Débat: Un bordel bien tempéré par Ferrari et Elkrief

L’émission fait le spectacle, pas l’élection

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Ruth Elkrief et Laurence Ferrari arbitrent le grand débat. Sipa. Numéro de reportage : 00801028_000029.

 

 

 

 

 

 

Vers minuit et demi, les deux taulières du « Grand Débat Historique BFM-TV, TMC, CNews », Ruth Elkrief et Laurence Ferrari étaient rayonnantes. Le pire avait été évité : le risque n’était pas mince qu’une confrontation à onze entre les qualifiés à l’élection présidentielle ne parte en sucette dans une mêlée confuse impossible à maîtriser par les animatrices, ou, au contraire ne s’enfonce dans l’ennui de la juxtaposition de discours en langue de bois de diverses essences, poussant les téléspectateurs à fuir vers d’autres cieux plus récréatifs.

Une tragédie antique en trois actes

Le vainqueur de cette soirée n’est pas à rechercher dans la liste des candidats présents sur le plateau. C’est incontestablement le pool de chaines privées d’information continue organisatrices de l’événement : la mise en scène a été ultraprofessionnelle sur tous les plans, la dramaturgie bien maîtrisée, le décor fignolé au petit poil pour que tous les acteurs, majeurs et mineurs soient bien mis en valeur, et que le « before » (l’arrivée des candidats) et « l’after » (commentaires à chaud après le débat par les éditorialistes patentés) fassent partie du spectacle comme le prologue et l’épilogue d’une tragédie antique. L’arrivée  des débatteurs fut la copie conforme de l’ouverture du « Loft », première émission de téléréalité lancée en 2001 sur les antennes françaises.

Poutou-la-provoc se surpasse

Il faut bien constater que les protagonistes se sont prêtés de bonne grâce aux rôles qu’on leur avait attribués. On annonçait des « petits candidats » prêts à casser les codes de la bienséance et de la raison pour profiter au mieux de leur quart d’heure warholien et ils furent au rendez-vous. Poutou-la-provoc, le petit chose tête de turc chez Ruquier s’est surpassé avec son pull Celio, son refus de poser pour la photo de famille, son débit précipité, son attitude relâchée pendant le débat, ses invectives contre François Fillon et Marine Le Pen, qui ont réussi à faire sortir le premier de ses gonds et des convenances du parler bourgeois lorsqu’il marmonna, furieux : «Je vais lui foutre un procès ! ». Il fut, de plus l’auteur de la seule expression propre à faire le buzz dans la semaine à venir: « il n’y a pas d’immunité ouvrière pour refuser de se rendre à une convocation de la police ! ».

Jean Lassalle tient un discours qui donne à penser qu’il ne pousse pas seulement de l’herbe à fourrage dans les vallées pyrénéennes, François Asselineau en Caton l’Ancien sentencieux répétant que « la France doit quitter l’UE » comme le Romain voulait détruire Carthage… Nathalie Arthaud, trotskiste bien propre sur elle assurait avec talent la relève de l’inoubliable Arlette, et Cheminade dans le rôle du doux fada complétaient le casting d’une comédie où les premiers rôles devaient gérer au mieux le script qui leur était imposé, celui de l’égalité du temps de parole avec des « petits » qui n’allaient pas manquer de se faire leur pelote sur leur dos…

Fillon plombé par les “affaires”

Malgré l’omniprésence du spectacle, et son caractère haché par les interruptions des gardiennes de l’horloge, les fans de politique, les analystes de comptoir auront eu leur pitance : Macron a réussi à placer sa tirade anti-Marine, l’accusant de fomenter la guerre à venir par son nationalisme outrancier, mais sans pouvoir sortir de l’impression de flou qu’il donne de l’avenir d’une France macronisée. Dupont-Aignan dispensa les deux favoris de prendre Fillon bille en tête en lui opposant son bilan au gouvernement, notamment la «  forfaiture » européenne après le référendum de 2005. Fillon a réussi à démontrer, une fois de plus, qu’il pouvait  le mieux« faire président », mais n’a pu se débarrasser de son sparadrap haddockien de ses petites « affaires ». Hamon  a concentré ses tirs sur Mélenchon, de bonne guerre, mais un peu tard pour arrêter l’hémorragie de ses électeurs potentiels vers le champion des insoumis.

Mélenchon acrobate

Jean-Luc Mélenchon se révéla une fois de plus le plus pro en politique-spectacle : il arrive bien avant les autres, fait donner Clémentine Autain pour chauffer la salle avant que le show commence. Il a même réussi à se sortir d’un mauvais pas, dans une pirouette qu’aucun commentateur à chaud n’a relevé. Écoutant d’une oreille distraite un dégagement de Marine Le Pen voulant remettre les crèches dans les mairies, il a confondu la crèche pour les petits des gens avec l’évocation traditionnelle de la naissance de Jésus-Christ. S’apercevant de sa bourde en regardant la mine de Marine prête à le fracasser, il effectue en un quart de seconde un rétablissement acrobatique en fustigeant les religions en général, et la catholique en particulier. Du grand art !

Alors, la question à un million de maravédis (monnaie neutre dans le débat sur l’euro) : ce show a-t-il fait bouger les lignes ? Et lesquelles ? Fillon a-t-il réussi à mobiliser le voté caché qu’il prétend avoir en réserve ? Mélenchon va-t-il coiffer Fillon au poteau pour la troisième place ? J’ai le sentiment qu’à ces questions la réponse est non, car le spectacle, ce mardi 4 avril a submergé la politique.

Luc Rosenzweig

Luc Rosenzweig
Journaliste.

Publié le 05 avril 2017 / Politique

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