Avancée historique dans la recherche nucléaire

Une réaction de fusion nucléaire a pour la première fois produit un rendement net d’énergie : une réussite exceptionnelle pour la recherche nucléaire.

Intérieur de la structure de soutien de l'amplificateur du laser de la National Ignition Facility (NIF). ...

Intérieur de la structure de soutien de l’amplificateur du laser de la National Ignition Facility (NIF). Couleurs augmentées. PHOTOGRAPHIE DE DAMIEN JEMISON

Il s’agit peut-être de l’une des avancées scientifiques les plus importantes de cette décennie. Le 5 décembre 2022, le laboratoire national Lawrence Livermore (LLNL) en Californie a réalisé la première expérience de fusion nucléaire présentant une production nette d’énergie. Cette expérience, qui était le résultat de plusieurs mois de préparation, est une avancée fondamentale dans la recherche nucléaire. Étudiée depuis plusieurs décennies, la fusion nucléaire est longtemps restée au stade théorique sur le sol terrestre, ce processus complexe n’existant à l’état naturel que dans l’espace, au cœur de notre Soleil.

« La fusion est le mariage de deux noyaux atomiques de deutérium et de tritium pour donner un atome d’hélium, qui est le noyau léger le plus stable de l’Univers et qui n’est pas du tout radioactif », explique Emmanuelle Galichet, chercheuse et responsable de l’enseignement nucléaire au Cnam. « [Dans la fusion] est aussi produit un neutron isolé très énergétique. C’est lui que l’on va récupérer, mais qui va aussi être problématique parce qu’il est hautement radioactif. »

Véritable casse-tête technologique, la fusion offrirait pourtant une alternative particulièrement avantageuse à la fission nucléaire, utilisée quotidiennement dans les centrales nucléaires. La fusion se distingue notamment par une absence de déchets nucléaires, qui représentent aujourd’hui encore le principal désavantage de l’industrie nucléaire.

Dans l’espoir de parvenir à une source d’énergie plus sûre et rentable, plusieurs laboratoires à travers le monde travaillent actuellement sur la maîtrise de la fusion : un projet qui demande à relever de nombreux défis technologiques.

« La National Ignition Facility (NIF) a été conçue pour réaliser le genre d’expérience effectuée début décembre », explique le professeur Jean-Michel di Nicola, ingénieur en chef du laser NIF. « La conception de la cible est très précise et les lasers utilisés ont été perfectionnés pour être aussi énergisés et puissants que possible afin d’atteindre les conditions nécessaires. »

UN SYSTÈME AUSSI PUISSANT QUE PRÉCIS

Essayer de réaliser une réaction de fusion nucléaire, si on la réduit à son principe le plus simple, revient à tenter d’allumer une étoile dans une boîte d’allumettes. En effet, le processus a lieu dans une cartouche creuse de seulement quelques centimètres contenant deux isotopes de l’hydrogène : le deutérium et le tritium.

« L’objectif est de comprimer une petite bille contenant les deux isotopes […]. Pour les faire fusionner, il faut rassembler des conditions très extrêmes, égales ou supérieures à celles retrouvées au centre du Soleil », explique M. di Nicola. « Pour cela, il faut générer une pression de 400 gigabars et une température de 150 millions de degrés. »

Pour parvenir à ces conditions plus qu’extrêmes, deux procédés sont actuellement à l’étude à travers le monde. En France, dans le centre de recherche international ITER, ce sont des aimants qui sont utilisés pour atteindre les conditions nécessaires à la réalisation de la fusion. De l’autre côté de l’océan, le LLNL utilise quant à lui des lasers amplifiés du système NIF.

« Tandis que le Soleil utilise les forces de gravitation pour atteindre ces conditions, nous utilisons des lasers […] sur la bille de carburant pendant quelques nanosecondes », présente quant à lui l’ingénieur du LLNL. « C’est la différence principale : notre expérience est de nature implosive, alors que le Soleil est une réaction continue et que les réacteurs magnétiques fonctionnent durant quelques minutes. »

Pour permettre l’ignition, les lasers sont amplifiés en traversant à plusieurs reprises des champs d’ions énergisés, avant d’être envoyés sur la cartouche. D’abord situés dans l’infrarouge, les lasers sont générés grâce au réseau électrique civile, à raison de 300 mégajoules par tir.

« Pour mettre les choses en perspective, en termes de facture électrique, aujourd’hui, aux États-Unis, charger le laser coûte environ 20 dollars. Nous ne coupons pas le courant dans toute la ville à chaque expérience ! »

Les rayons sont ensuite redirigés vers la chambre de test par un jeu de miroirs, puis convertis de l’infrarouge à l’ultraviolet. Ils convergent ensuite, à raison de seize rayons par extrémité, dans une cartouche spéciale. Ils vont alors rencontrer ses parois internes qui sont recouvertes d’or, et ces dernières convertissent ensuite les lasers en rayons X et les renvoient sur la bille de carburant contenue dans le cylindre.

« Ces rayons X vont vaporiser la surface de la bille […] et, selon le principe d’action/réaction, en même temps qu’elle se vaporise vers l’extérieur, la force de réaction va également la compresser vers l’intérieur », ajoute M. di Nicola.

Ainsi comprimée par sa propre vaporisation, la bille de deutérium/tritium va également chauffer jusqu’à atteindre la température nécessaire à l’initiation de la fusion. Une fois les conditions atteintes, les atomes de deutérium et de tritium ne sont plus soumis à la loi de Coulomb.

Cette loi physique est responsable de l’attraction des pôles opposés d’un aimant, de la répulsion des pôles identiques, et est également valable pour deux atomes de même charge électrique comme le deutérium et le tritium.

« Finalement, le laser génère 2 mégajoules avec un pic maximal de 500 quadrillions de watts, le tout en quelques nanosecondes. Pourtant, la réaction qui a lieu une fois les conditions atteintes ne dure que 100 picosecondes […] et, pour atteindre une compression sphérique uniforme, tous les lasers doivent être alignés sur la cible avec une précision de 30 microns, soit un tiers du diamètre d’un cheveu humain ! »

Réalisée le 7 février 2016, l'expérience de fusion par laser Big Foot a contribué à ouvrir la voie ...Réalisée le 7 février 2016, l’expérience de fusion par laser Big Foot a contribué à ouvrir la voie de l’ignition réussie, atteinte le 5 décembre 2022. PHOTOGRAPHIE DE DON JEDLOVEC

MOINS D’UNE SECONDE POUR ENTRER DANS L’HISTOIRE

Bien qu’elle n’ait eu lieu qu’en un clin d’œil, la réaction de fusion a demandé plusieurs mois de préparation à l’équipe du laboratoire Lawrence Livermore ; une optimisation qui semble pour l’instant porter ses fruits.

« Nous avions effectué une expérience similaire en septembre, au cours de laquelle la cible a généré une énergie de 1,22 mégajoule pour finalement parvenir à un rendement de 3,15 mégajoules en décembre », se félicite l’ingénieur. « Cependant, c’est comme jouer un concerto, beaucoup de paramètres doivent être ajustés pour que l’ignition de la fusion fonctionne. »

Si la réussite est très encourageante, l’équipe du laboratoire ne se prononce pas encore sur les résultats des expériences à venir. Elle aimerait néanmoins atteindre les 10 mégajoules de rendement cet été.

Pour le moment, l’énergie générée par la réaction de fusion est dite « de cible » ; bien qu’enregistrée, elle n’est pas encore récupérable ou utilisable. Le rendement « de machine » sera atteint lorsque l’énergie générée dépassera celle prise sur le réseau électrique : un objectif encore loin d’être atteint.

« Nous en sommes encore au tout début des recherches sur la fusion. Mis en parallèle avec le développement de la fission, nous en serions aux premières découvertes de Marie Curie en termes d’avancées. Il est donc trop tôt pour pouvoir réellement les comparer », expose Emmanuelle Galichet. « Néanmoins, lorsque l’on observe l’équation de réaction, une seule réaction de fusion donne en théorie quatre fois plus d’énergie par unité de masse par rapport à la fission. »

Pour rendre la réaction rentable, la NIF devra encore améliorer ses lasers et réussir à effectuer plusieurs tirs de suite, à hauteur d’une dizaine de tirs par seconde. Il sera également nécessaire d’optimiser la construction des cartouches, ces dernières étant détruites à chaque tir.

Une autre problématique à prendre en compte sera la gestion de la radioactivité générée. Bien qu’encore limitée lors d’un tir unique, une utilisation plus prolongée demandera des mesures de sécurité plus importantes. Cependant, pour le moment, leur niveau modéré a permis la réutilisation des installations de la NIF 24 heures après l’expérience.

« Les neutrons sont plus dangereux, car ils n’ont pas de charge magnétique […], et peuvent donc entrer dans n’importe quel matériau alentour et le rendre radioactif », souligne Mme Galichet. « Dans le cas d’un réacteur, il faudra trouver des matériaux qui pourront résister à des flots de neutrons. »

Dernier problème à prendre en compte le plus rapidement possible, selon les chercheurs, l’extraction des isotopes utilisés pour la réaction.

« Le tritium produit par une réaction à partir du lithium et le deutérium est présent directement dans l’eau », conclut la chercheuse. « Il faudrait pouvoir industrialiser ces processus et, pour l’instant, nous sommes encore incapables de les chiffrer. »

« Pour rendre la fusion économiquement viable, il faudra prendre en compte les coûts de construction, d’utilisation, d’entretien et de décommissions des futures centrales », ajoute Jean-Michel di Nicola. « Dans le futur proche, au laboratoire national Lawrence Livermore, nous allons nous focaliser sur nos expériences […], mais il est important que le public s’intéresse à la problématique de la fusion sous toutes ses formes. »

DE LOU CHABANI   www.nationalgeographic.fr

Le laboratoire Lawrence Livermore National Laboratory, LLNL, situé en Californie aux Etats-Unis en 2018 – JASON LAUREA / LAWRENCE LIVERMORE NATIONAL LABO

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