Valérie Perez-Ennouchi, Destins de femmes. Paris, Ramsay, 2021

par Maurice-Ruben HAYOUN

Quelle heureuse surprise que ce livre ! Enfin un vibrant et talentueux plaidoyer en faveur de la cause des femmes, une cause aussi ancienne que le monde et qui n’a trouvé qu’assez rarement de valeureux défenseurs sachant ménager les deux faces de la médaille : servir une si légitime cause que celle des femmes soumises et opprimées sans incriminer aveuglément les… hommes, qui en sont presque toujours, disons le honnêtement, les responsables.

Mais avant d’entrer in medias res voyons qui est l’auteur et quel est son parcours ; c’est une grande éditorialiste qui a occupé d’importantes fonctions dans divers médias télévisuels avant de prendre les commandes d’une brillante émission hebdomadaire, intitulée Histoire et découverte, diffusée par I24News à Jaffa / Tel Aviv.

Dans un style élégant et sobre, VPE trace les contours de son sujet. Elle commence par faire le point sur la situation actuelle des femmes, présentant leurs droits actuels. On relève une constante progression mais qui n’est pas dénuée de certaines lenteurs. Cela pourrait aller mieux et plus vite. Mais ce qui est original et a retenu toute mon attention, ce sont les rapports contrastés entre la femme, son altérité en général, et les monothéismes. L’examen des faits montre aisément, au premier coup d’œil, que la religion a toujours été une affaire d’hommes qui se sont arrogé le beau rôle et ont aussi asservi leurs campagnes à leurs désirs et à leur volonté. Certes, chaque construction religieuse a tenté de donner le change en octroyant, sur le papier mais jamais dans les faits, une réelle égalité aux femmes qui partagent leur vie et auxquelles on doit tant.

Considérons bien le titre ; l’auteure n’a pas choisi par hasard le terme destin ; en effet, les femmes, la plupart du temps, ont plus un destin qu’une histoire. Elles ne sont pas le sujet qui décide et choisit. Ce sont d’autres qui ont écrit leur histoire… Elles ont, jusqu’à une période récente, vécu sous l’autorité, souvent abusive, de leur père, de leur mari ou de leur grand frère… Donc constamment sous le régime de l’hétéronomie relative ou absolue. C’est particulièrement frappant quand on lit la seconde partie de cet ouvrage, où quelques femmes font le triste constat de leur condition.

Toutes les institutions sociales ont été faites à la mesure d’un monde dominé par les hommes. Comment l’auteure VPE, a-t-elle procédé pour parler de ce douloureux problème ? Elle commence par aborder des points hautement sensibles et donc controversés, tels que le mariage, les filles-mères, le divorce, le harcèlement sexuel, la place de la femme dans le judaïsme orthodoxe, etc… Toutes choses qui sont l’aboutissement de conventions créées et imposées par les hommes.

Il faut parfois s’en référer à la littérature féminine (je ne dis pas féministe) pour mieux comprendre la longue complainte des femmes au sujet des injustices qui lueur ont été faites. Les œuvres des grandes romancières anglaises des XVIII-XIXe sont très instructives à ce sujet. Ce sont elles qui ont dénoncé ce couple si peu réel formé par : love and mariage : le mariage est un contrat social qui n’implique pas nécessairement ni dans tous les cas, l’amour entre deux êtres qui ont choisi de vivre ensemble. L’amour prospère parfois bien mieux en dehors de ce statut marital

La problématique de la femme est à la fois multiple et variée ; dans son sillage nous rencontrons d’autres questions, notamment celles de la violence pouvant aller jusqu’au féminicide , des enfants mal éduqués ou simplement en souffrance suite à un divorce, à la misère ; il y a aussi les atteintes spécifiques à la gent féminine comme le harcèlement au travail ou dans d’autres secteurs de la vie sociale, les migrations rendues nécessaires par les guerres, les crises économiques, la nécessité de fuir pour sauver sa vie… Sans même parler du travail des enfants à des âges très tendres dans des pays d’Afrique noire ou d’Extrême Orient. Toutes ces situations de crise sont obligatoirement gérées par des femmes.

VPE a su développer toutes ces questions latérales qui, sans être centrales, n’en sont pas moins présentes dans la vie quotidienne des femmes. Et là, je pense au contexte de divorces conflictuels avec des répudiations expéditives, en bref tant de domaines qui se rattachent à notre problématique. L’auteure a même envisagé le statut de la femme dans les milieux juifs orthodoxes, ce qui contribue à à élargir considérablement le spectre de son travail. Cela dit, je pense qu’il faudrait un jour procéder à une analyse approfondie des rapports entre la femme et les monothéismes.

En ce qui concerne la place des femmes dans l’orthodoxie nous avons affaire à un sujet hautement controversé, car quoiqu’en disent les religions. la femme fait peur en raison des réactions qu’elles suscitent chez le mâle, si je puis m’exprimer ainsi. Or toute orthodoxie voit en la femme l’incarnation de forces démoniaques auxquelles peu d’hommes peuvent résister. La foi orthodoxe veut tout contrôler, or la sexualité lui échappe naturellement et pour la canaliser elle doit recourir à des moyens assez autoritaires. C’est le lot des religions monothéistes de vivre dans un tel paradoxe. Il suffit de se rapporter aux mythes du livre de la Genèse où l’ancêtre du genre féminin se voit imputée une responsabilité majeure dans le péché originel : ce n’est pas Adam qui induit son épouse en tentation, c’est l’inverse provoquant ainsi la déchéance du genre humain, expulsé du paradis et contraint d’accoucher dans la douleur et de manger son pain à la sueur de son front… On pourrait presque dire que naître femme est une… malédiction.

La seconde de bel ouvrage est consacré à l’évocation des destins de femmes dans le monde entier. Je lai regardé de près et n’en croyait pas mes yeux tant les injustices, les dénis, sont considérables. Mais je voudrais, enfin, rendre hommage à la sérénité de l’auteure qui ne se livre pas à des condamnations sommaires des hommes, responsables de tous les maux. L’hommage (sûrement mérité) qu’elle rend d’emblée à son mari, le prouve sans conteste.

Ce livre est -il porteur d’espoir ? Certainement. Je citerai une phrase du Talmud concernant la femme : Dieu compte les larmes de la femme… Ce qui veut dire que les méchants auront un jour à rendre des comptes. Et souvenons nous que la première larme qui a coulé dans la Bible fut celle d’une femme chassée avec son enfant de chez elle. Et Dieu a exaucé le vœu d’Anne, la mère du prophète Samuel, en lui permettant d’avoir un enfant tant désiré.

Maurice-Ruben HAYOUN

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève.  Son dernier ouvrage: La pratique religieuse juive, Éditions Geuthner, Paris / Beyrouth 2020 Regard de la tradition juive sur le monde. Genève, Slatkine, 2020

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