Débat politique: c’était mieux avant!
Pourquoi ne sait-on plus débattre ?
Pourquoi ne sait-on plus débattre ? À vrai dire, j’ai bien conscience d’être mauvais juge pour répondre à cette question car je suis capable d’apprécier même les échanges politiciens les plus échevelés en me réfugiant dans l’analyse de la forme quand le fond est décevant. Pourtant je vais tenter de m’affronter à cette interrogation – formulée dans les Vraies Voix du 11 mars, sur Sud Radio – en mentionnant les causes à la fois immédiates et profondes de ce sentiment de morosité médiatique partagé par beaucoup.
D’abord on a le droit de soutenir que c’était mieux avant. Plus de tenue, de courtoisie apparente, plus de cruauté subtile.
Ensuite on a le devoir de distinguer la plupart des débats des confrontations de candidats en perte de vitesse qui ont besoin, l’un et l’autre, de se montrer sous un jour destiné à contredire l’image qu’on a d’eux généralement. L’exemple récent est le dialogue, sans cesse haché, entre Valérie Pécresse et Eric Zemmour. Celui-ci ne l’a pas “massacrée” contrairement au pronostic de Renaud Muselier qui n’est plus à une indélicatesse près. Si, pour certains, il n’a pas été bon, cela tient aux circonstances particulières qui ont motivé sa réalisation.
Pour dépasser cet épisode, un certain nombre de raisons qui conduisent à ne pas s’arrêter à la surface des choses expliquent pourquoi le passé était moins déprimant en matière de dialogue politique.
Je ne suis pas sûr que la présence d’un ou de deux animateurs soit de nature à faciliter la qualité des échanges. Leur volonté d’encadrer ceux-ci constitue plus une gêne qu’une chance pour les interlocuteurs qui seraient parfaitement capables, avec un avertissement préalable, de se comporter comme des adultes responsables si on laissait la liberté et la spontanéité gouverner leurs propos.
Une pugnacité en spectacle, au risque de la grossièreté
De plus, il me semble qu’aujourd’hui il s’agit moins d’exprimer des idées et des convictions que d’afficher une personnalité pour le pire ou le meilleur. Il faut montrer au téléspectateur qu’on a de la pugnacité, jusqu’à la grossièreté parfois. Pensons à Jean-Luc Mélenchon qui s’est fait une spécialité, alors qu’il maîtrise si bien l’oralité, d’une forme insultante. Qu’on se rappelle ses exclamations avec Eric Zemmour ou, il y a bien longtemps, quand pour la première fois il a rencontré sur un plateau Marine Le Pen ! Le mépris suintait.
Il faut aussi constater qu’on ne sait plus écouter l’autre, qu’on n’a qu’une envie : celle de proférer son discours tout préparé, et de démontrer par des interruptions constantes à quel point on est grossier, donc accordé à l’air du temps.
Peut-on faire l’impasse sur le délitement de notre éducation, de notre culture et de notre langage qui permettaient hier des échanges d’autant plus redoutables sur le fond que la forme en était impeccable ? On pouvait tout se dire parce qu’on savait comment le dire. Je crois profondément que la déliquescence de ces qualités intellectuelles et du savoir-vivre élémentaire représente le ressort le plus important de la dégradation des échanges médiatiques. Qu’on s’arrête une seconde sur les blogs et les réseaux sociaux, notamment sur Twitter, on pourra constater cette calamité qui se généralise: faute de savoir répliquer au fond, on use d’une forme honteuse, on se “paie” le contradicteur sur un mode absurdement personnel au lieu d’échanger avec lui. La dérive insupportable d’un monde qui constitue ses clashs vulgaires telles des avancées et se flatte de ce dont il devrait avoir honte.
Une dérive inéluctable?
On pourra encore aujourd’hui devenir le témoin, le téléspectateur passionnés de débats de courtoisie et de qualité. Je suis sûr qu’entre les deux tours, au mois d’avril nous en aurons un de ce type mais le reste du temps ? Va-t-on devoir se contenter d’une absence totale de curiosité pour la pensée de l’autre, d’attaques personnelles, de piètres argumentations visant plus à caricaturer son opposition qu’à manifester son intelligence et sa maîtrise de soi?
Je regrette d’autant plus cette dérive qu’elle n’est pas inéluctable. Tout est dans nos mains, dans nos esprits. Cela aurait au moins pour mérite de rapprocher un peu le citoyen des politiques et de combler, par une décence et une finesse restaurées, le gouffre entre l’idéal et le réel, entre la tenue qu’on attend par principe de ceux qui gouvernent ou s’opposent d’un côté et, trop souvent, sa déplorable absence de l’autre. Peut-être faut-il accepter le triste constat que ne plus savoir débattre est peut-être le triste signe qu’on n’aime plus cette preuve indiscutable d’une démocratie apaisée ?
Philippe Bilger causeur.fr
Philippe Bilger
Magistrat honoraire, président de l’Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.