Carlos Lopes, L’Afrique est l’avenir du monde. Repenser le développement (Le Seuil)

par Maurice-Ruben HAYOUN

Voici un ouvrage, au demeurant sympathique et touchant, bien documenté, mais qui outrepasse largement sa supposée vocation à donner des leçons au continent européen, tout en s’en référant à l’avenir de l’Afrique. Que l’on ne s’arrête pas à ce premier jugement de grande sévérité, l’Afrique doit faire des progrès et nous devons l’aider, mais chacun doit respecter le statut de l’autre. Et j’ai la faiblesse de croire que c’est aux Africains d’apprendre des Européens…

Même si tout n’est pas parfait en Europe, comment la critiquer  alors que c’est son savoir, ou sa culture, qui a transformé notre monde ? L’Europe a tenté d’instaurer un certain modèle de développement sur ce continent africain, un continent qui, plus d’un demi siècle après son accession à l’indépendance, ne parvient toujours pas à émerger un tant soit peu…

Certes, on trouve ça et là des raisons d’espérer mais ces moments de grâce sont généralement suivis de rechutes bien plus graves que la situation précédente. Et comme dans un Leitmotiv les gouvernants en place, souvent éminemment critiquables s’en prennent à l’héritage légué par l’ancienne puissance coloniale. C’est ce qui arrive à la France au Mali et en Côte d’Ivoire, pour ne parler que de ces deux pays d’Afrique.

Dès la préface et aussi dans l’introduction de cet ouvrage on sent l’idéologie qui prend le pas sur l’analyse scientifique de la situation. Henri Guaino n’avait pas tort lorsqu’il reprochait à l’homme africain de n’être pas rentré dans l’Histoire, dans un discours unanimement décrié, prononcé à Dakar par le président Sarkozy. Aujourd’hui encore, nul ne comprend ce décri.

Il est vrai que l’Afrique a souffert de mille maux mais tous ne sont pas imputables à une Europe conquérante, envahissante et prédatrice. Guaino l’avait aussi dit : tous les maux de l’Afrique ne viennent pas hors d’Afrique.. Il faut aider ce contiennent à s’en sortir mais, faute de trouver mieux que le traitement ou le modèle européen ou européiste, l’Afrique devrait s’y soumettre puisqu’il n’en existe pas d’autre, en dépit de la thèse générale de ce livre qui est plutôt bien fait mais se meut dans un autre espace, celui d’une idéologie qui n’a mené à rien. Ce continent n’a pas suivi la voie qu’il aurait dû suivre… Il est donc disproportionné de dire que l’avenir du monde se joue en Afrique. Et de quelle tradition parle le préfacier lorsqu’il dit : … se déprendre de cette philosophie de l’histoire et à rechercher dans le meilleur de sa tradition les voies de sa propre modernité… En anglais, cela se dit : wishful thinking.

On ne peut pas dire que le modèle de développement de nature européenne a abouti à une impasse écologique. Et je veux bien croire que l’avenir est ce que nous créons, mais encore faut-il avoir quelque chose à créer. Et quelque chose de valable. Or, on en est encore loin. Et si l’Afrique a à sa disposition un modèle propre, une voie spéciale, un Sonderweg, qu’on nous le dise clairement. Et dans ce cas, l’Afrique pourrait le mettre en œuvre et nous en faire bénéficier.

On réfute l’argument si souvent mis en avant, et qui consiste à dire que les choses fonctionnent différemment ici, mais c’est pourtant bien le cas ! Je me souviens d’une remarque de Philippe Séguin qui, retour de Tunisie, son pays de naissance, revendiquait pour ce pays un autre rythme et une autre vigueur, qu’en Europe pour ce qui est de la diffusion des règles démocratiques pleines et entières.

Alors que doit faire l’Afrique pour rattraper son grand retard ? Choisir entre la démocratie et le développement. Mais c’est aussi combattre de manière implacable la corruption : on trouve dans nos beaux quartiers parisiens moult ambassades -logées dans de somptueux hôtels particuliers- de pays d’Afrique, incapables, par exemple, de distribuer de l’eau potable à l’intégralité de leur population. Un autre exemple : Il est un pays d’Afrique dont les fonds marins regorgent de pétrole : eh bien pour être certaine que les gouvernants ne détourneraient pas tous ces revenus pétroliers, la Banque Mondiale retient 20% de ces revenus pour les réserver au développement des infrastructures de ce pays… Et on connaît les procès en France de biens mal acquis…

Mais en avançant dans la lecture de ce petit ouvrage, je me rends compte que la sévérité de mon jugement est, dans une certaine mesure, partagée par l’auteur lui-même, qui parle de huit défis à relever et surtout, qui dénonce l’essor enthousiaste de l’Afrique. En termes plus clairs : plus de démocratie en Afrique et plus de vérité sur l’Afrique…

Les huit défis énoncés dans ce livre sont les suivants: réformer le système politique, respecter la diversité, comprendre le contexte des politiques publiques, se transformer structurellement grâce à l’industrialisation, augmenter la productivité agricole, revoir le contrat social, s’adapter au changement climatique et se donner la capacité d’agir dans les relations avec la Chine… Ce sont d’ailleurs, précisément, les titres donnés aux différents chapitres de l’ouvrage…

Voici un véritable programme de refondation politique et sociale de tout un continent… Mais est-ce à la portée de ses dirigeants, surtout si ces derniers persistent à contester le mode de développement dicté par l’Europe ? Quand on cherche à faire évoluer les choses dans le bon sens, il ne faut pas se laisser séduire par l’idéologie, quelle qu’elle soit.

Mais le ton des différents chapitres est plus acceptable et plus compréhensible. Plus réaliste aussi. Il ne donne pas l’impression qu’on a affaire à des additions joyeuses ni à un discours convenu. La référence à l’action presque impérialiste du géant chinois et son implantation récente dans le continent africain étonne un peu. Certes, on sait que le grand projet chinois est de prendre pied sur tous les continents, mais on ne pensait pas que cette affaire serait aussi prioritaire, au point d’en traiter dans un chapitre à part….

Dans ce chapitre justement, on apprend maints choses : que la Chine est devenue le premier partenaire commercial du continent africain, que ses investissements à long terme progressent inéluctablement, que même dans le sens inverse, de nombreux Africains se sont établis en Chine et s’y livrent à des commerces florissants… Ce qui frappe aussi, c’est l’acquisition de marchés et aussi une main mise sur les richesses du sous-sol. Je retiens une métaphore du Premier ministre chinois évoquant les rapports économiques entre les deux pays : la Chine et l’Afrique travaillent comme deux araignées sui tissent en commun une toile capable de ligoter un… lion !

Il faut lire ce chapitre si bien documenté avec une attention redoublée.
Le premier chapitre porte de ce livre sur la réforme du système politique. J’en retiens principalement qu’en Afrique la réalité sociale et politique avant la colonisation présentait un aspect très particulier. Rien n’était comparable à une organisation de type étatique. Il y avait au moins trois problèmes qui se sont exacerbés au fil du temps : les ethnies, le tribalisme et la religion. Ces trois éléments incarnaient une certaine diversité qui a dégénéré en conflits raciaux, pour ainsi dire. Par ailleurs, les puissances coloniales se trouvaient confrontées à des réalités politiques encore inconnues ou qui avaient disparu d’Europe depuis des siècles. Et j’avoue que l’on n’a pas toujours fait droit à cette complexité (le terme est faible), génératrice de conflits sanglants par la suite, notamment lorsque des frontières artificielles ont réuni dans un même espace des ethnies nullement prêtes à cohabiter ni à partager un vivre-ensemble…

Mais je veux revenir sur un point : l’auteur affirme que ce continent renfermerait un peu plus de 2000 langues (2119), ce qui représenterait presque 30% du total mondial… J’ai peine à y croire, peut-être faudrait-il parler de dialectes ou de parois. Mais je doute que toutes ces langues soient comparables au niveau des langues, française, anglaise et allemande… C’est là le genre même d’informations qu’il faut au préalable examiner de façon critique avant de les diffuser.

Que penser du panafricanisme ? Là, l’auteur renvoie à la mise au point du Palestinien Edward Saïd qui dénonçait l’orientalisme, création artificielle d’intellectuels occidentaux, ce qui est assez vrai. Mais cette solidarité panafricaine n’est pas allée bien loin, puisque le fameux passeport africain n’a jamais vu le jour et qu’on a vu des Africains en expulser d’autres par millions : le Nigéria en 1982-1985 a expulsé assez violemment plus de trois millions d’Africains…

Au cours de ces différents chapitres, l’auteur dénonce aussi, en termes mesurés, l’inadéquation des grands organismes internationaux, hérités de la fin de le Seconde Guerre mondiale, comme le FMI (dont certains ont même demandé la dissolution) et la Banque mondiale. Cette demande n’est pas infondée, les supprimer certes mais surtout les remplacer par des outils adaptés à la situation présente de l’Afrique.

Au fond, il est difficile de se faire une idée claire et définitive de l’avenir de ce continent. Mais il faut tout faire qu’il ait autre chose qu’un simple avenir démographique… Il faut aussi que les pays d’Afrique conservent leur attractivité pour retenir chez eux leurs enfants. L’auteur parle habilement de la question sensible de la mobilité humaine…
Quel euphémisme ! L’Europe n’est plus une terre d’immigration, en dépit du vieillissement de sa population… Mais bonne chance la nouvelle Afrique !

Maurice-Ruben HAYOUN

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève.  Son dernier ouvrage: La pratique religieuse juive, Éditions Geuthner, Paris / Beyrouth 2020 Regard de la tradition juive sur le monde. Genève, Slatkine, 2020

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