Longtemps les doigts de Marie sont restés suspendus au-dessus du clavier: « Bon sang, c’était la dénoncer! ». Elle a finalement composé le numéro vert pour signaler aux services de renseignement la radicalisation de Léa, sa petite-fille.

Attablée au fond d’une brasserie du Val-de-Marne, cette femme de 75 ans, dont le look soigné lui en donne dix de moins, n’accepte de témoigner que sous couvert d’anonymat.

« Personne ne sait que j’ai appelé, pas même mon mari », explique Marie. « Ma fille – la mère de Léa radicalisée – dit que je ne comprends rien, que je suis parano. Je suis vraiment seule dans cette famille à faire ce que j’estimais devoir faire ».

C’était il y a un an, peu après le lancement de cette plateforme téléphonique par le ministère de l’Intérieur, fin avril 2014.

Depuis, « plus de 2.200 personnes radicalisées ont été signalées » via le numéro vert, précise Pierre N’Gahane, le secrétaire général du Comité interministériel de prévention contre la délinquance (CIPD). « Si on ajoute les remontées des préfectures, on arrive à 4.500 », selon les chiffres arrêtés fin mai. « Une vraie demande sociale s’exprimait dans le pays », résume M. N’Gahane.

« Ce numéro, c’est très bien, c’est une sécurité. On m’a posé énormément de questions sur l’environnement familial, le mode de vie. Ils sont très empathiques et rassurants », se souvient Marie.

Alertée, la préfecture du Val-de-Marne l’a rapprochée de l’association locale, Société, Famille, Individu (Sofi), spécialisée dans le traitement des dérives sectaires et de la radicalisation.

Depuis janvier, sa présidente Michèle Cherpillod et son équipe de bénévoles, formées par le CIPD, suivent une quinzaine de familles dans le département. Une fois par mois, elles se réunissent dans un lieu tenu secret « pour leur anonymat et leur sécurité » et échangent leurs témoignages.

« Une mère a expliqué un jour que sa fille de 15 ans refusait de pousser son caddie car il y avait des bouteilles d’alcool dedans », rapporte Mme Cherpillod.

A chacun(e), elle livre le même conseil: « Garder toujours un lien affectif, une sorte de fil d’araignée incassable. Il ne faut pas que leur seule porte de sortie soit le jihad. »

– Plus que « des amies voilées » –

La conversion de Léa, 23 ans, et sa radicalisation remonte à 2013. Sa grand-mère préfère parler de « transformation ». Tout est parti, selon elle, d’un échec amoureux: « Son copain l’a quittée pour une autre fille, elle en était malade. A partir de là, elle m’a dit « Le regard des hommes, je ne le supporte plus. » Elle démissionne alors de son travail de caissière, décroché après une scolarité abandonnée en première, « pour être femme au foyer ».

Fini « les sorties, l’alcool, les feuilles d’artichaut » (cannabis, ndlr) qu’elle cultivait sur son balcon, s’amuse encore Marie, qui se souvient avec amertume de leur complicité passée. « On échangeait nos vêtements, on faisait les courses ensemble ». Aujourd’hui, elles se voient toujours une fois par semaine mais « les rapports sont plus froids ».

Les habits qu’elle lui offre « terminent à la poubelle », tout comme les livres et les posters « d’hommes bodybuildés » qui tapissaient les murs de sa chambre, où elle n’invite plus que « des amies voilées comme elle ».

Terminées aussi les confidences sur « ses nombreuses aventures »: Léa préfère désormais déverser sa « haine des juifs », crier au « complot » des attentats du 11 septembre, plaindre le colonel Kadhafi, « ce pauvre homme », douter de « la mort de Ben Laden » et fustiger « la propagande des médias » sur les atrocités commises par le groupe Etat islamique en Syrie et en Irak.

Elle rencontre son futur mari à la mosquée de Villiers-sur-Marne, « connue pour ses prêches violents« , selon une source policière.

C’est autour de cette mosquée que se concentre l’enquête judiciaire sur une filière d’envoi de jihadistes vers la Syrie démantelée en novembre 2013.

Le lieu de culte était également fréquenté par le Français Mickael Dos Santos, qui a depuis rejoint les rangs du groupe Etat islamique. En novembre, la France assurait l’avoir identifié sur une vidéo de décapitation de 18 hommes présentés comme des soldats syriens.

Marie avoue avoir eu « peur d’un départ ». Mais si ses craintes se sont un peu dissipées, elle a toujours besoin de se rassurer: « J’ai fait tout ce qu’il fallait pour qu’elle ne parte pas. »

AFP-

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