multiplier », dans la mesure où la filiation demeure claire. Cette possibilité offre, désormais, l’espace du bonheur filial aux couples qui, autrefois, seraient restés inféconds. L’Institut Pouah, par exemple, aide les femmes qui tardent à se marier, à conserver congelés leurs ovocytes, dans la perspective d’une union future. Cette pratique pose, néanmoins, une difficulté, dans l’interdiction « d’émission de semence en vain ». On favorise l’Insémination Artificielle du sperme du Conjoint (IAC), qui se rapproche le plus de l’acte sexuel naturel. La plupart des décisionnaires sont aussi favorables à la FIV (Fécondation In Vitro), puisqu’elle satisfait le devoir de procréation.

Il est clair que la GPA n’est tolérée que grâce aux services d’une femme célibataire, dans le cadre du couple traditionnel, composé d’une femme et d’un homme et que le Judaïsme continuera de s’opposer aux « aménagements » tolérés par la société civile, envers les couples de même sexe.

La problématique du don d’organes est riche de nombreux questionnements. Notamment parce que l’homme s’identifie à son corps et qu’on ne peut en « détacher » l’organe sans qu’il s’agisse d’une part vivante de lui-même. Comment, dès lors, intégrer, accepter l’altérité en soi? Il faudrait pouvoir donner en retour pour que le cycle soit complet. La littérature rabbinique discute de la gratuité ou de l’éventualité de la rémunération du don. Les valeurs spirituelles et morales s’opposent radicalement au commerce d’organes. Les principes doivent alors demeurer fidèles à la Tsedakha, la Justice. Le don vivant (sang, moelle osseuse, rien, lobe de foie, dons croisés, etc…), compte-tenu des risques éventuels, la médecine régénérative, sont particulièrement valorisés.

Un renforcement de la loi française autour du consentement « présumé en l’absence de trace claire de refus du défunt » a suscité des mises en garde, allant jusqu’à l’incitation à s’inscrire systématiquement, si on est Juif, sur le Registre National du Refus, en ce qui concerne le Don post-mortem. Du moins était-ce l’avis de certains milieux rabbiniques parisiens, que la Rabbin Azoulay se garde bien de nommer. Or, rappel celui-ci, la Loi spécifie bien que le proche peut rappeler, par écrits, les circonstances et le contexte où le défunt a exprimé un tel refus. Ceci permet de sortir de l’imbroglio et de l’émoi suscité. Michaël Azoulay pense que la plupart des Juifs se réfèrent d’abord à leur conscience et reconnaissent la notion de Pikouah Nefesh, l’impératif de sauver une vie pour sauver l’humanité.

L’intelligence artificielle est l’un des tous derniers combats de l’homme face à ses compétences en matière de création. Il s’agit d’une véritable révolution présente à tous les niveaux de notre environnement. La Kabbale pratique connaît, depuis le Moyen-Âge, cette confrontation à un être créé autrement que par une femme. On a aussi croisé Frankenstein et le Golem dans la littérature. Dans le droit hébraïque, la notion de responsabilité est partout présente, au titre d’interrogation principale. Le bien-être n’est rien sans la recherche du mieux-être (épanouissement, dignité, liberté).

Acharnement thérapeutique autant qu’euthanasie sont proscrits, sauf en ce qui concerne la « sédation profonde », qui permet de « soulager », sans accélérer la fin de vie.

 

Ethiques du Judaïsme n’est pas seulement une recension de préceptes du Judaïsme face à la post-modernité scientifique, ni une leçon de morale contemporaine. C’est réellement un appel à la vigilance et une prise de conscience des nombreux défis qui nous attendent, comme autant de pièges, non seulement pour notre Judaïté, mais bien pour notre identité d’hommes et de femmes. C’est en cela que ces challenges sont, à la fois, inédits, parce qu’aucune autre époque ne les a croisés, et tout-à-fait accessibles, car déjà évoqués, à un titre ou un autre, dans la grand livre de la Vie : la Torah.

Ce fascicule nous est donc indispensable, pour nous accompagner dans tous les moments forts de notre vie…

Marc Brzustowski

 

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