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En janvier 2015, 80 % des Français considèrent que la menace terroriste dans notre pays est élevée

Jérôme Fourquet : Ce chiffre spectaculaire s’inscrit dans une tendance. Ces deux dernières années les niveaux d’inquiétude étaient déjà très élevés, au-dessus de 70 %. La hausse soudaine en 2012 n’avait pas été provoquée par l’affaire Merah, contrairement à ce que l’on pourrait penser, mais au démantèlement de réseaux terroristes un peu après. Cela signifie donc qu’à l’époque, bien qu’ayant horrifié l’opinion, la tuerie provoquée par Merah avait seulement été perçue comme le fait d’un déséquilibré isolé, et non comme l’expression d’une vraie action terroriste. Inversement, bien que s’étant soldés par un bilan humain moins élevé, le démantèlement d’une filière, et l’attaque de Sarcelles, ont eu impact bien plus fort dans l’opinion.

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Cette contradiction apparente s’explique par le fait que jusqu’alors, la menace terroriste était conditionnée par l’idée de l’existence d’un réseau, ou à tout le moins d’un groupe constitué. Aujourd’hui les résultats en témoignent, on a basculé dans une nouvelle perception, notamment à la suite de l’émergence de la menace de l’Etat islamique, et la révélation par les médias et les pouvoir publics de l’ampleur des réseaux djihadistes et du nombre de résidents français impliqués dans ces filières, partis se battre en Irak et en Syrie, et pouvant éventuellement revenir en France. C’est le fameux chiffre d’un millier de Français en partance ou en transit.

On sait qu’aucun profil-type ne se dégage vraiment : jeunes musulmans d’origines maghrébine, jeunes normands… On s’est rendu compte que des individus pouvaient se radicaliser tout seul via internet, partir et, pourquoi pas, revenir commettre un forfait. La dichotomie entre le réseau organisé et le déséquilibré n’existe plus, désormais le loup solitaires et les « pauvres types » se confondent dans la perception que l’opinion a de la menace terroriste. S’ajoutent à cela les appels au passage à l’acte formulés sur internet par l’Etat islamique. Un niveau de perception aussi élevé n’est donc pas si surprenant, surtout après l’attentat de Sydney, très médiatisé, mené par une personne isolée, et qui est passée à l’acte avec des moyens limités. En France, même si le commentaire médiatique et officiel a été très mesuré, les événements de Joué-Lès-Tours, Dijon et Nantes n’ont pas été sans effets. Une attaque au couteau, deux voitures jetées contre la population, des témoins qui ont déclaré avoir entendu crier « »Allahu akbar »… L’inquiétude s’explique. Même si les auterus correspondent à des profils de déséquilibrés, le contexte dans lequel cela s’est produit, la simultanéité et l’appel de l’EI à tous leurs sympathisants à passer à l’acte avec les moyens du bord, ont généré une vive émotion au sein de la population française.

On voit bien le décalage : nous nous trouvons aujourd’hui presque 30 points au-dessus de la peur vis-à-vis du terrorisme au moment de l’affaire Merah. Tout simplement, l’événement n’avait pas été décodé comme tel sur le moment. Mais le contexte est aujourd’hui différent. Tout récemment encore, un sixième jeune originaire de Lunel, dans l’Hérault, aurait trouvé la mort en Syrie.

Une évaluation de la menace terroriste par les Français bien plus élevée qu’en 2001

Le 11 septembre 2001, c’étaient les Etats-Unis qui avaient été visés, la France se sentait plus ou moins à l’abri, d’où un sentiment de menace élevée qui n’était partagé « que » par 62 % de la population. Al-Qaïda bénéficiait d’une forte médiatisation, mais ses ramifications en France apparaissaient moins évidentes.

Les villes françaises où ce sont récemment produites les attaques au couteau ou à la voiture ne sont pas des métropoles de la dimension de New York, Madrid ou Londres : de la même façon qu’un jeune normand a égorgé des gens en Syrie, dans la perception de l’opinion publique cela peut se reproduire partout sur le territoire français, ce qui est bien plus anxiogène. Le 11 septembre ayant nécessité une importante logistique, on est tenté de se dire qu’il sera compliqué pour des terroristes de récidiver. Maintenant c’est votre voisin qui, avec un couteau de cuisine ou une bouteille de butane, peut s’en prendre à vous.

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– Evolution depuis septembre 2001 –

Un enjeu qui ne devrait pas peser sur l’élection présidentielle de 2017

L’élection de 2017 ne sera sans doute pas centrée sur la question de la menace terroriste, car cela pourrait alimenter la psychose. La question posée dans ce sondage ne porte pas sur la confiance dans le gouvernement, mais sur l’évaluation du risque. Même si le chiffre est élevé, cela n’induit pas forcément une critique contre le gouvernement. Il y aura toujours une frange de la population pour dire que « l’on n’en fait pas assez », mais une part bien plus importante a tendance à reconnaître que les services de sécurité et de renseignement travaillent d’arrache-pied pour prévenir tout attentat. Les gens sont bien conscients que le risque zéro n’existe pas. Tout expert vous le dira : la question n’est pas de savoir si un attentant va être commis, mais quand.

On se souvient du fiasco autour du retour de trois membres de la famille Merah : ils étaient revenus par Marseille, sans être inquiétés par une quelconque force de sécurité. On se souvient aussi de l’affaire Mehdi Nemmouche. Ces exemples montrent aux Français que le nombre de personnes potentiellement dangereuses a augmenté d’une façon exponentielle. Sachant bien qu’il n’est pas possible d’assigner un policier à la surveillance de chacun d’entre eux, et que la détermination du gouvernement est sans faille, c’est le consensus gauche-droite qui prévaut en ce moment, et qui devrait perdurer en 2017. Une commission bipartisane au Sénat a travaillé sur la question, l’arsenal législatif a été renforcé : si une intention de partir faire le djihad est manifeste, il est possible d’assigner la personne à résidence ; des sites internet ont également été obligés de fermer. Un débat a porté sur l’arbitrage à effectuer entre liberté et sécurité, mais le débat d’ordre politicien n’a pas eu lieu. Malheur, en termes d’opinion, à celui qui voudra polémiquer sur la question. Autant la droite tire-t-elle à boulets rouges sur le projet de loi pénale de Christiane Taubira, autant les affaires terroristes restent-elles la chasse gardée de l’exécutif.

Une perception de la menace qui varie faiblement en fonction de la sympathie politique

Même chez les sympathisants PS, avec 79%, on est quasiment au même niveau que la droite (80 %). Chez les Verts (70%) et le Front de gauche (66%), on a plus tendance à relativiser la menace, cependant le discours consistant à dire que le terrorisme est agité pour entretenir un climat de peur et diminuer les libertés publiques n’est plus du tout audible aujourd’hui. En effet, avec au total 80 % des Français qui jugent cette menace élevée, ces derniers ne comprendraient pas qu’il puisse y avoir des divisions sur l’action menée contre le terrorisme.

De plus, aucun ancien ministre ou parlementaire spécialiste de la question n’a pris sa plume pour dénoncer une quelconque incompétence de la part du gouvernement.

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Evaluation de la menace terroriste en France.

Une menace perçue comme durable et pouvant se concrétiser n’importe où

Aujourd’hui la menace terroriste est très présente et diffuse sur le territoire français. Par rapport aux années 80-90, le paradigme a changé : d’attentats à la bombe dans des lieux centraux, on est passé à la possibilité d’une survenance d’actes isolés n’importe quand, n’importe où et contre n’importe qui.

2001 a marqué une rupture, mais la France n’était pas visée. Quand on regarde l’évolution de la courbe montrant la perception de la menace, les hauts et les bas correspondent aux attentats de Londres, de Madrid, à la mort de Ben Laden… Les Français réagissaient au coup par coup. Mais fin 2012 la prise de conscience s’est renforcée, et a suivi une progression quasi constante tout au long de 2013 et 2014, aidée par la montée en puissance de l’Etat islamique, et l’intervention de la France au Mali et en Centrafrique. Au risque de me répéter, les Français ne se demandent plus « si », mais « quand ».

Methodologie

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Jérôme Fourquet
Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’IFOP.

Source : [atlantico.frArticle original

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