Le premier juif laïc de l’histoire a été banni par les juifs portugais d’Amsterdam pour hérésie en 1656. A présent, les magasins de la communauté vendent ses livres

Le rabbin portugais hollandais Nathan Lopes Cardozo parlant de la levée du bannissement de Baruch Spinoza, le 6 décembre 2015. (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)

Plus de 350 ans après que la communauté juive portugaise de la ville a excommunié Baruch Spinoza et banni ses écrits pour l’éternité, les livres du philosophe sont en vente au magasin de souvenirs de la synagogue de la communauté.

Spinoza, un philosophe juif né hollandais, qui a construit les fondations intellectuelles des Lumières et est parfois désigné comme le premier juif laïc de l’histoire, a été banni par les juifs portugais d’Amsterdam en 1656 pour hérésie. Que son travail soit maintenant vendu par cette même communauté qui l’a ostracisé est donné par certains comme une preuve que le bannissement n’est plus opérationnel.

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Mais pour les admirateurs du philosophe, le fait qu’il ne soit jamais formellement abrogé reste une tâche sur la communauté, renforce les vues de Spinoza sur le judaïsme, qui selon lui est une foi étroite d’esprit et dogmatique.

C’est pourquoi des centaines d’entre eux se sont rassemblés ici dimanche pour un débat historique sur la levée officielle ou non du bannissement et, peut-être, pour effectuer une réhabilitation symbolique de Spinoza au sein du berceau du peuple juif.

« Ses idées font partie de l’héritage hollandais », selon Ronit Palache, un juif hollandais laïc d’une trentaine d’années, qui se décrit lui-même comme un aficionado de Spinoza et qui a organisé le symposium.

« Le temps de lever le bannissement est passé depuis longtemps. D’une certaine manière, c’est une tache noire sur l’histoire juive ».

Le symposium, un événement à guichet fermé avec des discours du directeur de la communauté juive portugaise hollandaise et des chercheurs spécialistes de Spinoza de quatre continents, a offert un rare aperçu sur le mandat original, qui est conservé dans la bibliothèque de la communauté.

Un texte inhabituellement long et brutal, le mandat de bannissement – « herem » en hébreu – a été lu à haute voix en portugais, rapportant des « actes et opinions diaboliques » non spécifiés, suivis d’un enchaînement de malédictions contre Spinoza, qui avait à peine 24 ans.

« Maudit soit-il le jour et maudit soit-il la nuit ; maudit soit-il quand il s’allonge et maudit soit-il quand il s’éveille. Maudit soit-il quand il sort et maudit soit-il quand il entre », est-il écrit, poursuivant par « Le Seigneur ne l’épargnera pas, mais la colère du Seigneur et sa jalousie fumeront contre cet homme… [et] voileront son nom des cieux ».

A la suite du bannissement – ainsi que d’une tentative d’assassinat au couteau par un juif fanatique à l’extérieur de la synagogue – Spinoza a quitté sa ville natale d’Amsterdam et la communauté juive.

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Consacrant sa vie à l’étude de l’optique et au développement de sa philosophie, il a publié sa pièce maitresse « Ethique » en 1677, l’année où il est décédé d’une maladie pulmonaire à 44 ans. Spinoza a été enterré dans le cimetière de La Haye.

Pourquoi Spinoza était-il si passionnément détesté est un sujet de spéculations, selon Steven Nadler, un professeur d’histoire américain de l’Université du Wisconsin et faisant figure d’autorité internationale sur Spinoza.

Le document de herem ne précise pas les actions « diaboliques » de Spinoza, mais Nadler pense qu’elles dérivent de plusieurs de ses assertions, y compris que Dieu n’existe pas, les juifs ne sont pas un peuple élu et la bible hébraïque n’a pas d’origine divine.

Les participants au symposium d’Amsterdam sur la levée l’ancien ordre d’excommunication du philosophe Baruch Spinoza examinent une copie du mandat original contre lui, le 6 décembre 2015. (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)
Les participants au symposium d’Amsterdam sur la levée l’ancien ordre d’excommunication du philosophe Baruch Spinoza examinent une copie du mandat original contre lui, le 6 décembre 2015. (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)

Spinoza a élaboré ces idées dans « Ethique » et d’autres écrits, où il affirme que le judaïsme et ses écritures sont une création humaine pour exercer le contrôle sur les anciens Israélites. Emmanuel Kant et Georg Hegel se sont plus tard emparés de ses critiques dans leurs écrits antisémites.

Au symposium, Nadler a défendu l’idée que le herem a été imposé à cause de la philosophie révolutionnaire de Spinoza, mais il a aussi proposé quelques explications politiques.

Une hypothèse concerne le fait que Spinoza a comparu devant des cours hollandaises pour se débarrasser des dettes de son père à un moment où les membres de sa communauté ne devaient comparaître que devant un tribunal juif.

Une autre théorie suggère que Spinoza a menacé d’inviter d’autres juifs à se venger pour son hérésie, qui a été profondément ressentie par l’état et le public largement religieux.

En 1678, le gouvernement hollandais a également banni ses écrits et mis en place de lourdes sanctions contre quiconque vendrait ses livres. Désavouer Spinoza était un acte public nécessaire pour une communauté avide d’éviter la colère de ses hôtes, généralement tolérants.

Mais alors que le bannissement de l’État hollandais a été abrogé il y a longtemps, la communauté juive a résisté aux appels répétés à le suivre, y compris celui du premier Premier ministre d’Israël, David Ben-Gurion.

Le symposium de dimanche n’a pas été un moment décisif à ce sujet, a déclaré à la foule le grand rabbin de la communauté juive portugaise, Pinchas Toledano. Remarquant la levée de facto du bannissement et l’absence de limite à la liberté de penser (il a cité le magasin de souvenirs comme preuve), Toledano a néanmoins déclaré qu’il n’avait ni l’autorité ni la volonté d’abroger la mesure.

Lever le herem « impliquerait clairement que nous partageons les points de vue de Spinoza qui établissent que Dieu n’existe pas » et que « les lois de Moïse ne sont plus pertinentes », a déclaré Toledano. Ces idées « déchirent les fondements mêmes de notre religion ».

D’autres juifs portugais hollandais ne sont pas d’accord. Nathan Lopes Cardozo, un rabbin orthodoxe influent, a commencé son discours en montrant un portrait de Spinoza que le père de Cardozo, un juif laïc, avait dessiné dans les années 1940 pendant qu’il se cachait de l’occupation nazie.

« Il était le seul rabbin de notre famille », a déclaré Cardozo de Spinoza.

Cardozo s’est opposé aux observations de Spinoza sur le judaïsme, dont il a dit qu’elles étaient « délibérément biaisées » et « finalement basées sur l’ignorance absolue de Spinoza » du Talmud. Tout de même, lever le bannissement « enlèverait un énorme stigmate du judaïsme étroit d’esprit et dogmatique, comme l’a à tort fait valoir Spinoza ».

Pendant que le débat continuait, Toledano est devenu l’interprète improbable des propres sentiments de Spinoza sur le herem.

Il « n’a jamais demandé à ce que le herem soit abrogé, a déclaré Toledano, et a probablement ri du concept même de herem et des rabbins qui l’ont imposé ».

Times of Israël

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