Quel choc ! Quel envoûtement !

Pour son deuxième long-métrage, Lore, l’australienne Cate Shortland a réalisé un coup de maître.

Son film est des plus troublants et des plus habités.

Un style s’y affirme (entre Haneke, Jane Campion et Terrence Malick, comme l’écrit Eric Neuhoff).

Même si, par son sujet, Lore s’inscrit dans la lignée d’Allemagne, année zéro de Rossellini et de Jeux interdits de René Clément.

Allemagne, mai 1945.

Le IIIe Reich expire. Le chaos règne. Une famille est réunie pour la dernière fois.

Haut gradé nazi impliqué dans des crimes de masse en Biélorussie, le père brûle dans le jardin des documents compromettants.

Sa femme tire fébrilement sur sa cigarette.

Elle traite son mari de lâche.

Il la gifle.

L’aînée de leurs cinq enfants, Lore, jouée par la radieuse Sakia Rosendhal, observe la scène.

Dans quelques heures, cette adolescente au regard bleu perçant va être jetée sur les routes, seule, avec sa sœur et ses trois frères, dont un nourrisson pleurant dans son landau.

Avant de prendre la fuite, ses parents lui ont demandé de rejoindre leur grand-mère à Hambourg, à l’autre bout du pays.

Avec, en poche, un peu d’argent et quelques bijoux de famille.

Lore est le récit poignant, cru et poétique de leur périple dans une Allemagne dévastée, jonchée de cadavres et hantée par des fantômes.

L’enfer est tapi de feuilles mortes et de mousse humide.

Tels des personnages de Grimm, ces enfants s’enfoncent dans les forêts et, le soir venu, s’installent dans des fermes abandonnées.

Dans l’une d’elles ils tombent sur un garçon qui a un numéro tatoué sur l’avant-bras : un juif.

Tout ce que les parents de Lore lui ont appris à détester.

Mais ce garçon, lui, est en possession de papiers.

C’est pratique pour franchir les barrages.

Et puis lui sait trouver la nourriture.

Dans les villages, les Américains ont placardé des photos sur lesquelles on distingue des corps nus entassés.

Les habitants crient à la manipulation. Ils y voient une mise en scène.

Derrière chaque homme-squelette, ils voient un acteur.

Ces étrangers sont décidément des menteurs. Comment Hitler aurait-il été capable d’autoriser pareilles atrocités ?

Pour Lore, ces photos morbides agissent comme un révélateur.

Trop jeune pour connaître la portée de ce qu’elle voit, elle amasse ces images comme les pièces d’un puzzle à reconstituer : sa vie.

Mais comment peut-on aimer ses parents tout en sachant les horreurs qu’ils ont commises ?

Cate Shortland a tiré son film d’un livre de Rachel Seiffert, «La Chambre noire», dans lequel le thème de la photographie tient une place importante.

Les photos matérialisent le lien des personnages avec l’Histoire, leur histoire.

Elles témoignent d’une généalogie familiale. Or, la filiation de Lore est honteuse.

L’adolescente finira d’ailleurs par enfouir le portrait de son père en uniforme. Le destin de Lore reflète ces mots de l’écrivain allemand W.G. Sebald, l’auteur d’un chef d’œuvre «Les émigrants», qui était lui aussi fils d’un officier de la Wehrmacht :

« Quand je regarde des photographies ou des films documentaires datant de la guerre, il me semble que c’est de là que je viens, pour ainsi dire, et que tombe sur moi, venue de là-bas, venue de cette ère d’atrocités que je n’ai pas vécue, une ombre à laquelle je n’arriverai jamais à me soustraire tout à fait. »

Les crimes nazis sont, comme la teinture noire que l’on voit sécher dans une scène de film, indélébiles.

Même ceux qui n’ont pas directement participé à cette barbarie sont éclaboussés.

Comment, pour ces enfants, accepter la perte de leur innocence ?

Lourde question à laquelle la réalisatrice apporte la plus gracieuse des réponses cinématographiques.

Il y a dans ce film une lumière, une voix et une musique (celle de Max Richter), qui nous hantent encore.

Sébastien Le Fol/ Blog.Le Figaro Article original

« Je n’ai toujours pas compris l’Holocauste. C’est impossible »

L’Australienne Cate Shorland signe avec « Lore » un film âpre et bouleversant autour d’une fratrie dans l’Allemagne de 1945.

Entretien.

Même si c’est surtout son travail à la télévision qui est reconnu, « Lore » n’est pas le premier film de cette Australienne de 44 ans.

Son atypique « Somersault » (l’éveil adolescent, un des thèmes de son nouveau film, d’ailleurs) avait eu les honneurs du Festival de Cannes et de la catégorie « Un certain regard » en 2004.

De passage à Bruxelles, Cate Shortland évoque avec cœur son deuxième long-métrage.

Quelle est la grande différence entre « Lore » et « La chambre noire », le livre qui sert de matériau à votre film ?

La fin est différente.

Nous l’avons changée.

Dans le livre, il y a 3 histoires. Celle de Laura est la deuxième. Il y a comme une espèce de fin inachevée.

J’avais besoin de quelque chose d’abstrait. Et en même temps de quelque chose de concret aussi.

Et montrer qu’elle ne fait pas partie de cette société corrompue. Qu’elle peut rester muette par rapport à cela même si elle est brisée intérieurement.

Vous avez rencontré d’anciens membres des jeunesses hitlériennes. Que tentiez-vous de comprendre ?

Comme je suis australienne, j’ai fait deux fois plus de recherches que si j’avais été un réalisateur allemand. Je voulais me confronter au plus près de cette vérité.

Comprendre le regard qui est le leur aujourd’hui.

Bien sûr, le sentiment de honte prédomine.

Les entretiens étaient très honnêtes.

Quelqu’un m’a raconté que lorsqu’il a appris la mort d’Hitler, il est tombé dans une phase dépressive de trois ans.

Le monde s’écroulait sur ces gens-là.

Ce n’est que quelques années plus tard, en fonction des personnalités bien sûr, que certains se sont rendu compte d’avoir été utilisés.

Au début des entretiens, ils avaient un peu peur que je les juge, mais à la fin de la journée, ils ont intégré le fait que j’étais là pour comprendre.


Cate Shortland

Pourquoi cette fascination pour cette période sombre de notre histoire ?

J’ai commencé à étudier le fascisme à l’université mais je n’ai toujours pas compris l’Holocauste.

Comme plein de gens, je sais. C’est tout simplement impossible à comprendre.

Une des grandes questions de « Lore », c’est comment, en tant qu’enfant, accepter des comportements extrêmes de ses parents et comment les gérer. Vous avez des éléments de réponse ?

Qu’est-ce que vous ressentez lorsque vous êtes persuadé que votre père est un héros et que vous découvrez ensuite que c’est une ordure ?

Est-ce que la culpabilité se transmet ?

Comment gérer le mensonge ? Je n’ai pas d’éléments de réponse.

C’est tellement propre à chacun.

Dans mon film, à un moment donné, la grand-mère s’énerve et dit :

« Vos parents n’ont rien fait de mal. »

C’est le déni absolu.

La caméra se tient au plus près des personnages.

Il y a un véritable parti pris dans votre mise en scène. Pourquoi ?

Parce que ce n’est rien d’autre qu’un film subjectif. Il n’y a rien d’objectif. La manière de filmer s’inscrit dans la même démarche.

Mais on reste au plus près de Laura parce que c’est elle qui raconte l’histoire.

Il fallait une approche tactile.

Le livre, qui est basé sur une histoire vraie, a été écrit par une maman (Rachel Seiffert, NDLR). Rachel n’a jamais essayé d’être objective.

Ce qu’elle a essayé de faire, c’est raconter ce que ça veut dire de grandir dans une famille comme celle-là.

Au début, elle avait peur d’une adaptation filmée.

Peur que l’angle n’allait pas être le bon. Peur qu’on fasse des Allemands des victimes.

Philippe Manche/ Le Soir.be Article original

Tags: 1945, Allemagne, Cate Shortland, Lore, nazisme Cinéma Shoah

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meller1

pouvez vous me dire si ce film a ete projete en Israel?