De l’ombre à la lumière

Jonathan Sandler z'l adapté par A. Benchimol

 

Comment le jour le plus affligeant du calendrier peut-il être également un jour de fête ?
Cette sombre période de trois semaines entre le 17 Tamouz et le 9 Av est nommée « Bein Hametsarim » –« entre les afflictions ».

Afin de ressentir et d’extérioriser la tristesse, nos sages ont fixé un certains nombre de prescriptions, dont la mise en application peut varier en fonction des différentes communautés. Mais le point commun à toutes ces pratiques, c’est un crescendo de désolation, entre ces deux dates, qui va atteindre son point culminant le 9 Av.

Néanmoins ce jour de jeûne est appelé Mo’èd (fête », et cela implique qu’en ce jour on ne lit pas de supplications (Tour, Ch.559).

Cette désignation a pour origine un verset des lamentations : »Tous mes vaillants combattants, le Seigneur les a broyés dans mon enceintes ; il a convoqué une assemblée (mo’èd) pour briser mes jeunes guerriers » (Eikha/ Lamentations 1, 15).

Nous allons donc tenter de comprendre ce double aspect paradoxal : d’une part le jour le plus affligeant du calendrier, de l’autre un jour de fête ? Le Psalmiste a écrit : »(Il est bon) de proclamer Ta bonté le matin et Ta fidélité pendant les nuits » (Tehilim/Psaume 92,3).

A partir de ce verset, le Talmud (Berakhoth 12a) a déduit une loi : « Quiconque n’a pas récité Emeth veyatsiv (vérité et certitude) à l’office du matin, ni Emeth vemouna (vétité et confiance) le soir, ne s’est pas acquitté de ses obligations religieuses. »

Rachi explique : le passage de Emeth veyatsiv prononcé le matin se rapporte à la Grace que Hachem a accordé à nos ancêtres en les libérant de l’Egypte et en ouvrant de manière miraculeuse la mer Rouge sur leur passage.

Tandis que le paragraphe de, Emeth vemouna se rapporte à l’avenir. Nous espérons qu’Il réalisera Sa promesse et nous libérera du pouvoir des différents persécuteurs.

La spécificité diurne, c’est le temps de l’évidence – la lumière rend visible la réalité, par contre la particularité nocturne, c’est le temps du doute- l’obscurité voile le monde.

C’est pourquoi le matin, quand tout est limpide, nous nous remémorons afin de nous souvenir de la bienveillance de Hachem, les miracles auxquels nos ancêtres ont assisté. Le matin en hébreu se dit boker. Le Radaq (sefer hachoratim), à partir de plusieurs versets explique que le mot boquer sous-entend une notion de recherche, d’analyse parce que éclairé par la lumière du jour, c’est le temps propice à la réflexion.

Par opposition, le soir, où l’incertitude règne, où dans les ténèbres, nous n’arrivons plus à percevoir la vérité, au défi de cette situation nous affirmons notre fidélité à D’. Le Radaq, analyse le mot érèv (soir), comme renvoyant à l’idée de désordre, du chaos.

LE GAON DE VILNA - JEWISHERITAGEGaon de Vilna (Lithuanie)

Le Gaon de Vilna (Avné Eliaou) remarque que la racine étymologique du mot cha’har -l’aube- procède du mot cha’hor –noir-, car le moment le plus sombre de la nuit c’est l’instant précédant l’aube.

En d’autres termes, alors que les ténèbres prédominent, que nous sommes dans la confusion la plus totale, qu’il semble ne plus y avoir d’espoir, va surgir l’illumination de la vérité, venant déchirer le grand silence de la nuit.

Ainsi il semblerait qu’il y ait un corollaire entre le point le plus élevé de la malédiction et la délivrance.

Le Maharal (Guevourot Hachem chap. 18) s’interroge sur la raison pour laquelle Moché va grandir dans le palais de Pharaon. Pourquoi n’a-t-il pas été sauvé par quelqu’un d’autre que la fille du monarque ? De même, nos sages expliquent que le Messie siège au cœur même du royaume d’Edom (l’Occident). La Maharal répond que le processus historique conduisant à la délivrance doit passer préalablement par le néant. Il doit procéder d’un effacement de toutes les représentations pré-étables de l’être. Une fois ce processus affranchi de toutes les possibilités d’aliénation, peut émerger une nouvelle destinée humaine.

August 22, 1609: Rabbi Judah Loew ben Bezalel, known as the "Maharal" of Prague, died | Jewish Website

Le Maharal de Prague

Nous comprenons plus facilement ce concept s’appliquant à l’Histoire, à travers l’expérience qu’ont pu faire tous ceux qui se sont réellement plongés de façon approfondie dans l’étude du Talmud.

C’est souvent après que le « pchat » (compréhension basique du texte) lui-même semble incompréhensible, alors que tout est remis en question, que surgit soudain un nouvel éclaircissement. Lorsque nous saisissons que ce que nous avons compris est en deçà de ce que nous devons comprendre, nous voyons poindre de nouveaux horizons.

A l’inverse, si un homme, aussi intelligent soit-il, considère son savoir comme absolu, il se montre incapable de s’ouvrir à un autre mode de pensée que le sien. Il n’est finalement qu’un ignorant, puisqu’il reste enfermé dans ses préjugés et ne peut concevoir une autre démarche analytique que la sienne.

De même, pour citer un autre domaine, dans l’histoire des sciences, des théories admises comme dogme définitif ont obstrué le mouvement de la pensée. Et c’est plus d’une fois, en conséquence d’une erreur, c’est-à-dire d’un écart involontaire des acquis, qu’ont pu surgir des progrès.

Les antibiotiques la plus grande découverte du 20ème siècle en matière pharmaceutique, sont nés d’une erreur de manipulation d’un laborantin. La théorie de la relativité a pu voir le jour suite à l’erreur d’une expérience (celle de Michelson- Morley), qui est sans doute la plus célèbre des expérimentations négatives (donnant un résultat contraire à ce qui était recherché).

Où encore les grandes découvertes du 15ème siècle ont commencé par des méprises : Christophe Colomb croyait rejoindre les Indes et a accosté aux Bermudes. C’est une lumineuse erreur qui va permettre au navigateur de découvrir un nouveau monde.

Boris Cyrulnik, la maladie du bonheur - LibérationBoris Cyrulnik

Dans le domaine de la psychologie, l’ethnologue Boris Cyrulnik développe le concept de résilience, notamment à partir de l’observation de rescapés de la Shoah (lui-même vécut une expérience traumatisante lors de la guerre).

Il s’agit de la capacité à surmonter les traumatismes, de renaître. Le terme de résilience, emprunté à la physique, désigne le retour à l’état initial d’un élément déformé. Même après avoir vécu l’horreur : « On peut découvrir en soi, et autour de soi, les moyens qui permettent de revenir à la vie et d’aller de l’avant, tout en gardant la mémoire de sa blessure ». Boris Cyrulnik (de son livre « De Chair et d’Ame »)

Il en est de même du processus historique : la délivrance n’est pas un effet du déroulement de l’histoire, mais une déchirure- Selon l’analyse du Maharal de Prague, un cheminement historique conduisant à la délivrance n’avance pas vers une révélation progressive de la justice et du bien, mais par une rupture avec le processus historique.

Ainsi nous pouvons comprendre notamment pourquoi Moché grandit à la cour de Pharaon.
C’est aussi cet aspect qui apparaît le jour du 9 Av avec ce visage de Mo’èd- jour de la destruction des deux Temples- et dans le même temps jour de la naissance du Messie.

A travers cette dialectique se révèle aussi la formidable capacité d’espoir d’Israël, qui des profondeurs de l’épreuve sait retourner la malédiction, faire s’élever l’exultation.

Jonathan Sandler (Extrait de son livre : »Pour Plus De Lumière »)

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