Theodor Heuss (Pour et à propos des juifs), An und über Juden). Textes réunis et édités par Hans Lamm. ECON

Il s’agit ici d’un volume paru il y a quelques décennies et qui constituait alors un premier effort, chétif mais louable, en vue de rétablir des relations judéo-allemandes , proches de la normalité. Hans Lamm qui a édité ce recueil a été un important dirigeant de la communauté juive allemande renaissante. A ce titre, il a joué un rôle de tout premier plan dans cette laborieuse reconstruction entre les victimes et leurs bourreaux. On en était alors au milieu des années cinquante ; le glaive fut enfin arraché à cette effroyable main et l’Allemagne nazie se trouvait enfin dans les poubelles de l’histoire: et la nouvelle Allemagne, arrimée au clan de la démocratie et de la liberté, faisait ses premiers pas dans une Europe ravagée par une effroyable guerre qui se solda par la mort de six millions de juifs dans des conditions atroces.

Theodor Heuss — Wikipédia

Les textes ici rassemblés par Hans Lamm, furent écrits ou prononcés par le professeur Theodor Heuss, président de la nouvelle République Fédérale d’Allemagne de 1949 à 1959. Il faut se souvenir que ce poste de président de la République a toujours été une fonction honorifique permettant à son titulaire de rappeler au peuple les hautes valeurs morales dont le nouvel état devait s’inspirer pour regagner un jour, espéré très proche, la confiance et l’estime de ses ennemis d’hier. Le travail de Lamm se voulait, dans ce contexte historique, un hommage mérité, rendu à l’œuvre d’une éminente personnalité sur les plans politique et moral.

La France s’est développée dans une autre tradition, se tenant loin des principes de la philosophie éthique allemande, sans toutefois chercher à leur tourner le dos : je veux dire qu’en Allemagne les différents présidents de la République ne jugeaient pas inférieur à leur dignité de chef de l’État le fait de s’adresser aux élèves des écoles et des universités pour leur rappeler les valeurs humanistes. Ce sont précisément de tels discours et de telles conférences qui sont réunies ici et qui portent exclusivement sur les juifs et s’adressent à eux…

La philosophie idéaliste, l’éthique politique, la place de la religion et de la fameuse raison pratique, si chère au philosophe Kant, constituent la matière du présent volume. Heuss et ses semblables voulaient considérer le nazisme et ses crimes contre l’humanité non point comme un simple accident de parcours mais comme une chute prévisible dans une barbarie sans nom. Qui avait été responsable de cette dégradation en une haine encore jamais vue depuis les massacres de Gengis Khan ?

J’utilise sciemment le terme responsable et responsabilité car ces deux termes ont suscité des débats enflammés entre partisans et adversaires. Maintenant que l’Allemagne gisait à terre, à la merci de ses vainqueurs, pieds et poings liés, grande était la tentation de prôner la responsabilité collective (Kollektivschuld) du peuple allemand et de faire payer à tous ses habitants, du nourrisson au vieillard sans exception aucune, le prix d’une inimaginable effusion de sang. Les tenants de cette thèse arguaient du fait que tous ses crimes avaient été commis au nom du peuple allemand, que les nazis étaient arrivés au pouvoir, par la voie démocratique…

Le président Heuss et ses conseillers ne pouvaient pas rester les bras croisés face à de telles accusations, ils ne voulaient pas, non plus, en nier le bien-fondé. Ils proposèrent de remplacer le terme juridiquement t très fort de responsabilité nationale par l’expression de honte nationale (Scham). Mais surtout, ces juristes voulaient rebâtir une nation, reconstruire un pays qui avait commis l’impensable. Aidés par des philosophe juifs nés en Allemagne, des juristes comme Heuss plaidèrent la bonne foi et démontrèrent que l’admission de la faute collective rappelait fâcheusement la terrible accusation de «peuple déicide» dont le peuple juif avait été accusé pour la mise à mort de Jésus, depuis deux millénaires… Une telle accusation considérait que tous les juifs, sans exception aucune, étaient partie prenante et devaient, à ce titre, rendre des comptes. Le raisonnement était très adroit : vous avez été victimes d’une fausse accusation en tant que peuple juif, n’usez pas d’un tel raisonnement l’égard du peuple allemand dans son ensemble. Mais si vous passez outre, vous imitez alors ceux que vous voulez condamner…

Ce débat autour de la responsabilité collective a duré des années, partisans et adversaires rivalisant d’argument pour imposer leur thèse. En tout état de cause, Reuss reconnaissait sans peine que l’Allemagne devait se racheter sur tous les plans. Dans ce recueil qui lui est consacré, il reconnait la richesse de la contribution juive à la culture allemande. Il m’est impossible que citer les dizaines de noms de philosophes et les titres d’œuvres qui ont nourri la philosophie allemande. Je donnerai deux exemples : le premier biographe de Hegel, qui rédigea sa biographie de son vivant, n’était autre de Karl Rosenkranz… Ce n’est pas rien. Le premier philosophe allemand à avoir jeté un coup d’œil sérieux sur le criticisme kantien n’était autre que Salomon Maimon…

Je ne finirai pas cette brève recension sans évoquer le nom de Heinrich Heine, enterré au cimetière du Père Lachaise, même si son cynisme me heurte. Je ne peux pas lui retirer le mérite d’avoir bien compris toute l’ambiguïté de ce rapport entre juifs et Allemands. Exilé en France, il incarnait tout ce non-dit au sujet de la part prise par les juifs dans l’établissement de la culture allemande… Après tout, n’en déplaise aux Nazis, il fut l’auteur de la Lorelei…

Ce volume sur Theodor Reuss m’a été offert par Monsieur Heinrich Wilhlem Beuth, ancien Ministre plénipotentiaire allemand à Paris. Qu’il en soit bien remercié.

Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage:

CYCLE DE CONFÉRENCES 2023-2024 à la mairie du 16e arrondissement

Aux racines de la culture européenne

Après le pénible épisode de la Covid 19 et ses incontournables conséquences, les conférences mensuelles existant depuis plus d’un quart de siècle, reprennent à la mairie de notre arrondissement. Nous nous en réjouissons largement. Elles débiteront dès cet automne, à raison d’une conférence tous les deux mois.
Leur objet reste le même : réfléchir sur l’identité culturelle de l’Europe, son histoire et son avenir. On s’occupera des influences, de la diversité des apports et des changements, voire des bouleversements qui ont affecté notre continent. Plus qu’un site géographique, l’Europe est une culture.
Pourtant, il semble que les élites, appelées à défendre les couleurs de l’Europe, doutent de plus en plus de l’honorabilité de notre patrimoine culturel. Toutes les civilisations ont connu des doutes, à un moment ou à un autre de leur histoire. La civilisation judéo-chrétienne a tout de même réalisé des choses exceptionnelles. Elle a fait à l’humanité l’apostolat du monothéisme éthique et du messianisme, deux valeurs indémodables qui ont irrigué, dans leur forme laïcisée et sécularisée, la plupart des cultures : le caractère sacré de toute vie humaine, la relation apaisée aux autres civilisations et aux autres cultures.

Maurice-Ruben HAYOUN. (hayounmauriceruben@gmail.com)

CYCLE DE CONFÉRENCES *

Jeudi 12 octobre à 19 heures
Philosophie , laïcité et religion dans l’Europe contemporaine

Jeudi 14 décembre
Existe-t-il une vérité religieuse  ?

Jeudi 1er février 2024
L’idée religieuse du sacrifice : un plaidoyer en faveur du martyr ?

Jeudi. 19 mai
Sören Kierkegaard et la «suspension de l’éthique»

Jeudi 13 juin
Un champion du dialogue interreligieux : André Chouraqui

Entrée libre. Salle des mariages.
Pour tout renseignement contacter hayoun.raymonde@wanadoo.fr ou le 0611342874

 

 

 

 

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