« Au lieu d’aider cette femme inconsciente sur le quai, les gens l’enjambaient » : le coup de gueule d’un pompier volontaire, témoin d’un malaise dans le métro parisien

Témoin de la scène, qu’il a raconté sur X, Maxime lance un appel sur franceinfo à la formation aux premiers secours. Une situation choquante qui découle d’un phénomène psychosociologique: la « dilution de responsabilité ».

Avez-vous déjà été témoin d’un malaise ou d’une agression dans la rue ou dans le métro et personne n’a osé intervenir ? C’est ce qu’on appelle la « dilution de responsabilité » : plus il y a de témoins d’un événement, moins il est probable que quelqu’un intervienne pour aider la personne en détresse. C’est à cet « effet du témoin » ou « effet spectateur » qu’a assisté Maxime Leclerc, lundi 19 février, et en a fait part sur X, dans un message consulté près de deux millions de fois par les utilisateurs du réseau social.

« Je suis descendu de la ligne 4 à l’arrêt Montparnasse et sur le quai, j’ai vu une jeune femme, d’une vingtaine d’années, inconsciente au sol. Et au lieu de lui venir en aide, les gens l’évitaient ou l’enjambaient, sans s’arrêter », raconte-t-il à franceinfo. « Seules deux ou trois personnes étaient autour d’elle, sans oser intervenir : on était 50 ou 60 sur le quai, et les gens se disaient : ‘Quelqu’un va intervenir à ma place’. Personne n’allait voir si elle respirait ou si elle avait besoin de soins. » Maxime, journaliste et sapeur-pompier volontaire, a pu lui prodiguer les gestes de premiers secours.

« Le réflexe, c’est d’aller voir si la personne respire ou est consciente : si elle respire, il faut la mettre sur le côté en attendant les secours, mais si elle ne respire pas et que le coeur ne bat pas, il faut absolument lui faire un massage cardiaque. » Maxime Leclerc, témoin à franceinfo

Dans ce cas-là, la jeune femme était inconsciente : « Il fallait simplement lui parler, lui demander de serrer les mains et de la rassurer lorsqu’elle a repris connaissance, quelques minutes plus tard, avant de la confier aux pompiers », ajoute Maxime.

Une situation plus courante qu’il n’y paraît

Il admet que dans certaines circonstances, ce n’est pas facile de venir en aide : « Si la personne est blessée et qu’il y a du sang ou que c’est un accident de la route, ça peut faire peur si on n’est pas habitué. Mais là, sur le quai, c’était juste une jeune femme inconsciente, il n’y avait pas de sang, elle ne faisait pas de crise d’épilepsie : elle était juste allongée, elle respirait… Donc j’ai du mal à comprendre que personne ne s’arrête pour vérifier si elle va bien ou n’appelle les secours. »

Après son tweet, Maxime raconte avoir reçu des centaines de témoignages de personnes qui avaient vécu la même situation : « Plein de gens qui me racontaient être tombés dans le métro ou dans la rue, sans que personne ne leur vienne en aide, ou bien qui étaient les seuls à intervenir pour défendre une personne qui se faisait agresser, énumère-t-il. On se dit tous qu’on serait intervenu dans la même situation, mais ces exemples montrent bien que ça arrive tous les jours. »

Le meurtre de Kitty Genovese

Cette situation est en effet plus courante qu’il n’y paraît: en 2014, une jeune femme avait par exemple été violemment agressée dans le métro de Lille sans que personne n’intervienne, comme le relatait alors La Voix du Nord. Une enquête pour non-assistance à personne en danger avait été ouverte par le parquet de Lille, sans résultat.

Le concept de l' »effet du témoin » a été observé par deux chercheurs américains, Bibb Latané et John Darley, après le meurtre de Kitty Genovese, en 1964. Cette jeune New-Yorkaise de 28 ans avait été agressée, violée et poignardée en pleine rue dans le Queens, vers 3 heures du matin, alors qu’elle rentrait du travail. Plusieurs voisins avaient été témoins du crime, sans jamais intervenir ou appeler les secours. « La responsabilité d’aider une personne en détresse est divisée par le nombre de témoins présents : si on est seul témoin d’un événement, on se sentira plus responsable par rapport à une situation où de nombreuses personnes sont présentes, et ça peut commencer à partir de trois témoins seulement, pas besoin d’une grande foule, explique Marianne Habib, docteure en psychologie et maîtresse de conférences à l’université Paris 8. Les personnes se sentent encore moins responsables lorsqu’une personne compétente intervient, car dans la dilution de responsabilité se trouve la notion de se sentir compétent pour aider. »

« Dans une situation où de nombreux témoins sont présents, qu’on ne se sent pas compétent et qu’on voit quelqu’un intervenir, on considère qu’autrui peut venir en aide à notre place et donc que notre responsabilité n’est pas engagée. » Marianne Habib, docteure en psychologie à l’université Paris 8 à franceinfo

Mais comment faire en sorte de briser cette dilution de la responsabilité ? « On peut faire appel aux individus autour de nous, mais de manière individuelle et pas collective. Il ne faut pas crier ‘à ‘l’aide’ mais pointer une personne en particulier pour qu’elle se sente impliquée personnellement et donc responsable », explique Marianne Habib. La spécialiste précise : « Les personnes témoins se désinvestissent émotionnellement de la situation, donc je ne suis pas sûre qu’elles puissent ressentir du remord ou du regret, en tout cas pas toutes. Si on ressent du regret la première fois qu’on est confronté à ce genre de situation et qu’on n’est pas intervenu, on voudra éviter de ressentir ce sentiment la fois suivante et il y a plus de chances qu’on intervienne. »

Autre moyen de faire face contre ce phénomène : en parler. « Le fait d’avoir connaissance de ce biais cognitif peut avoir tendance à le contrer, car on se rend compte qu’on n’intervient pas alors qu’on pourrait le faire », ajoute Marianne Habib. D’après les études réalisées, il semblerait que le genre de la personne victime n’ait pas d’impact sur cette dilution de la responsabilité.

Former aux gestes de premier secours

Pour lutter contre ce sentiment d’incompétence ressenti par les témoins, qui ne préfèrent pas intervenir, la solution est peut-être de se former aux gestes de premiers secours, suggère de son côté Maxime Leclerc. « La formation n’est pas obligatoire pour le moment : dans certaines écoles, on la propose aux élèves une fois, juste sur quelques heures, mais ce n’est pas suffisant, plaide-t-il. Il faudrait la rendre obligatoire, dans les entreprises, dans les écoles, dans les mairies, et surtout gratuite !

Car on peut tous être confrontés à une situation de détresse : « Dans le métro ou dans la rue bien sûr, mais aussi en famille : ça peut être un enfant qui s’étouffe, une personne qui fait un malaise cardiaque et à qui il faut prodiguer un massage thoracique immédiatement », développe-t-il. Avant de conclure : « Et surtout, il faudrait faire des rappels régulièrement : par exemple, une grande formation de plusieurs heures la première année, puis un rappel d’une heure chaque année pour se souvenir des bons gestes, car ce n’est pas sorcier et, surtout, ça peut sauver des vies. »

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